Chômage, précarité, exploitation… Ne restons pas spectateurs

Chômage, précarité, exploitation… Ne restons pas spectateurs

Au moment où nous bouclons ce numéro, tous les regards se tournent vers la France, qui connaît l’une de ces vagues de fond du mouvement social qui marquent son histoire.

Contre le CPE et la politique du gouvernement ce sont plus d’un million à un million et demi de manifestant-e-s qui sont descendus dans la rue le 18 mars, étudiant-e-s, lycéen-ne-s, travailleurs-euses… sont engagé-e-s dans une épreuve de force massive avec le gouvernement pour obtenir le retrait d’un CPE… aux initiales synonymes de Chômage, Précarité et Exploitation, qui est conspué aux six coins de l’Hexagone. Comme pour le référendum contre la Constitution européenne néolibérale, il s’est manifestement enclenché outre-Jura un processus de débat et de mobilisation autonome, solidaire, dont les acteurs sentent qu’ils-elles peuvent emporter cette bataille, ce qui amplifie encore la mobilisation.

Ni la répression violente qui a laissé un militant syndicaliste de SUD-PTT dans le coma, ni les appels au «dialogue» de Villepin ou de Chirac et leurs propositions d’«aménagement» de la loi, ni les tentatives de division du mouvement entre jeunes et adultes, entre «violents» et «non violents», n’ont fonctionné. Les sondages sont écrasants 70% de rejet du CPE… et aujourd’hui les syndicats appellent à une grève nationale le 28 mars…

Tout ça pour refuser quoi? Pour refuser le «deal» consistant à démanteler encore un petit bout du droit du travail en vigueur en France et créer un contrat spécifique permettant de licencier des salarié-e-s de moins de 26 ans, sans motif pendant les deux premières années d’emploi, en échange d’une prétendue relance de l’embauche de jeunes par les patrons.
La ficelle est un peu grosse, on connaît ça chez nous, c’est le coup classique: accepter de démonter la protection contre les licenciements, pour «lutter contre le chômage», accepter les baisses d’impôts pour les riches, pour «consolider les finances publiques», accepter de privatiser pour «améliorer le servie au public» etc. En Suisse, un exemple vient à l’esprit: à Zurich l’an dernier, une élue verte à l’exécutif de la Ville ne proposait-t-elle pas de mettre sur pied des emplois «rémunérés» à hauteur de 1000 Fr. par mois de salaire pour aider à l’«insertion dans le marché du travail» de personnes à l’assistance…

Mais pour en revenir à l’affaire du CPE français, au-delà de la sympathie et de la solidarité que peut susciter une telle lutte, elle nous confronte froidement aux réalités helvétiques. En effet, le régime inacceptable de licenciements sans motifs que le CPE tente d’introduire en France… est la règle de ce «droit divin» patronal qui règne dans notre pays pour tous-toutes les salarié-e-s.

Un exemple pour prendre la mesure de cette situation: fin 2003, la majorité du Conseil national rejetait – au nom du refus d’accroître les «contraintes bureaucratiques et légales» – une proposition parlementaire visant «simplement» à introduire une obligation pour les employeurs de donner un avertissement écrit à un employé, comme préalable à son licenciement «pour comportement ou prestations inappropriées». Même les syndicalistes et représentant-e-s des travailleurs-euses licenciés abusivement ne se voient pas reconnaître le droit d’être réintégrés… et la Suisse est en passe d’être condamnée par l’OIT pour ce scandale.

Le droit de grève lui-même est remis en cause ces jours par les patrons suisses après la longue grève des travailleurs de Swissmetal. Ils martèlent le caractère absolu et sacro-saint de leur «paix du travail» que ceux-celles de la Boillat ont «violé» pour défendre leurs droits élémentaires. Pour Peter Hasler, directeur de l’Union patronale suisse, s’exprimant l’autre jour dans la NZZ, hormis la paix du travail «les employés n’ont en fait rien à offrir» et les conventions collectives n’ont pas de sens.

Par rapport à la France, on a l’impression d’être sur une autre planète… Mais ce n’est évidemment pas vrai! Regarder les luttes de nos voisin-e-s comme celles d’extra-terrestres sympathiques et tenter de nous défendre seul-e-s sur notre «île» helvétique est un leurre. Alors comment réagir? D’abord en organisant «chez nous» une mobilisation de solidarité avec nos camarades français. Pourquoi ne serions-nous pas de nombreux-euses, jeunes avant tout, à manifester le 28 mars devant la représentation de l’Etat français en Suisse romande? Ensuite en prenant appui sur cette lutte pour faire avancer ici la contestation d’un ordre du travail dicté par et pour les patrons. Interdictions de licenciements dans les entreprises qui font des bénéfices, salaire minimum légal… respect des droits élémentaires des travailleurs-euses… Refus du chômage, de la précarité, de l’exploitation… Unschweizerisch? En effet et on assume!

Marie-Eve TEJEDOR