Pas de Justice sans justice de genre
La situation en Palestine, au Soudan ou encore au Congo rappelle, aujourd’hui plus que jamais, la nécessité d’une analyse genrée des conflits, guerres et génocides.
L’agenda de l’ONU sur « Femmes, Paix et Sécurité » établi en 2000 ainsi que l’inclusion du viol et des violences sexuelles en tant que crimes internationaux dans le Statut de Rome établissant la Cour Pénale Internationale, ont tous deux dévié de leurs buts originels de visibiliser les victimes et survivantes de violences de genre en période de conflits armés. L’objectif initial était d’amener une analyse féministe à un domaine jusqu’alors perçu comme relevant exclusivement d’approches sécuritaires, militaires et humanitaires.
L’agenda « Femmes, Paix et Sécurité » a focalisé son travail de manière disproportionnée sur les auteurs de viols et de violences sexuelles. Il a réduit la dimension genrée de l’analyse des conflits au viol en tant qu’arme de guerre, invisibilisant la myriade de violations des droits humains des femmes et des filles, perpétrée dans ces contextes et le manque d’accès à la justice et à des réparations transformatives. Il a surtout enlevé aux victimes et survivantes toute agentivité et autonomie, illustrant un système global patriarcal qui ignore et minimise de manière systématique les violences faites aux femmes et aux filles ainsi que leurs droits et revendications.
Ces manquements ont été cruellement mis en lumière au cours des deux dernières années, dans le cadre du génocide mené par Israël contre le peuple palestinien. Dans le cadre de sa politique génocidaire, Israël a créé une architecture necropolitique qui ne repose pas uniquement sur l’annihilation physique de la population palestinienne, la destruction de son environnement et de sa terre, mais cible sciemment l’infrastructure de reproduction sociale.
Ces violences et crimes se traduisent par exemple par les meurtres et le ciblage de femmes enceintes, par la destruction d’hôpitaux et de cliniques spécialisées dans la santé maternelle et infantile, par les viols et violences sexuelles n’épargnant personne, par des politiques et pratiques visant à prévenir les naissances, crime international participant au crime de génocide comme soulevé, entres autres, par la Cour Internationale de Justice.
L’illustration la plus macabre et perverse de ces formes de violence est la destruction de cliniques spécialisées dans le traitement de l’infertilité et dans les fécondations in-vitro par la puissance occupante, signal des plus clairs que même les embryons palestiniens sont perçus comme des menaces en puissance qu’il faut supprimer pour empêcher toute nouvelle naissance et promesse de renouvellement de la vie.
Ces crimes ont été largement passés sous silence par la communauté internationale, les médias traditionnels et les réseaux et collectifs soi-disant féministes des groupes et pays dominants.
Devant ce discours hégémonique de déshumanisation qui n’hésite pas à faire usage de la répression pour se protéger, il ne nous reste plus qu’à amplifier les demandes et revendications des féministes de la région SWANA et d’autres régions touchées par les conflits, guerres et génocides : en rompant avec les dynamiques coloniales pervasives jusque dans nos mouvements, en demandant des comptes aux pays responsables, en utilisant le boycott, le désinvestissement et les sanctions comme outils de pression, et recentrant une analyse féministe dans nos demandes de justice et libération.
Paola Salwan Daher