Mustapha Barghouti: solidarité avec le peuple palestinien
Mustapha Barghouti: solidarité avec le peuple palestinien
Mustapha Barghouti préside lune des plus importantres ONG Palestiniennes, la «Union of Palestinian Medical Relief Committees» et est une personnalité parmi les plus connues de la lutte des Palestinien-ne-s pour la justice et lindépendance. Nous lavons rencontré à la mi-avril à Genève, à loccasion dune conférence spéciale de la session de la commission des droits humains de lONU sur les conséquences de la construction du mur en Palestine.
Mustapha Barghouti, vous avez participé très activement à tous les principaux forums sociaux mondiaux et continentaux de ces dernières années. Avec quels objectifs?
Parce que nous croyons que ce sont des rendez-vous très importants pour la mobilisation de soutien à la cause palestinienne et parce que nous croyons que les Palestiniens ne vont jamais obtenir la liberté et lindépendance sans un soutien fort de la part du mouvement international pour la solidarité et la paix. Nous savons que la place naturelle de la solidarité avec les Palestiniens se trouve dans le mouvement mondial pour la paix et dans les forums sociaux, parce que les trois luttes, celle des forums sociaux, celle des mouvements pour la paix et contre la guerre et celle pour la cause palestinienne, ces trois luttes portent toutes sur la justice. Je peux désigner le problème principal en Palestine comme celui de linjustice, une très grave injustice.
Je doute quil y ait jamais eu une aussi fausse représentation dun conflit que sur la question palestinienne. On accuse les Palestiniens dêtre la cause du conflit, alors quils sont les victimes de lagression et de loppression. Lexpérience nous a montré que les forums sociaux sont un allié naturel du peuple palestinien. Ce nétait pas aussi clair au début; il a fallu de trois ans de bon travail. Mais le dernier Forum de Bombay a constitué une sorte de couronnement pour la compréhension et le soutien de notre cause. En Inde, pour la première fois, la Palestine a pu participer à la séance douverture et cela a eu des effets très positifs.
Dautre part, ce qui sest passé hier, avec la rencontre de Bush et Sharon, montre que ceux qui pensaient que Bush, une fois lIrak conquis, allait prendre une attitude moins unilatérale envers la question palestinienne se trompaient. La vie nous a montré que lattitude de ladministration US est la même partout: on ne peut pas sattendre à ce que le négatif devienne positif, simplement parce que cela se passe dans une autre région. Ce nest simplement pas le cas.
Estimez-vous quun soutien à lInitiative de Genève doive figurer à lagenda des mouvements internationaux pour une paix juste dans le conflit entre Israël et les Palestiniens?
Pas vraiment, parce que je pense que malheureusement ce genre dinitiative a eu pour effet de distraire lattention des vraies questions et quen plus elle a divisé le mouvement pour la paix sur les questions concernant la Palestine. Et je ne pense pas quil faille nous laisser distraire ou diviser. La question palestinienne est assez simple à comprendre si on la regarde de manière correcte: la lutte des Palestiniens est une lutte de libération nationale, comme la lutte des Algériens ou des Vietnamiens était une lutte pour lindépendance; elle a des points communs avec la lutte des Sud-Africains contre lApartheid.
Cest de cette manière quil faut comprendre notre lutte. Il ne faut pas se tromper en pensant quil sagit dune dispute au cur dune négociation. Cest la lutte dun peuple opprimé. Et il ny a pas de rapprochement à faire entre loppresseur et lopprimé, entre loccupant et loccupé. Loccupation que nous subissons dure depuis 37 ans, cest loccupation la plus longue de lhistoire moderne et cette occupation est en train de se transformer en une sinistre forme dApartheid. Un véritable Apartheid qui sexerce par la construction du Mur, par loppression du peuple palestinien, par les check-points, par les clôtures. Cest pourquoi il ne doit pas y avoir déquivoque dans le soutien au droit des Palestiniens à la liberté et à lindépendance.
Je crois que le problème de lInitiative de Genève, cest quil sagit dun demi-accord, fondé sur un dispositif complémentaire«X» qui nexiste pas. Politiquement cest irresponsable de soutenir un accord, alors que lon ne connaît pas une bonne partie de ce quil contient. Je ne peux pas demander à quelquun de signer un papier à moitié blanc. Deuxièmement, et on le comprend mieux aujourdhui avec lappui donné par Bush au plan Sharon, ce processus de négociations continuelles qui conduit les Palestiniens à faire une concession après lautre, est utilisé pour imposer graduellement un système dApartheid. Cest évident avec la question des réfugiés, où lInitiative de Genève équivaut à renoncer au droit international.
Le pire enfin, cest que les articles de cet accord nient le droit à un Etat souverain. Je suis daccord pour avoir un Etat palestinien démilitarisé. Mais alors, pourquoi en laisser utiliser lespace aérien aux forces aériennes israéliennes? Pourquoi devrions-nous avoir des troupes internationales stationnées à la frontière avec la Jordanie, mais pas sur la frontière avec Israël? Pourquoi les Palestiniens ne seraient-ils pas autorisés à contrôler leurs frontières? Pourquoi, à lintérieur de cette petite Cisjordanie, devrait-il rester deux bases militaires israéliennes, que lon ne pourrait démanteler sans laccord dIsraël? Pourquoi Israël devrait-il annexer 85% de Jérusalem-Est? Et pourquoi faudrait-il rendre légitimes les colonies?
Je crois quil devient de plus en plus clair, surtout après ce qui sest passé avec la rencontre entre Bush et Sharon, que nous assistons à un processus de destruction des principes de base de la paix: une concession par ici, une autre par là pour ensuite consolider le tout dans un plan qui napportera pas la paix.
Récemment vous avez publié un article sur le «nettoyage ethnique à Rafah». Sur quoi porte le plan de «retrait unilatéral» de Sharon à Gaza?
Ici aussi il y a un énorme fausse interprétation. Ce plan est présenté comme sil y avait un retrait de Gaza, alors quil ny en a pas. Daprès les plans de Sharon et ce qui se passe dans la réalité cest un processus qui aboutit à transformer Gaza en une énorme prison. Un énorme ghetto encerclé de tous les côtés par larmée israélienne.
Sharon la dit très clairement: Gaza naura pas de connections avec le monde extérieur, ni par le ciel, ni par mer, ni par la terre. Il veut garder une zone qui encercle la bande de tous les côtés, ainsi que quatre colonies au Nord. La surface quil entend garder correspond pratiquement à 40% de la surface de la Bande de Gaza. Maintenant il détruit des maisons, surtout le long de la frontière à Rafah, 5 à 6 maisons tous les jours. Il en a déjà démoli deux mille. Et les soldats tirent sur quiconque essaie dapprocher ces zones. Larmée israélienne a déjà tué 82 enfants âgés de moins de 16 ans qui essayaient de retourner là où se trouvaient leurs maisons. Sérieusement, on ne peut pas appeler ça un retrait: cest un simple redéploiement pour se débarrasser de la responsabilité de 1,2 millions de personnes, tout en les gardant prisonnières.
Quel chemin pour les Palestiniens dans cette situation?
La seule manière, cest dinsister pour la reconnaissance de nos droits et demander une paix juste et véritable. Cela suppose larrêt de loccupation, la restitution de leurs droits aux Palestiniens, la fin de loppression et la mobilisation dun très fort mouvement de solidarité internationale. Si la situation actuelle continue, la communauté internationale devrait songer à des sanctions. Comme ce fut le cas avec lAfrique du Sud.
Nous sommes en train de devenir un cas comme lAfrique du Sud, dans tous les sens du terme. Je sais quil y a des gens qui naiment pas cette comparaison ou qui refusent de la voir, mais cest la réalité. Cest une réalité horrible. Et on ne peut plus la cacher. Le Mur ne peut pas être caché. Il est bien pire que celui de Berlin: trois fois plus long et deux fois plus haut. Il coupe Jérusalem en deux morceaux, Bethlehem en deux morceaux, de même que Ramallah et beaucoup dautres endroits. Le Mur sépare les Palestiniens des Palestiniens, non pas les Palestiniens des Israéliens. Il enclave 780000 personnes dans des entités-ghettos. Il enferme 78 communautés, complètement encerclées. On peut vraiment dire que nous nous trouvons dans une mauvaise situation.
Voulez-vous encore ajouter quelque chose?
Merci. Je voudrais juste dire que nous sommes reconnaissants envers tous ceux qui sengagent pour aider et soutenir le droit et la justice. Nous ne voulons pas que les gens nous aident parce que nous sommes Palestiniens. Nous voulons que les gens soutiennent les principes véritables des droits humains et de la justice. Je sais que tout le monde voudrait que la paix simpose. Oui, la paix peut simposer en mettant fin à cette terrible agression et à linjustice qui se développe actuellement.
Propos recueillis et traduits
par Tobia SCHNEBLI