Israël/Palestine: initiative de Lausanne et antisémitisme

Israël/Palestine: initiative de Lausanne et antisémitisme

La conférence «Un seul Etat démocratique en Israël/Palestine», qui s’est tenue à l’Université de Lausanne du 23 au 25 juin, a causé quelques frottements, que certains journaux ont reflétés dans leurs colonnes1. Fallait-il ou non laisser des personnes connues pour leur antisémitisme ou leur négationnisme s’exprimer lors de cette conférence? La réponse des organisateurs a été «oui», avec pour justification que même Ariel Sharon était invité, que les personnes en question n’avaient pas été condamnées par la justice de leur pays et ne tiendraient aucun propos tombant sous le coup de la loi dans le cadre de la conférence. On peut toutefois se demander si certains intervenants sont venus pour défendre la cause palestinienne et la paix ou pour l’utiliser à d’autres fins.

Les personnes dont la présence était critiquée sont Israël Adam Shamir, un juif israélien d’origine russe, converti au christianisme, connu pour ses propos antisémites. Nous y reviendrons. Jean Brière, quant à lui, est un ancien des Verts français. Il en a été éjecté depuis qu’il a écrit en 1991 l’article intitulé «Le Rôle belligène d’Israël et du lobby sioniste». Pour cet article, Jean Brière a été poursuivi en justice et a gagné en appel parce que le texte n’était «pas public». Contrairement à ce que le titre de l’article peut laisser supposer, son contenu est clairement antisémite, par exemple lorsque Jean Brière essaie de suggérer que les journalistes juifs, et seulement eux, publient «de véritables appels au meurtre».

On remarquera encore que depuis, Jean Brière a collaboré avec «Nationalisme et République», journal antisémite et négationniste. L’intervention de Jean Brière à la conférence se voulait une analyse pour montrer que nous étions trop sur terre et qu’il fallait ramener la population humaine à un maximum de trois milliards d’habitants. Pour ce qui est de la Palestine et d’Israël, l’ensemble qu’ils forment peut, selon Jean Brière, héberger deux millions d’habitants. La population actuelle s’approchant des dix millions, on se demande que faire et on se demande ce que Jean Brière préconise.

La dernière des personnes critiquées est Ginette Hess-Skandrani, elle aussi ancienne membre des Verts, dont elle a été exclue. Considérant le caractère public de ses textes comme absolu, elle considère n’être pas opposée à leur publication sur des sites Internet négationnistes et antisémites. Néanmoins, le bât blesse lorsqu’on constate que les articles de Ginette Hess-Skandrani se trouvent presque exclusivement sur ce genre de sites et surtout, lorsqu’on apprend qu’elle connaît les propriétaires des sites en question. De plus, elle est à la tête de l’association La Pierre et l’Olivier, éditrice d’une sulfureuse interview, prétendument d’Ariel Sharon, ce que le Monde Diplomatique conteste formellement. Le fait important est surtout que dans les personnes associées à cette publication, on trouve Mondher Sfar, dissident tunisien et négationniste déclaré. Ginette Hess-Skandrani, lorsqu’elle fut questionnée à ce propos, répondit qu’elle connaiassait Mondher Sfar, mais pas ses penchants négationnistes.

Notons encore qu’Israël Adam Shamir est membre du comité de l’Association pour un Etat Démocratique en Palestine/Israël, association organisatrice de la conférence. Quant à Jean Brière et Ginette Hess-Skandrani, ils dirigent respectivement l’antenne Rhône-Alpes et l’antenne Ile-de-France de l’association.

L’antisémitisme serait «une construction artificielle»…

Lors de la première journée de la conférence, Uri Davis, un Palestinien juif (comme il aime à le rappeler) et l’un des intervenants, a demandé à l’auditoire l’exclusion d’Israël Adam Shamir et de Ginette Hess-Skandrani, le premier à cause de ses propos antisémites, la seconde à cause du fait qu’elle ne s’oppose pas à être publiée sur des sites Internet antisémites. A quoi Israël Adam Shamir a répondu que l’antisémitisme est une «construction artificielle», à savoir qu’il s’agit d’une illusion soigneusement entretenue par les Juifs. Uri Davis s’est dit interloqué par le fait qu’une partie de la salle a applaudi à ce discours. Ginette Hess-Skandrani a mis en avant le fait que ses textes appartiennent au domaine public. Aucune des deux personnes mises en cause par Uri Davis ne s’est vue retirer tout ou partie de ses prérogatives par les organisateurs.

Pour terminer ce tour d’horizon, ajoutons encore que l’Observatoire International des Affaires de la Palestine a finalement annulé sa participation à la conférence, pour cause de manque de clarté à propos de sa prise de parole et des engagements des organisateurs. Le Collectif Urgence Palestine-Vaud a diffusé un communiqué de presse (http://www.urgencepalestine-vd.ch) dans lequel il refusait d’être associé à la conférence et déconseillait à ses membres et sympathisant-e-s d’y participer, à cause de la présence des personnes mentionnées ci-dessus. Enfin, à l’entrée de la conférence, des étudiant-e-s de l’Université ont tenu à manifester leur mécontentement pour les mêmes raisons. Par voie de tract, de banderoles et de discussions, ils ont informé les participants du problème que cela leur posait. L’Université elle-même n’a pris aucune responsabilité dans cette conférence, faisant en sorte qu’elle relève du domaine privé.

Marc BERTHOLET

  1. «L’initiative de Lausanne dérange», 24 Heures, 15.6.04.
    «Une conférence pour venir en aide aux Palestiniens?», Le Courrier. 12.6.04.
    «La solution du conflit: créer un seul état», Le Courrier, 21.6.04.
    «Débat enflammé à l’Université de Lausanne autour d’Israël», Tribune de Genève, 24.6.04.
    «Pladoyer juif contre le sionisme», 24 Heures, 24.6.04.