Irak, une guerre de libération nationale

Irak, une guerre de libération nationale

«Avec les armes les plus mortelles, à coups de milliards de dollars, plus de 120000 envahisseurs étrangers – des terroristes dans tous les sens du terme – ont détruit la fabrique d’une nation qui avait survécu les années Saddam». Sans aucun doute, les forces de la coalition impériale font face à une guerre de libération nationale en Irak. Il faut «qu’elles s’en aillent avant d’être jetées dehors!»

Le fait qu’un soulèvement national est en cours en Irak depuis plus d’un an et qu’il unifie au moins quinze groupes principaux, dont la plupart étaient opposés à l’ancien régime, a été supprimé du lexique mensonger inventé par Washington et Londres, et répété à satiété dans le style CNN. On ne parle que d’«arrière-gardes», de «tribalistes» et de «fondamentalistes», tandis l’on refuse à l’Irak l’héritage d’une histoire dans laquelle une grande partie du monde moderne prend racine. Pour le «premier anniversaire», un sondage risible établit que la moitié des Irakien-e-s se sentiraient mieux maintenant, sous l’occupation. La BBC et le reste du monde ont avalé tout ça. Pour découvrir la vérité, je recommande le courageux reportage quotidien de Jo Wilding, un observateur britannique pour les droits humains à Baghdad (www.wildfirejo.blogspot.com).

Une occupation coloniale

Même maintenant, tandis que le soulèvement se généralise, on ne perçoit que gesticulations obscures autour d’une évidence: il s’agit d’une guerre de libération nationale et l’ennemi c’est «nous». L’attitude du Sydney Morning Herald, favorable à l’invasion, est typique. Ayant exprimé sa surprise face à l’unification des chiites et des sunnites, le correspondant du journal à Bagdad décrivait récemment «comment les GIs se font des ennemis de leurs amis irakiens» et comment lui et son chauffeur ont été traités par les Américains. «Je vais te foutre dehors en flash, motherfucker», a lancé un soldat au reporter. Il n’était pas dit que ce n’était qu’un aperçu de la terreur et de l’humiliation que les Irakiens doivent endurer chaque jour dans leur propre pays; pourtant, ce journal a publié nombre de photos complaisantes sur des soldats US en deuil, suscitant la sympathie envers un envahisseur qui a tué des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants innocents.

Ce que nous faisons de façon routinière dans l’Occident impérial, écrivait Richard Falk, professeur de relations internationales à Princeton, c’est de propager «par une représentation auto-justificatrice, moralement et légalement univoque, des images positives des valeurs occidentales et de l’innocence mise en péril, qui valident une campagne de violence sans restriction». Ainsi, le terrorisme d’Etat occidental est dissimulé, la doctrine dominante du journalisme occidental visant à excuser et à minimiser «notre» culpabilité, aussi atroce soit-elle. Nos victimes comptent; les leurs non.

Une histoire qui se répète

C’est une vieille histoire; il y a eu beaucoup d’Iraks, que Blair appelle des «luttes historiques» contre «des insurgés et des terroristes». (…) [L’auteur évoque la répression des Mau-Mau au Kenya en 1955 et le massacre de villages entiers, comme My Lai, au Vietnam]

La tragédie bien réelle des soldats engagés dans une occupation coloniale est aussi oblitérée. Plus de 58000 soldats US ont été tués au Vietnam. Le même nombre, selon une étude de vétérans, se sont donnés la mort après leur retour. Le Dr Doug Rokke, directeur du projet «uranium appauvri» de l’armée, après la guerre du Golfe de 1991, estime que plus de 10000 soldats américains sont morts, depuis lors, essentiellement des suites de maladies liées à la contamination. Lorsque je lui ai demandé combien d’Irakiens sont morts, il a levé les yeux au ciel et secoué la tête. «De l’uranium solide a été utilisé dans les projectiles», a-t-il dit. «Des dizaines de milliers d’Irakiens – hommes, femmes et enfants – ont été contaminés. (…)». Durant l’invasion de l’an dernier, les forces US et britanniques ont toutes deux utilisé de nouveau des munitions à l’uranium, laissant des régions entières si saturées de radiations, que seules des équipes d’inspection militaires avec des habits de protection complets peuvent les approcher. Les civils irakiens ne sont pas avertis et ne reçoivent aucune assistance médicale; des milliers d’enfants jouent dans ces zones. La «Coalition» a refusé de permettre à l’Agence Internationale de l’Energie Atomique d’envoyer des experts pour évaluer ce que Rokke décrit comme «une catastrophe».

A quand la vérité?

Quand cette catastrophe sera-t-elle correctement rapportée par ceux qui sont supposés nous informer objectivement? Quand la BBC et les autres médias enquêteront-ils sur les conditions de détention de quelque 10000 Irakiens, internés sans qu’aucune charge n’ait été retenue contre eux, et pour nombre d’entre eux torturés, dans des camps de concentration US en Irak, ainsi que sur le confinement de villages irakiens entiers derrière des fils de fer barbelés? Quand la BBC et les autres médias cesseront-ils de parler de «transfert de la souveraineté irakienne» au 30 juin, alors qu’une telle restitution n’aura pas lieu? Le nouveau régime sera fantoche, avec chacun de ses ministères contrôlé par des officiels Américains, avec son armée et sa police fantoches dirigées par des Américains. Une loi héritée de Saddam, qui interdit les syndicats du secteur public, restera en force. Des membres dirigeants de l’infâme police secrète de Saddam, le Mukhabarat, s’occuperont de la «sécurité de l’Etat», sous la direction de la CIA. L’armée US disposera du même type d’accord que celui qu’ils imposent aux nations hôtes de leurs 750 bases à travers le monde et qui les laissent à la tête des affaires. L’Irak sera une colonie US, comme Haïti. Et quand les journalistes auront-ils le courage de rapporter le rôle clé joué par Israël dans ce grand dessin colonial au Moyen-Orient? (…)

On dit que les officiers britanniques en Irak considèrent la «tactique» actuelle de leurs camarades US comme «effrayante». En réalité, c’est la nature même de toute occupation coloniale qui est «effrayante», comme l’attestent les treize familles irakiennes tuées par des soldats britanniques qui intentent un procès au gouvernement britannique. (…)

John PILGER*

* Cet article est paru dans le New Statesman du 15 avril. Titre, intertitres, traduction et coupures de la rédaction.