Palestine
Israël
La ruse de la violence genrée dans la guerre d’Israël
On nous demande d’assister — écrit la chercheuse Sarah Ihmoud — encore et encore, à la violation massive des corps des Palestinien·nes, y compris à la torture sexualisée, de digérer les témoignages de femmes palestiniennes violées pendant leur détention par l’armée israélienne. Comment comprendre ce spectacle violent qui se déroule encore et toujours?

La guerre est toujours une mise en scène de l’hyper-masculinité par laquelle l’atrocité sexuelle transforme le corps des femmes en moyen de communication entre hommes. Les politiques de genre et de sexualité ont joué un rôle central dans la violence génocidaire d’Israël depuis ses débuts ; le viol a été utilisé pour terrifier les communautés palestiniennes et les forcer à fuir leurs maisons et leurs villages ancestraux.
Le corps des femmes autochtones: champ
de bataille
En 1948, ce sont nos arrière-grands-mères qui racontaient leurs agressions à Deir Yassin. Aujourd’hui, ce sont leurs petites-filles à Gaza. Dans la guerre et les conflits militaires, le corps des femmes est toujours considéré comme une périphérie nationale symbolique. Dans le génocide, le corps et la sexualité des femmes autochtones sont ciblés en raison de ce qu’ils représentent: la terre, la reproduction autochtone, la souveraineté et la possibilité d’un avenir autochtone.
Si le viol ou la violence sexuelle peuvent être infligés au corps des femmes, leur objectif plus large est souvent d’humilier et de punir le collectif auquel elles appartiennent. La logique genrée de la performance militarisée aujourd’hui à Gaza vise précisément à nous forcer, par la violence de masse et la terreur psychologique, à reconnaître et à accepter notre défaite.
Pourtant, nous, femmes et féministes palestiniennes, sommes constamment invitées à participer à notre propre pathologisation et criminalisation par les puissances coloniales, à reproduire les récits culturalisés qui contribuent à la violence prolongée dirigée contre nos communautés et à intérioriser la peur de nos oppresseurs·euses.
Violence sexiste coloniale et patriarcale
Le désir du mouvement sioniste de discipliner, de criminaliser et de terroriser les femmes et les féministes palestiniennes pour les empêcher de dénoncer la violence sexiste qui est au cœur même du projet colonial et dont nous sommes témoins à grande échelle, doit être reconnu et nommé pour ce qu’il est: un recyclage et un repli des logiques sexistes de la politique génocidaire d’Israël sous une autre forme.
Le viol et la violence sexuelle sont endémiques dans les conflits armés et la condamnation de ceux-ci dans nos propres communautés est essentielle à notre libération en tant que peuple. Nous luttons depuis des décennies pour la libération de genre tout en luttant contre le colonialisme, reconnaissant que la violence coloniale et la violence patriarcale sont, en fait, profondément liées.
Pourtant, nous reconnaissons l’ironie cruelle de voir le langage et le discours mêmes du féminisme être utilisés pour justifier notre propre élimination en tant que peuple par les mêmes puissances qui dénoncent la violence de genre. Que fait le sionisme lorsqu’il viole nos femmes, assassine en masse nos enfants et tente de nous faire mourir de faim tout en nous punissant pour avoir qualifié ces actes de génocide? Nous voyons cela comme une nouvelle tentative pour nous diaboliser en tant que femmes palestiniennes, pour démoniser et pathologiser nos hommes palestiniens, pour briser nos liens sacrés les un·exs avec les autres et avec notre patrie ; pour orchestrer les effets de la peur, de la terreur et de la défaite généralisées.
Ruse de la violence de genre
Cette violence disciplinaire est précisément un élément clé de ce que la professeure Nadera Shalhoub-Kevorkian appelle la «ruse de la violence de genre». Ironiquement, la rhétorique et la reconnaissance de la violence de genre exercées par les figures d’autorité de la communauté de gouvernance mondiale peuvent masquer la violence de genre des puissants acteurs étatiques. La répression par Israël de Shalhoub-Kevorkian, l’une des militantes féministes palestiniennes les plus renommées de notre époque, dont le travail pionnier a centré sur les expériences des Palestiniennes face au colonialisme de peuplement et à l’occupation militaire pendant près de trois décennies, est à la fois un message d’intimidation et un cas d’école.
L’instrumentalisation par le projet sioniste des allégations de viol pour infliger davantage de violences aux femmes palestiniennes et aux féministes qui dénoncent les atrocités de masse vise à nous terrifier, à nous discipliner pour nous faire taire et devenir complices. Ces tactiques sont centrales dans l’utilisation de la violence sexuelle comme arme dans les politiques génocidaires de l’État israélien à Gaza.
Si nous voulons vraiment mettre fin aux violences sexuelles dans les génocides et les conflits armés, nous devons prendre au sérieux les allégations bien documentées de violences sexuelles contre les femmes, les hommes et les enfants palestiniens que les femmes et les féministes palestiniennes dénoncent depuis 1948. La Nakba en cours doit être stoppée. Rejeter la reproduction violente de la ruse de la violence de genre est une responsabilité féministe qui nous permet de nommer les logiques de genre du génocide colonial.
Sarah Ihmoud anthropologue socioculturelle chicana-palestinienne. Publié sur le site Jadaliyya.com en anglais, adapté et traduit par notre rédaction