Salariés, jeunes, cause commune...entretien avec Daniel Bensaïd
Salariés, jeunes, cause commune…entretien avec Daniel Bensaïd
En France, deux mois de grève générale de la jeunesse, avec le soutien et les énormes manifestations unitaires de salarié-e-s, fait trébucher Villepin, Chirac et Sarkozy sur le CPE. Cela faisait longtemps que monde du travail et jeunesse navaient pas remporté de succès par la mobilisation. Cest une victoire politique, une victoire de la ténacité, de lunité, et de la volonté collective de dire NON jusquau bout quand le pouvoir prétend imposer ses diktats. Nous publions ici un entretien avec Daniel Bensaïd, militant anticapitaliste et philosophe, sur la portée et la nature de ce mouvement, montrant notamment le lien étroit sociologique entre étudiant-e-s, lycéen-ne-s et jeunes de banlieues. Il a été réalisé peu avant le retrait du CPE.*
La mobilisation contre le CPE est la troisième mobilisation sociale en France depuis une année: penses-tu quon peut parler dune nouvelle vague de luttes sociales en France?
Il y a différentes manières possibles de périodiser le mouvement social en France. Ainsi, les grèves de lautomne 1995 contre la réforme de la sécurité sociale et pour la défense du service public marquent sans aucun doute une date clef dans la résistance aux contre-réformes libérales. Si cette lutte na pas pu empêcher la réforme de sappliquer elle a entraîné la chute différée (un an après) du gouvernement Juppé. En outre, elle sinscrivait dans un mouvement plus général doppositions croissantes aux politiques libérales qui sest exprimé à partir de 1999 dans le mouvement altermondialiste.
Une nouvelle séquence est apparue à partir de lélection présidentielle de 2002 et du hold-up électoral réussi à lépoque par Jacques Chirac, élu au second tour grâce à la peur de Le Pen, avec un score à la Loukachenko (82% des voix!), alors quil navait recueilli que 18% au premier tour!
Il en est résulté une majorité et un président à la légitimité très faible et pourtant très brutaux dans la poursuite des réformes libérales. Ainsi, il y a eu en 2003 un grand mouvement de mobilisation contre la réforme des retraites (avec une grève de plusieurs semaines des enseignant-e-s), mais ce mouvement a été battu. Il y a depuis deux ans des luttes locales contre les délocalisations et les privatisations, mais la plupart défaites (comme plusieurs grèves dures à Marseille à lautomne dernier). Plutôt que dune nouvelle vague de luttes, on pourrait donc parler dun durcissement des résistances sociales, mais lavenir dépend désormais beaucoup de lissue de la lutte contre le CPE.
Une mobilisation de cette ampleur ne se reproduit pas tous les ans. Cest pourquoi gouvernement et manifestant-e-s (mouvement jeune comme syndicats, parents, etc.) sont conscients de ce qui se joue. Il serait en effet un peu court dattribuer lintransigeance gouvernementale au caractère psychorigide de Villepin. Il lest sans doute, mais cest secondaire par rapport au fait que le gouvernement sait très bien que sil parvient à passer en force malgré cette mobilisation, lhorizon sera dégagé pour le démantèlement encore plus systématique du Code du travail, la précarisation généralisée, la flexibilisation, le durcissement de la législation discriminatoire sur limmigration, etc. En revanche, sil était forcé à reculer, les réformes libérales seraient bloquées jusquà lélection présidentielle de 2007 et le climat serait tel quen cas même de victoire de la gauche social-libérale elle aurait du mal à trouver des marges de manuvre dans un rapport de force moins défavorable au mouvement social.
Crois-tu quil y a la possibilité de créer des liens entre les différentes luttes sociales? Et si oui, comment? La relation entre les étudiant-e-s et jeunes des banlieues est souvent tendue
Cest plus quune possibilité. Ces liens existent déjà. Et cest assez logique étant donné que la question du contrat première embauche illustre et cristallise la précarisation généralisée de lemploi sous différentes formes et à différents niveaux. Cest pourquoi la mobilisation commune jeunes/salariés ne relève pas cette fois dune «solidarité» extérieure des seconds envers les premiers, mais dune cause commune. Cest aussi ce qui explique la participation des enseignants au mouvement (participation et non solidarité) ou le soutien des principales organisations de parents délèves aux manifs, voire aux occupations et blocages détablissements scolaires. Contrairement à ce que prétend le gros mensonge gouvernemental, le CPE nest pas une réponse ciblée au soulèvement des banlieues en novembre dernier, destiné à ouvrir le marché du travail aux jeunes les plus exclus et les moyens dotés de capital scolaire. Il nest en effet que le frère jumeau du contrat nouvel embauche (CNE) destiné aux chômeurs-euses et mis en place par surprise, en pleines vacances, en août 2005 pendant la marche accélérée des 100 premiers jours de gouvernement Villepin. La soudaineté de la mesure et le poids du chômage et de la précarité sur les salarié-e-s ont fait que la riposte à lépoque na pas eu lieu. Mais les syndicats ont parfaitement compris quil sagissait dune offensive en règle contre le Code du travail et les garanties de négociation collective. Il y a donc bien une base commune et des intérêts convergents, même sils ne sont pas spontanément conscients chez tous les acteurs.
Cest là quintervient le rapport entre étudiant-e-s et jeunes des banlieues. Mais les catégories sont discutables et leur opposition dans une large mesure artificielle. Sociologiquement dabord. La grande majorité des jeunes dits des banlieues sont aussi des collégien-ne-s et des étudiant-e-s comme les autres qui manifestent et occupent leurs lycées ou leurs facs (par exemple dans mon université, Paris 8, qui est dans le 93 devenu emblématique des départements désolés) et y recrute la majorité de ses étudiant-e-s). Le gouvernement a beaucoup parlé de «mixité sociale» après le soulèvement de novembre. Pratiquement, cette rhétorique na débouché que sur une promotion homéopathique de figures issues de ce quon appelle désormais dans le discours officiel les «minorités visibles»: un ministre «de légalité des chances» dorigine maghrébine, un «préfet musulman» nommé par Sarkozy, un présentateur intermittent de télévision antillais La véritable mixité sociale, elle se trouve au contraire dans la grande «majorité invisible» des manifestant-e-s, dans la rue, dans les amphis. Il suffit dobserver les cortèges des collèges de banlieues.
Alors lopposition entre facs et banlieues (ou entre vrais étudiants et casseurs) est une construction discursive du pouvoir et des médias. Ainsi, le fameux ministre à légalité des chances (les jeunes de banlieue lont baptisé «le fayot de la République») a publié le 17 mars une tribune scandaleuse dans le journal Libération: «En novembre, on a demandé aux jeunes des banlieues de respecter la loi française. Leurs actes de destruction ont été sévèrement sanctionnés. Voilà pourquoi ces mêmes jeunes ne comprendraient pas pourquoi des lycéens et des étudiants auraient, eux, le pouvoir de changer une loi avec laquelle ils ne sont pas daccord, en occupant des universités et la rue.»
Il faut donc être clair sur les proportions. La grande majorité des jeunes dits de banlieues font partie du mouvement anti-CPE comme les autres. Il peut y avoir une minorité, très infime (quelques centaines par rapport à des centaines de milliers de manifestant-e-s) qui agressent les manifs (spontanément ou non). Là il faut distinguer entre les résistances légitimes aux violences structurelles de la société, à la brutalité dété, aux violences quotidiennes de différents degrés (du harcèlement policier au harcèlement moral, en passant par les humiliations quotidiennes). Cest pourquoi nous avons soutenu inconditionnellement les émeutes des banlieues. Elles étaient légitimes, face aux multiples formes de ségrégation (sociale, spatiale, scolaire, raciale), même si leurs formes et leur efficacité pouvaient être parfois discutables. Mais, pour pouvoir discuter, il fallait dabord soutenir et comprendre avant de juger. Ainsi, si certaines violences ont été autodestructrices ou autophages, portant préjudice au voisin de palier ou aux équipements sociaux pris comme symboles de linstitution étatique en général, cest aussi le produit dune situation. En 1968, on voulait brûler la Bourse, mais aujourdhui pour des jeunes ghettoïsés dans leurs cités, le centre ville est une terre étrangère et hostile. Ils se révoltent sur leur territoire familier, là où ils se sentent davantage chez eux, quitte à autodétruire le peu déquipements sociaux et scolaires qui symbolisent aussi leur échec.
De même, si des jeunes manifestant-e-s affrontent la police, ce ne sont pas forcément «les casseurs» que dénonce le gouvernement (dailleurs les comparutions immédiates des manifestant-e-s arrêtés indique quil sagit jusquà ce jour dans leur grande majorité détudiant-e-s ou de lycéen-ne-s «normaux»). Et même si des jeunes sur un parcours de manif brisent une vitrine pour soffrir des lunettes de soleil quils ne pourraient jamais se payer, ce nest pas bon pour limage de la manif, mais ça na rien de dramatique. En revanche, quand des groupes (de quelques dizaines) agressent les manifestants dans les cortèges (ce qui sétait déjà produit dans le mouvement lycéen de lan passé) pour leur voler leurs téléphones, ils portent atteinte au droit de manifestation, terrorisent les manifestants, et jouent un rôle classique de briseurs de grève. Cest la petite fraction traditionnelle de lumpen qui parasite le mouvement et peut servir à loccasion de groupes de choc pour la droite. Cest sans doute lexpression dune détresse. Mais le comprendre ne le justifie pas. Il importe donc que les services dordre des manifs, sans collaborer avec la police, assurent la propre sécurité des manifestations contre ces provocations.
Quelles sont les analogies et les différences entre ce mouvement contre le CPE et dautres mouvements détudiants en France dans le passé? Mai 68 par exemple?
Si les médias internationaux sintéressent à la comparaison entre Mai 68 et Mars 06, cest beaucoup moins le cas en France, et les jeunes mobilisés semblent plutôt vouloir se débarrasser une fois pour toutes du poids envahissant des soixante-huitards fatigués et de leurs récits danciens combattants.
Les similitudes sont à peu près celles quon a retrouvées dans tous les grands mouvements de jeunesse depuis bientôt un demi-siècle: enthousiasme, courage, humour, insolence, imagination Mais les différences sont bien plus importantes que les ressemblances. La principale tient évidemment au contexte. En 1968, nous approchions sans le savoir du terme des «trente glorieuses» (plus dun quart de siècle de croissance). Nous étions dans une situation de quasi plein emploi (moins de 200 000 chômeurs-euses dits «de friction» autrement dit de courte durée si ma mémoire est bonne, donc sans grande inquiétude pour lavenir. Les thèmes initiaux du mouvement étaient ceux dune critique de la fonction idéologique de luniversité et notamment des «sciences humaines» (inspirée notamment de lexpérience de lUniversité critique de Berlin), dune critique de la société de consommation et de spectacle, dune critique de la vie quotidienne (Henri Lefebvre!) et de la répression sexuelle, et surtout de la solidarité internationale contre la guerre du Vietnam (la guerre dAlgérie et la révolution cubaine avaient marqué lexpérience de cette génération), mais aussi avec les étudiant-e-s polonais en lutte contre la bureaucratie. Ainsi la journée portes ouvertes organisée une semaine après la date symbolique du 22 mars à luniversité de Nanterre (elle na pas réuni plus de 400 ou 500 étudiant-e-s) était organisée en commissions sur ces questions internationales, sur la solidarité avec les luttes ouvrières qui connaissaient une reprise, et sur limmigration. Le mouvement se définissait dailleurs comme un mouvement politique anti-impérialiste, anti-bureaucratique et anti-capitaliste), que comme un mouvement revendicatif ou syndical.
Aujourdhui, après une vingtaine dannées de réaction libérale ou «social-libérale», nous avons au contraire près de 3 millions de chômeurs, près de 6 millions dexclus ou précaires, un nombre croissant détudiants mangent aux restaurants du cur, il y a des salarié-e-s sans domicile fixe, et plus dun million denfants au-dessous du seuil de pauvreté. Autrement dit, lavenir est devenu sombre et inquiétant (80% de la population pense désormais que les enfants connaîtront des conditions de vie pires et non plus meilleures que leurs parents, et 5% seulement des jeunes se disent confiants dans lavenir contre 20% en Allemagne et 30% aux Etats-Unis). Le rapport de force social est donc fortement dégradé par la spirale des défaites passées (dont celle de 2003 sur les retraites). Cest aussi ce qui explique la massivité exceptionnelle du mouvement étudiant-lycéens-collégiens et la liaison assez naturelle avec les syndicats salariés: la précarité est le lot commun. Jusquau milieu des années 70, les pauvres étaient concentrés dans les couches les plus âgées et les moins de trente ans bénéficiaient de la relative prospérité des «trente glorieuses». Cest à partir de 1975 que le pays a commencé à découvrir le chômage de masse en franchissant le seuil du million de chômeurs-euses (contre 250 000 cinq ans plus tôt). Puis dans les années 80 a commencé la longue marche des jeunes pour lemploi avec la multiplication de «contrats aidés», dispositifs, «emplois jeunes», stages. Ils sont peu à peu sortis de plus en plus tard du cocon familial, redevenu une forme élémentaire de solidarité et de protection. Cest ce que les sociologues appellent «lallongement de la jeunesse» et qui est en réalité une dépendance prolongée. Alors que 75% des jeunes embauchés dans lannée suivant la fin de leur formation obtenaient encore un contrat de travail à durée indéterminée en 1984, il ne sont plus aujourdhui que 50%. Lécart de rémunération entre les quinquagénaires et les trentenaires atteint désormais 40% et le taux dépargne des moins de trente ans a chuté de moitié entre 1995 et 2001, alors que celui des quadras et des quinquas augmentait.
En outre le contrôle des partis et syndicats traditionnels sur les travailleurs est bien moindre quen 1968 et la culture démocratique des mouvements sociaux a progressé au fil des expériences de comités de grèves, de coordinations (des infirmières ou des cheminots dans les luttes passées), des assemblées générales, dautant plus que le nouveaux moyens de communication permettent de briser le monopole des directions bureaucratiques centralisées sur la circulation de linformation.
Quelles sont, selon toi, les raisons de cette meilleure capacité de relations et de lien avec les travailleurs-euses et leurs organisations par rapport à 68?
En plus des facteurs mentionnés précédemment, il faut souligner le rôle des organisations politiques (principalement «trotskystes» et libertaires) extraparlementaires (mot de 68) en rupture avec la gauche gouvernementale traditionnelle. En 1968, ces courants étaient à létat embryonnaire (nous avions été exclus du Parti communiste en 1965-66 et les maos en étaient partis en 1967). Ils nexistaient pratiquement pas dans la classe ouvrière, mais presque exclusivement chez les étudiant-e-s et un petit peu dans les lycées. Il était donc facile pour les bureaucratie réformistes dopposer le monde ouvrier aux «petits-bourgeois». Aujourdhui les courants dopposition radicale aux politiques libérales sont implantes chez les salarié-e-s, influents dans les mouvements sociaux et dans certaines syndicats. Leurs militant-e-s ont acquis une importante expérience au fil des années. Les candidats dextrême-gauche (Ligue communiste et Lutte ouvrière) ont obtenu plus de 10% à lélection présidentielle de 2002 contre 17% au Parti socialiste et 3,5% au Parti communiste. Bref, les rapports de forces au sein du mouvement social ont considérablement évolué.
Crois-tu que les différences par rapport au passé soient liées aussi aux changements de luniversité française ces dernières années? Les étudiant-e-s daujourdhui, suite aux réformes universitaires des dernières années, sont-ils/elles différents par rapport à ceux du passé?
Bien sûr, en 1968 nous étions au début de la massification de lenseignement supérieur, et il n y avait encore quune minorité (15%) dune classe dâge à accéder au baccalauréat et les enfants des classes populaires nétaient quune petite minorité de cette minorité, a fortiori dans lenseignement supérieur. Aujourdhui près de 80% arrivent au baccalauréat, dont une proportion importante rentre dans les universités. Même si linégalité de laccès à la culture subsiste, la mixité sociale du monde étudiant sest développée, et cest aussi une raison du lien avec le monde du travail. De plus, il en résulte que les étudiant-e-s ne sont plus une élite assurée daccéder à des emplois garantis, prestigieux et bien payés, mais pour beaucoup, comme vous le dites «des précaires en formation». Cette évolution était déjà perceptible dans les deux grandes dernières mobilisations de la jeunesse: le mouvement contre la réforme universitaire de 1986 (qui avait déjà obligé un gouvernement Chirac à retirer sa loi!) et un mouvement de la jeunesse en formation professionnelle contre linstauration dun «sous-smic» pour les jeunes en 1994.
Les formes dorganisation de la mobilisation des étudiant-e-s ont- elles changé pendant ces dernières années?
Les formes sont plus massives mais assez classiques: assemblées, coordinations élues, occupations des établissements scolaires et universitaires, blocages. Ce qui apparaît un peu plus nouveau, cest une plus grande sensibilité aux pratiques démocratiques, une remarquable mixité hommes/femmes dans le mouvement et dans ses directions élues, un usage évidemment inconnu à lépoque de tous les moyens de communication horizontale, et aussi une plus grande méfiance envers les effets rhétoriques, je dirais presque un plus grand sérieux dans le souci de connaître les réformes contre lesquelles ils se mobilisent, détudier les textes officiels, de sinformer avec précision.
Peux-tu nous donner un tableau des différentes organisations politiques et sociales qui sont actuellement engagées dans le mouvement?
Les organisations sociales le sont pratiquement toutes: des syndicats salariés (un front syndical sans précédent depuis longtemps uni jusquà ce jour pour le retrait du CPE), aux syndicats détudiants et de lycéens (majoritairement liés au Parti socialiste), en passant par les associations de parents délèves, etc. Sur le plan politique, les courants les plus influents dans les organisations de lutte comme la coordination étudiante (qui sest réunie chaque fin de semaine avec trois délégué-e-s par université en lutte) sont la LCR-JCR et les libertaires. Les rapports de forces politiques y sont en effet différents de ceux qui existent dans les organisations institutionnelles comme lUnef: les militants proches du parti socialiste y sont bien présents, mais minoritaires par rapport aux courants plus radicaux mentionnés. Une chose curieuse, cest lextrême faiblesse dans le mouvement étudiant de lUnion des étudiants communistes (liée au Parti communiste). [ ]
Quels sont les possibles effets de ce mouvement sur le cadre politique français? Sur le gouvernement dun coté et sur la gauche de lautre?
Il est trop tôt pour le dire à ce jour (2 avril), car tout dépend maintenant de lissue de cette épreuve de force. Si le gouvernement parvient à passer en force malgré la puissance et lobstination du mouvement, il aura remporté une victoire décisive et ouvert la voie à de nouvelles «réformes» de démolition des acquis sociaux. Dans ce cas, on ne peut pas exclure un vote de revanche massive de la «majorité silencieuse» aujourdhui apeurée, comme après 68, en faveur de la droite (probablement de Sarkozy) à la présidentielle. Cest dailleurs ce que redoute sans aucun doute le PS qui sest montré constamment hostile à toute idée de renverser le gouvernement tout de suite par la rue sans attendre le verdict des urnes. Mais il se peut aussi que le peuple se venge dune nouvelle frustration, du mépris et de la raideur affichés par le gouvernement, en le sanctionnant par un vote à gauche (y compris sans grandes illusions sur ce que feraient les sociaux libéraux de retour au pouvoir), comme ce fut déjà le cas lors du référendum sur le Traité constitutionnel européen. Il est en effet probable que le mouvement actuel favorisera la reconstitution dun «gauche plurielle bis» sous hégémonie dun parti socialiste synthétisé (par-delà le clivage du OUI et du non au référendum) lors de son dernier congrès au bénéfice de sa droite.
Il est évident pour nous quaprès comme avant le mouvement anti-CPE, une coalition parlementaire ou gouvernementale sous cette hégémonie social-libérale est exclue. Dailleurs, les sondages (si on peut leur accorder une part de crédit) indiquent une popularité croissante de lextrême-gauche (près de 10%) alors que le PC ne remonte toujours pas au dessus de 4%. Bien sûr, à lapproche des échéances électorales, cela évoluera en faveur dune alternance «crédible» (dont du PS) au nom de largument du moindre mal et de «tout sauf Sarkozy»). Mais, ayant durci son langage le temps dune campagne pour reconquérir (une partie de) son électorat populaire, le PS se trouvera alors dans une situation difficile. En effet, il ne fait guère de promesses, ne prend guère dengagements précis en matière demploi, de salaires, de fiscalité, etc. Et pour mener une politique néo-keynésienne comme il le prétend parfois, il devrait remettre en cause les privatisations passées, la politique fiscale, lautonomie de la banque centrale européenne, les critères de Maastricht, le Pacte de stabilité. Ce quil na nullement lintention de faire comme la encore montré son OUI au Traité constitutionnel en 2005. Pour que de nouvelles déceptions du mouvement populaire ne profitent pas alors à lextrême droite populiste, il importera quune gauche 100% à gauche, fidèle à ses engagements et aux mandats du NON au référendum comme à ceux du mouvement en cours, trace avec persévérance la voie dune alternative anticapitaliste et non dune simple alternance social-libérale.
* A paraître dans la revue italienne Erre www.erre.info