Victor le conquérant

Victor le conquérant

C’est à un vibrant témoignage sur son père Victor que l’auteur nous invite. Ce récit rend hommage à un père combatif, confronté en Suisse, dès le plus jeune âge, à l’hostilité, la xénophobie, le mépris. A l’âge de huit ans, Victor, orphelin de mère, est placé, par son père Basile, auprès de paysans vaudois, Thénardier en puissance. Raymond Durous retrace avec force détails, les conditions de vie extrêmement dures dans les campagnes vaudoises, après la Première Guerre mondiale, pour un enfant d’émigré italien contraint de travailler pour subvenir à ses besoins. L’auteur dépeint l’irascibilité de ces paysans qui humilient, maltraitent et affament souvent le jeune Victor. Il rappelle aussi, avec la flamme de l’enseignant qu’il est devenu, le déni auquel son père est confronté lorsqu’il a l’“outrecuidance” de prétendre à une formation.

Au-delà de la description des conditions de vie et de travail de son père, tant dans les fermes vaudoises que, dès les années 1920, sur les chantiers de constructions, l’auteur s’arrête particulièrement sur la formation sociopolitique de celui-ci. Quittant le canton de Vaud au milieu des années 1920, Victor part pour Genève – «ville où il découvrit la solidarité ouvrière» (p. 102) – et côtoie Lucien Tronchet, contremaître du chantier dans lequel il travaille et qui lui «insuffle le goût de la lutte et de la revendication» (p. 106). Il s’initie alors à la lutte politique, après avoir combattu âprement pour sa propre survie. L’engagement antifasciste est vécu en revanche comme un tiraillement, une manière bien spécifique d’appréhender la «double absence» de l’émigré. Ainsi, Victor vibre avec la Squadra et se réjouit des victoires italiennes à la coupe du monde de 1934. C’est la revanche de l’émigré italien, «une façon de s’identifier à […] un vainqueur issu du groupe minoritaire et discriminé dont il faisait partie» (p.92). Mais il ne peut s’empêcher d’associer ces victoires sportives au régime fasciste qu’il abhorre.

L’auteur enfin s’arrête sur son enfance à Lausanne dans les années 1940-1950, sa rage contre la xénophobie ambiante, sa reconnaissance envers les enseignants qui l’ont aidé, et finalement son tribut à son père, qui n’a jamais cessé de l’encourager afin qu’il ait une vie meilleur. Ce récit, écrit en hommage à Victor, entend cependant également apporter un éclairage sur les conditions bien actuelles faites aux émigré-e-s en Suisse et ailleurs. Dans ce sens, ce témoignage est exemplaire à bien des égards. Comme le soutient Raymond Durous: «Rien malheureusement n’a véritablement et fondamentalement chang酻 (p. 302).

Stéfanie PREZIOSO

Raymond Durous, Victor le conquérant, Vevey, Editions de l’Aire, 2006, 329 p.