Tsunami & violence politique: la guerre cachée dAceh
Tsunami & violence politique: la guerre cachée dAceh
Aceh. Il aura fallu un tsunami et 100000 morts pour que le monde connaisse le nom de cette région. Pourtant, bien avant le tsunami, cette région située au nord de lîle de Sumatra comptait déjà ses morts par milliers et ses fosses communes par centaines Cest lhistoire dune guerre cachée.
Cette histoire commence en 1971 avec les premières extractions de gaz naturel en Aceh. En 1976, les élites dAceh, qui voient les contrats dextraction leur échapper, créent un mouvement de guérilla, le GAM (Mouvement Aceh Libre), et font une déclaration dindépendance. LIndonésie de Suharto répond alors par la force. Entre 1989 et 1998, durant lopération militaire DOM (Zone dOpération Militaire), dinnombrables violations des droits humains sont perpétrées, aussi bien par le GAM que par larmée indonésienne. DOM est considérée par Jakarta comme une «thérapie de choc», nécessaire au maintien de la sécurité et de lunité du pays.
Armée et multinationales
De cette période, Aceh a hérité de nombreuses fosses communes et toute une culture dimpunité. Lors des dernières élections présidentielles, en automne 2004, le candidat du plus grand parti indonésien, Golkar (lancien parti de Suharto), nétait autre que Wiranto, un général retraité accusé de crimes contre lhumanité au Timor-Oriental. Quant au président fraîchement élu, Susilo Bambang Yudhoyono, il sagit également dun ancien général.
Lhistoire damour entre pouvoir politique, intérêts économiques et armée, ne date pas dhier. La Dwifungsi, cette double fonction de larmée, à la fois garante de la sécurité et acteur socio-politique, a permis quun certain nombre de sièges parlementaires soient réservés aux militaires, et ceci jusquaux dernières élections, en 2004. Dautre part, larmée tire 70% de son budget du commerce légal et illégal, ainsi que des services de protection quelle offre aux multinationales. En Aceh, Exxon Mobil, qui représente 2 milliards de dollars de profits annuels pour Jakarta, opère avec les services de protection de larmée la fin du conflit priverait donc larmée de substantiels revenus
Etat durgence et pauvreté
Il aura fallu la survie dun activiste pour que lon connaisse le visage de limpunité. Le 6 décembre 2000, trois hommes et une femme, tous âgés dune vingtaine dannée et membres de RATA (Action pour la réhabilitation des victimes de la torture en Aceh), sont victimes dune embuscade. Le seul survivant racontera comment ils ont subi coups et simulations dexécution et comment lun de leurs bourreaux filmait leur supplice. Il identifiera ses bourreaux: quatre civils et quatre militaires, qui ont réussi mystérieusement à sévaporer de leurs casernes. RATA cessa son travail pendant deux semaines, avant de reprendre courageusement sa route. Cest à lappel de cette organisation, que les Brigades Internationales de la Paix lorganisation dont je fais partie commencèrent à fournir un accompagnement protecteur en Aceh.
Toutefois, dès mai 2003, avec le début de la plus grande opération militaire de ces trente dernières années en Indonésie (40000 hommes) et la déclaration de la loi martiale en Aceh, la région a été fermée à tous les observateurs internationaux (ONG ou journalistes). Cest donc de Médan, la ville la plus proche, que je recevais des nouvelles dAceh Que sy passait-il: un simulacre délections sous le régime de la loi martiale en 2004 seuls le Zimbabwe, le Pakistan et la Birmanie ont connu des élections dans des conditions semblables! , la population civile prise en otage par le GAM et larmée indonésienne, la crainte dêtre «disparu», le système judiciaire tourné en triste comédie. Et tout cela sur la toile de fond dune extrême pauvreté: avant le tsunami, selon les chiffres officiels du gouvernement, 40% de la population de cette région vivait au-dessous du seuil de pauvreté. Plus que tout, cétait lisolement dun peuple qui mourait dans loubli, victime dune guerre cachée.
Le tsunami a ouvert au monde et non aux seuls intérêts des multinationales les portes dAceh Souvenons-nous pourtant quAceh subit encore létat durgence, et restons vigilant-e-s. Il ne faut pas que largent récolté vienne alimenter le conflit ou que les défenseurs des droits humains soient «disparus» et comptés au nombre des victimes du tsunami. Faisons notre possible pour que les portes dAceh ne se referment pas sur la solidarité internationale, mais quelles souvrent sur la paix, le respect des droits humains et la justice sociale.
Sylvie GRAENICHER