GUÉRILLA EN COLOMBIELA FIN ET LES MOYENS
GUÉRILLA EN COLOMBIE
LA FIN ET LES MOYENS
Entretien exclusif avec Rodrigo Granda
Le 24 juillet dernier, à la
Havane, notre journal a obtenu un entretien exclusif avec Rodrigo
Granda, membre de la Commission internationale des Forces Armées
Révolutionnaires de Colombie-Armée du Peuple (FARC-EP),
enlevé au Venezuela par la police secrète colombienne,
incarcéré, puis sorti de prison à la demande de
Nicolas Sarkozy. Il permet de mieux comprendre les positions de ce
mouvement politico-militaire très controversé qui combat
le régime de loligarchie colombienne, soutenu par les
Etats-Unis, depuis 43 ans.
Entretien mené par un envoyé spécial de notre rédaction.
Traduction solidaritéS.
Les FARC se considèrent comme un
mouvement politico-militaire qui mène une guerre sociale
insurrectionnelle contre lEtat colombien. A ce titre, les FARC
capturent des policiers, des soldats, des officiers et des mercenaires.
Les FARC ont également décidé de séquestrer
des personnalités civiles représentatives de
lappareil dEtat colombien. Enfin, elles ont enlevé
aussi des civils dont la libération a été
conditionnée au payement dune rançon. Si personne
ne peut contester quune armée emprisonne des combattants
adverses, comment les FARC peuvent-elles justifier
lincarcération de civils? Ne pensent-elles pas que de
telles pratiques tendent à les isoler de larges secteurs de
lopinion publique colombienne opposés au gouvernement?
Effectivement, les FARC-EP sont un mouvement politico-militaire usant
du juste droit à la rébellion contre un Etat qui pratique
une démocratie de façade. Nous répondons à
une guerre qui nous a été imposée par les hautes
sphères du pouvoir colombien. Durant des décennies, le
terrorisme dEtat a été utilisé comme
méthode dextermination contre nous et notre peuple.
Dès lors, et tout le monde le sait bien, une telle guerre a
besoin de financement. Ce conflit nous a été
imposé par les riches de Colombie: ils doivent donc financer
cette guerre quils ont eux-mêmes déclenchée.
Cest pour cela que les FARC capturent des personnes,
libérées en échange dune somme
dargent qui est de fait un impôt. Cet argent est
destiné au financement de lappareil de guerre du peuple.
Comme vous le savez, nous parlons de la construction dun nouveau
pouvoir et dun nouvel Etat. En Suisse, en France, ou aux
Etats-Unis, si quelquun ne paie pas ses impôts, il va
nécessairement en prison. Le nouvel Etat que nous sommes en
train de forger a décidé le paiement dun
impôt pour la paix. Cela signifie que toute personne physique ou
morale, demême que les entreprises étrangères qui
sont établies en Colombie et réalisent des
bénéfices supérieurs à un million de
dollars par an, doivent sacquitter dun impôt pour
la paix représentant 10% de leurs gains. Les débiteurs
sont informés quils doivent entrer en discussion avec les
responsables financiers des FARC et acquitter cette somme. Si ces
personnes ne le font pas, elles sont alors arrêtées et
emprisonnées jusquà ce quelles aient
effectué leur paiement, avec lequel nous assumons les charges du
nouvel Etat, construit et dirigé par les FARC, agissant comme
armée du peuple.
Evidemment, au cours des opérations militaires, les FARC
capturent des officiers, des sous-officiers, des policiers et des
soldats actuellement détenus comme prisonniers de
guerre. Dans ces affrontements, il arrive aussi que lennemi
capture des prisonniers de notre bord qui, après des jugements
sommaires et truqués, purgent des condamnations très
lourdes dans les différentes prisons du pays. Malheureusement,
cela est normal dans le contexte de la guerre. Quoi quil en
soit, dans un conflit aussi aigu que celui de la Colombie, il est
possible que certaines détentions de civils ne soient pas bien
vues par la population de manière générale.
Néanmoins, nous considérons quen ayant
publié la loi 002, selon laquelle certaines personnes et
entités économiquement puissantes doivent payer
limpôt pour la paix, nous les avons dûment
avisées et quelles peuvent entrer en discussion et
régler leur situation dans les délais impartis. Si nous
obtenons cela, il est indubitable que les arrestations diminueront.
Quant au fait que cela nous éloigne de la population civile,
cela se peut, mais ne va sûrement pas être
déterminant, parce que de larges secteurs de la population
colombienne savent parfaitement que généralement, les
FARC-EP ne détiennent que des personnes économiquement
solvables. Il ne sagit, en aucune manière, de
détenir des gens au hasard. Concernant les prisonniers de
guerre, nous les gardons en prévision dun échange
humanitaire, que nous espérons très proche. Nous
noublions pas de tenir compte du fait, quen Colombie, la
justice et les juges spéciaux imposent de fortes condamnations
à de nombreux guérilleros et guérilleras
arrêtés qui ont eu la chance de ne pas être
assassinés lors de leur capture : ces condamnations
équivalent pratiquement à des emprisonnements à
vie. Car dans notre pays, la justice est une justice de classe et
sapplique comme telle: ceux qui font usage du juste droit
à la rébellion sont condamnés comme
«terroristes» ou «auteurs de séquestration
»: les sentences contre les révolutionnaires oscillent
entre 40 et 80 années de prison. Ainsi, limpôt est
une nécessité dictée par la situation actuelle de
guerre que vit la Colombie. Nous voudrions ne détenir aucune
personne, ni civile même issues des sommets de
loligarchie -, ni militaire… Mais la confrontation quotidienne
dans notre pays impose que les choses se passent de cette
manière, et non comme nous le souhaiterions.
Le financement de la lutte armée
dépend en large partie de limpôt
révolutionnaire prélevé sur la culture de la
feuille de coca et sur la production de pâte base, et dans une
certaine mesure aussi des enlèvements contre rançon. Si
un processus de paix débutait, la guérilla pourrait-elle
se passer de ces sources de financement sans mettre en péril son
autonomie politique et organisationnelle? En dautres termes,
nexiste-t-il pas à lintérieur de votre
mouvement des forces qui tendent à défendre le statu quo
par crainte que la démobilisation prive les FARC de sources de
revenus décisives et que cela conduise à leur
marginalisation?
Premièrement, il faut dire que les FARC-EP ont toujours
été un mouvement autarcique, cest-à-dire
quelles ont vécu de leurs propres ressources et
nont jamais dépendu ni hier ni aujourdhui
et ne dépendront jamais daucun financement
dorigine étrangère. Comme FARC-EP, nous avons
réussi à développer initialement une
économie de subsistance avant de développer des facteurs
de production qui permettent le maintien de notre mouvement. Les
FARC-EP existaient en Colombie bien avant le développement du
narcotrafic ou la mise en oeuvre dune politique logistique de
capture systématique de personnes, qui sont des choses
conjoncturelles. Avec les années, les FARC-EP ont
diversifié leur financement grâce à des
investissments de tous ordres: dans des opérations
financières à lintérieur et à
lextérieur du pays, dans la production agricole,
lélevage, la mine, le transport et bien dautres
secteurs productifs.
Il est indéniable que la Colombie a été
transfigurée par des politiques néolibérales
imposées par la terreur, qui ont ruiné les campagnes,
dans un pays producteur de feuilles de coca pour
lélaboration de la cocaïne, et cela a obligé
des milliers et des milliers de familles paysannes pauvres à
tirer leur subsistance de cette économie pour ne pas mourir de
faim face à la destruction de leurs cultures traditionnelles de
café, de maïs, de bananes, de sorgho, de coton, etc.
Les FARC-EP sont un mouvement principalement rural et nous sommes en
contact direct avec cette réalité, mais nous
navons pas les moyens dobliger les gens à
abandonner ces plantations dites illicites sans leur donner une
alternative. Lors du dialogue de el Caguán (1999-2002), le
gouvernement de M. Pastrana, à linitiative de notre
organisation de guérilla, avait organisé la
première conférence publique internationale pour le
remplacement des cultures dites «illicites» et la
protection de lenvironnement. LUnion Européenne,
le Japon, le Canada, ainsi que lONU, le Groupe des pays amis du
processus de paix en Colombie et les pays accompagnateurs de ce
dialogue [dont la Suisse] ont participé à ces rencontres.
Les Etats-Unis avaient été conviés, mais ils ont
décliné cette invitation. A cette occasion, les FARC ont
présenté un projet viable pour léradication
des plantations de feuilles de coca dans les Municipes de Cartagena del
Chairá et du Caquetá, qui vouaient alors quelques 8000
hectares à cette activité.
Nous aurions voulu obtenir que la communauté internationale
sengage en faveur dune alternative à la
répression et quon réalise des investissements
sociaux dans cette région afin dy développer un
«laboratoire expérimental» en vue de la recherche de
solutions pour supprimer ces cultures, qui auraient pu être
étendues ensuite à dautres zones du pays, et si
possible du continent: en Equateur, au Pérou, en Bolivie. Cette
proposition est toujours valable. Nous croyons aussi que la
légalisation de la drogue contribuerait à la solution du
problème. Des économistes comme Friedman et une revue
aussi prestigieuse que «The Economist» le reconnaissent
dailleurs. Il y a des raisons à cela: comme il
sagit dun commerce clandestin, la rotation du capital est
impressionnante. Actuellement, on calcule que le produit mondial du
narcotrafic représente 680 milliards de dollars et il
nest pas de crime qui ne soit pas commis pour sapproprier
cette énorme quantité dargent.
Il sagit tout dabord dun problème
économique, puis politique, et au-delà éthique,
mais si les énormes profits disparaissaient, lincitation
fondamentale que sont les gains sur investissements disparaîtrait
et les Etats pourraient contrôler ce marché. Quelque chose
de semblable à ce qui est arrivé, toutes proportions
gardées, avec la fin de la prohibition aux Etats-Unis à
lépoque de la mafia dAl Capone et Cie, dans les
années 20. Il doit être clair et nous
lavons démontré face à notre nation et
à la communauté internationale que les FARC-EP ne
sont en aucune manière des narcotrafiquants et quelles ne
sont mêlées ni à la production, ni au transport, ni
à la commercialisation, ni à lexportation de
narcotiques. Au contraire, nous sommes disposés à
travailler avec la communauté internationale et même avec
le gouvernement des Etats-Unis à la solution de ce grave
problème.
Notre organisation a imposé le prélèvement
dun impôt aux acheteurs de pâte de coca qui doivent
pénétrer dans les zones où ces cultures existent
et où nous sommes présents; et cet impôt
représente une forme de contrôle par rapport aux abus
commis à lencontre des paysans cultivateurs. Ensuite,
nous nexerçons pas de fonctions de police. Cest
à lEtat colombien de contrôler ces zones et,
jusquà présent, il a été incapable
de le faire en dépit des milliers de millions de dollars
investis par le gouvernement des Etats-Unis pour en finir avec ce
trafic qui affecte le monde.
De plus, il faut tenir compte du fait que les revenus
générés par cet impôt représentent
une fraction infime des coûts de lappareil militaire des
FARC-EP. En ce qui concerne la détention de personnes, il faut
dire que leur produit aide aussi au maintien économique des
FARC, mais ce nest pas décisif. Lobjectif ultime
des FARC-EP nest pas le «confort» de son personnel
dirigeant, de sa hiérarchie ou de ses combattant-e-s. Pour nous,
largent est un moyen, quelque chose qui peut contribuer à
la concrétisation du but politique et stratégique des
FARC-EP, soit la prise du pouvoir pour effectuer des changements
politiques, économiques, sociaux, écologiques et de tout
ordre, dont le pays a besoin et quil réclame. Le
financement est donc un moyen pour arriver à de telles fins.
Personne des FARC-EP naspire à devenir multimillionnaire;
cest lune de nos grandes différences avec les
narcotrafiquants et les paramilitaires qui cherchent à
senrichir personnellement et à «mener la grande
vie».
Quant à une possible démobilisation à
laquelle vous faites allusion -, cela nentre pas dans les
calculs immédiats des FARC-EP. Imaginez-vous que nous
navons plus aucun contact avec le gouvernement Uribe. Si nous
parvenions à une hypothétique situation
darrêt de la guerre et devions passer à un autre
type dactions, les FARC-EP disposent dun «plan
B». Mais nous parlons ici de suppositions, alors que la
réalité est bien différente.
Enfin, les FARC-EP ne font pas la guerre par plaisir. Nous avons dit
que si le cadre politique ambiant change et que les conditions pour
mener une politique large, légale, sans crainte de
représailles ou dassassinats existent, si la voie est
ouverte à une démocratie réelle, nous pourrions
alors penser à changer la forme actuelle de confrontation
militaire pour répondre à la nouvelle donne. Durant tout
le mandat présidentiel de M. Uribe, et bien avant, les FARC-EP
ont dû faire une opposition politique et militaire au
régime, parce quil nexistait aucune autre
manière de pouvoir exprimer notre pensée. La bourgeoisie
colombienne est une bourgeoisie sanguinaire, rétrograde, qui ne
comprend que le langage des armes. Si nous navions pas
répondu à lagression, elle nous aurait
déjà marqués au fer rouge et
enchaînés, comme à lépoque de
lesclavage…
Les récentes mobilisations de
masse contre la violence et les séquestrations en ont fait
porter la responsabilité aussi bien au gouvernement quaux
insurgés. Ces mobilisations ne représentent-elles pas un
revers pour la gauche, dans la mesure où Álvaro Uribe a
su en tirer parti pour détourner lattention du public par
rapport à son implication dans les scandales de la parapolitique?
Comme vous le dites vous-même, ces mobilisations ont le sens
dun rejet de la violence, et plus particulièrement de la
violence officielle et paramilitaire. Le peuple colombien est bien
sûr fatigué de laffrontement militaire, mais quel
peuple ne le serait pas après 40 ans de guerre imposés
par le régime en place. M. Álvaro Uribe a essayé
de capitaliser un mouvement auquel ont pris part des secteurs
populaires très proches des FARC-EP, et même des membres
de notre organisation. On pouvait voir dans ces mobilisations des
pancartes exigeant léchange humanitaire des prisonniers,
la recherche du dialogue pour une issue politique au conflit social et
armé que vit le pays. Si vous analysez les bulletins de la
presse, de la radio ou de la télévision, vous constaterez
que la plus grande part des éditorialistes du pays ont
critiqué lopportunisme politique du gouvernement. Il faut
en outre rappeler que dans la ville de Cali, il y a eu un affrontement
public entre le ministre de lIntérieur et lun des
parents des 11 députés tués lors de la tentative
manquée de sauvetage militaire, ordonnée par le
gouvernement, le 18 juin 2007. Enfin, il nest pas certain que le
président Uribe ait capitalisé ces mobilisations. Au
contraire, les derniers sondages dopinion effectués
après cet événement montrent que limage de
M. Uribe est usée et «en chute libre», et ceci pour
la première fois depuis son accession à la
présidence.
Quant au problème de la parapolitique, il a été
dénoncé depuis plus de vingt ans par le journal
«Voz», organe du Parti Communiste de Colombie, par les
FARC-EP et par des démocrates de tout le pays. Néanmoins,
lEtat colombien a toujours ignoré ces
dénonciations. Il y a un an et demi, jai eu
loccasion de parler dans la prison de haute
sécurité de Combita, où jétais alors
détenu avec le responsable pour la paix du gouvernement
Uribe, le docteur Luis Carlos Restrepo. Durant cette conversation, nous
avons abordé plusieurs thèmes: jai pu entre autres
lui démontrer que la politique de «sécurité
démocratique» imposée par le Président et le
Plan Colombie avaient échoué. Il ma
répondu: «Ecoutez Monsieur Granda, lEtat colombien
vous a certainement combattus avec des méthodes
non-orthodoxes…». Ces méthodes dont parlait Restrepo
sont précisément la parapolitique et le paramilitarisme,
parce que ce mode de faire a été froidement
calculé pour la Colombie. Cest lune des formes
dexpression du fascisme, grâce auxquelles les monopoles
financiers, le secteur industriel et les grands propriétaires
terriens ont bénéficié de lensemble de la
recomposition économique du pays, provoquée par la
globalisation et les privatisations qui laccompagne. Les
affaires et les gains effectués par ces secteurs ont
été extraordinaires. Ce qui reste à privatiser en
ce moment est réduit, ce qui nous indique que la période
de mise en uvre la plus brutale du projet
néolibéral en Colombie est, dans une certaine mesure,
déjà derrière nous, puisquil ne reste
aucune entreprise publique dimportance à vendre aux
transnationales. Cest pour cette raison quils tentent
maintenant de démonter ces appareils de mort quils
avaient mis en place comme appui militaire à leur projet
fascisant dimposition du néolibéralisme.
Dans ce sens, nous pourrions faire une comparaison avec le Chili du
général Pinochet. Rappelez-vous que les politiques
néolibérales ont commencé dêtre
imposées au continent après le Coup dEtat de 1973
au Chili. Ce Coup dEtat a pratiquement liquidé la
résistance populaire de la classe ouvrière, des classes
moyennes et de la paysannerie; il a imposé la discipline sociale
des monopoles, cest-à-dire le fascisme au service du
néo-libéralisme, qui a utilisé la terreur dans
notre Amérique pour imposer son projet économique et son
idéologie politique. Maintenant, en Colombie,
lestablishment est secoué, parce que les institutions et
les hommes qui les composent, sont impliqués dans la crise
à laquelle ils ont conduit la nation. La Colombie est lun
des pays avec le plus haut niveau de corruption à
léchelle mondiale. On dirait que les institutions
colombiennes on été créées pour
protéger toutes les formes de corruption. Cest pour cette
raison que lestablishment, pour imposer ses politiques
néolibérales, a jeté par-dessus bord tout sens
éthique en politique, et maintenant il reçoit et paye la
facture de son «mariage» avec un narco-paramilitarisme
créé pour éliminer la gauche
révolutionnaire à nimporte quel prix. Ce
modèle et ce projet fascistes pour la Colombie ont
échoué. Lorsque déferle la marée des
dénonciations, le président tente évidemment
déviter tout débat public et émet des
écrans de fumée: la réélection, le
référendum, la Coupe du monde de football, etc., afin de
distraire lopinion publique nationale. Mais les scandales et la
corruption régnante en Colombie sont dune telle ampleur,
quaucun de ces shows publicitaires ne réussira à
détourner lattention de laspect fondamental: la
corruption imposée par la mafia, le paramilitarisme et le
narcotrafic qui sont la même chose en faveur
dun gouvernement qui est un gouvernement mafieux qui pratique
une narco-démocratie.
LArmée de
libération nationale (ELN) a décidé
récemment de déposer les armes. Dans quelle mesure, cette
décision affaiblit-elle la lutte armée des FARC, vu que
désormais lEtat colombien, le paramilitarisme et les
Etats-Unis pourront concentrer tous leurs efforts pour vous combattre?
Il faut relativiser limpact de la lutte contre-insurrectionnelle
que nous vivons aujourdhui, de la part du gouvernement colombien
et des USA. Pratiquement, depuis le début du Plan Colombie, les
FARC-EP ont résisté seules à ces
opérations. Il est indéniable que lEtat colombien
na jamais combattu militairement le paramilitarisme. Les
opérations militaires dans des zones où opèrent
les camarades de lELN ont été minimes; dans une
certaine mesure, la responsabilité et le poids fondamental des
opérations menées par larmée colombienne et
les gringos ont été supportés par notre
organisation. Vous devez vous souvenir quen ce moment, la
Colombie est le troisième pays bénéficiaire de
laide militaire nord-américaine, après Israël
et lEgypte. Dans la première étape du Plan
Colombie, les USA ont investi 7500millions de dollars et lEtat
colombien a imposé un impôt de guerre de 12 % (qui a
été majoré cette année de 8 %). Même
ainsi, toutes les opérations du Plan Colombie et celles qui ont
suivi ont échoué face à la résistance et
à la contre-offensive des FARC-EP. Il est donc très
relatif de penser que lennemi puisse nous mettre en
déroute, bien quil braque toutes ses batteries sur nous.
Notre histoire le démontre depuis lépoque de notre
naissance à Marquetalia (1964): rappelons que 16000
militaires furent déployés dans cette région
contre le groupe fondateur des FARC, formé de quarante-six
hommes et de deux femmes dorigine paysanne. A ce moment, il
ny avait aucun autre mouvement insurgé dans le pays. Le
poids de cette offensive contre les zones dautodéfense
paysanne dénommée «Opération
LASSO» retomba naturellement sur les FARC-EP.
Nous croyons que dans cette nouvelle période, une limite a
été atteinte dans les actions militaires des troupes
gringas, mercenaires et de larmée colombienne. Nous
parlons actuellement de leur déclin. Il faut dire que dans les
hautes sphères du gouvernement colombien et dans les couloirs du
Pentagone, on parle de léchec retentissant du Plan
Colombie, du Plan Patriota, du Plan Consolidation et du «Plan
Victoria» (2002-2007). Il est impossible aux gringos et à
lEtat colombien de remporter une victoire militaire sur un
mouvement armé qui, comme le nôtre, mène la lutte
depuis quarante trois ans, et qui dispose dune large
expérience, tant au niveau de ses commandant-e-s que de ses
combattant-e-s. Il faut dire quil sagit dune
expérience quasi unique en Amérique latine et dans le
monde. Vous pouvez constater quen ce moment, il ny a
aucun autre grand plan ou «opération militaire» dans
lhémisphère occidental, qui ait lenvergure
et les caractéristiques des opérations menées dans
le centre et le sud de la Colombie et pratiquement sur tout le
territoire national.
Nous avons dû vraiment livrer une guerre seuls. Auparavant, il
existait le «camp socialiste», la solidarité
internationale, et nous avons dû «danser avec la plus
laide» (pour utiliser une expression populaire colombienne un peu
machiste), mais nous avons vu que seuls, nous pouvions aussi affronter
et vaincre lennemi. Pour nous, cest une obligation et
notre apport solidaire aux peuples opprimés du monde. La
combinaison de toutes les formes de lutte de masses va nous assurer la
victoire dans un futur proche. Il ne reste plus dautre
alternative à lEtat colombien que daccepter son
incapacité à mettre en déroute les
insurgé-e-s, ainsi que léchec de son projet
fasciste, qui a utilisé la terreur dEtat comme arme
fondamentale, et de chercher un accord pour que nous puissions entamer
une discussion et trouver une issue politique négociée
à ce long conflit social et armé que vit notre pays.
Quant au désarmement de lELN, je lapprends… Car
je sais que lELN na pas déposé les armes.
Je ne peux pas me prononcer sur les décisions de lELN.
Cest une organisation souveraine, une organisation de
guérilla qui combat depuis des années et qui,
daprès ce que je sais, na jusquici pas
livré une seule cartouche.
Les FARC sont nées dun mouvement de paysans pauvres,
qui constituent toujours le noyau principal de leur base sociale. Les
FARC ont-elles été capables depuis lors de repenser leur
réorientation stratégique à la lumière de
lurbanisation extrêmement rapide de la Colombie? En
dautres termes, comment les FARC sadressent-elles aux
masses urbaines paupérisées qui subissent les constantes
attaques des paramilitaires, et la répression exercée par
lEtat colombien?
Je vous disais à linstant que les FARCEP sont une organisation politico-militaire. La lutte que
mènent les FARC-EP nest pas un affrontement
dappareils, cest-à-dire de lappareil
militaire de lEtat colombien et de lappareil militaire
des FARC-EP proprement dit.
De manière générale, si on analyse
lévolution du comportement des Etats bourgeois, on
observe que ceux-ci ont diverses manières de mettre en
uvre ce quils appellent «la démocratie
représentative», et quils combinent à peu
près toutes les formes de lutte pour exploiter les peuples. Les
gringos appellent cela «la carotte et le bâton»,
quils pratiquent de la manière suivante: sils
considèrent que les masses sont dociles, ils les laissent
développer certaines formes limitées de démocratie
pendant un certain temps; sils considèrent que ces masses
se sont radicalisées, ils font descendre les troupes dans la rue
et exercent la répression. Mais sils constatent que ces
mouvements de masse se radicalisent encore, ils recourent au terrorisme
dEtat et pratiquent le génocide de leurs opposant-e-s et
lextermination des organisations de masse. Cest la
terreur au niveau le plus effrayant, quont connu tous les pays
de notre Amérique dans le passé récent et qui
perdure encore en Colombie.
De ce point de vue, il est légitime que les mouvements
révolutionnaires de Colombie et du monde emploient toutes les
formes de lutte de masse pour arriver aux changements
révolutionnaires dont la société a besoin à
un moment de son développement. Nous navons pas
proclamé la lutte armée par décret. Elle ne peut
dailleurs pas lêtre, pas plus que par la
volonté de tel ou tel personne ou parti. La lutte armée
naît de la nécessité impérieuse de
défendre des intérêts de classe à un moment
donné, lorsque les Etats bourgeois ferment toute
possibilité de démocratie et dexpression dont
peuvent bénéficier les masses.
En Colombie, malheureusement, lhistoire a confirmé ce que
je viens daffirmer: les FARC-EP, à la recherche
dune réconciliation nationale en 1982, sont
entrées en dialogue avec le président de
lépoque Belisario Betancourt. On est parvenu alors
à signer les accords de La Uribe. Comme corollaire de ces
accords avait été fondé le vaste mouvement
appelé Union patriotique (UP). Lorsque ce mouvement est apparu
dans la vie politique nationale, il a bénéficié
dun sentiment de sympathie de la part des habitant-e-s de la
campagne et des villes, des classes moyennes, des étudiant-e-s,
etc. Autrement dit, cétait un mouvement qui rassemblait
des secteurs très divers. Lorsque celui-ci a commencé
à se développer, la bourgeoisie a paniqué et
entamé son extermination planifiée et
systématique: en premier lieu celle de ses dirigeant-e-s,
ensuite de ses militant-e-s. Tout ceci a conduit au génocide
politique le plus aberrant quait connu l Amérique
latine. De cette expérience, mise en échec par le
terrorisme dEtat, les FARC-EP ont beaucoup appris; elles ne sont
pas disposées à répéter la même
histoire. Nous avons produit un effort important du fait de la
création et du développement de mouvements et
dorganisations populaires et politiques au niveau national. Nous
faisons un effort considérable pour la construction du Parti
communiste clandestin de Colombie, qui doit être clandestin parce
que nous avons déjà fait lexpérience de
plus de cinq mille morts avec lUP. Nous construisons
également le Mouvement bolivarien pour une nouvelle Colombie,
auquel tout un chacun-e peut participer. Ce mouvement na pas de
statuts, les gens peuvent se réunir en petits groupes pour
éviter les coups de lennemi; personne ne doit faire
référence à son activisme politique, et ses formes
dexpression sont clandestines. A travers ces structures
organisationnelles, il est possible de participer au mouvement
estudiantin, ouvrier, paysan, populaire
mais les FARC-EP
construisent aussi les Milices bolivariennes, qui agissent dans les
campagnes, aux alentours des grandes villes et à
lintérieur de ces dernières.
Les FARC-EP considèrent que la révolution en Colombie
doit déboucher en partie sur des formes dinsurrection
urbaine, peut-être analogues à celles qui se sont
développées au Nicaragua à lépoque
(que lon se souvienne des batailles de Managua, Masaya,
Estelí, León, pour nen citer que quelques-unes),
qui furent des actions de guérilla et dinsurrection
populaire combinées qui, dans leur ensemble, ont fait tomber la
dictature de Somoza.
Nous faisons un effort très important en direction du mouvement
syndical, estudiantin, des classes moyennes urbaines, des
travailleurs-euses informels, du mouvement communal, coopératif,
des pères de famille. Cest-à-dire que nous
essayons de tout ramener à des formes dorganisation
simple, afin de favoriser du dehors la conscience politique et pratique
de la nécessité des changements dont le pays a besoin,
davantage encore dès lors que les conséquences
désastreuses des politiques néolibérales, non
seulement radicalisent les masses urbaines, mais aussi, paradoxalement,
les rapprochent et les allient dans la luttes.
En Colombie, les FARC-EP sont intéressées par la
construction dun nouveau gouvernement de réconciliation
et de reconstruction nationales, large et démocratique, sans
exclusives, auquel puissent participer tous les secteurs de la vie
politique nationale qui souhaitent sortir le pays de
labîme, dans lequel il se trouve, pour le mettre en
situation daffronter les défis du 21e siècle avec
beaucoup despérance, doptimisme et en nous
plaçant à lavant-garde des nations
démocratiques et révolutionnaires du monde.
Quels sont pour les FARC les mouvements
sociaux urbains dont le développement paraît
stratégiquement essentiel dans ce processus?
Dans les villes, nous travaillons essentiellement en direction des
secteurs industriels. Nous travaillons également au sein du
mouvement coopératif, avec les collectifs daction
communale dans les quartiers, avec des associations de
léconomie informelle, qui se sont multipliées au
cours des dernières années en raison des politiques
néolibérales. Nous accordons aussi beaucoup
dimportance au problème des femmes et de la jeunesse en
général. En conséquence, nous disposons
dune représentation dans tous ces secteurs. Nous agissons
de manière consciencieuse pour leur donner un caractère
organisationnel et les orienter vers la lutte politique. En même
temps, ce travail nourrit, par ses expériences et ses formes
daffrontement avec la répression, notre propre action
politique. Bien que les FARC soient nées comme un mouvement
essentiellement paysan, et que cette base sociale se maintienne dans sa
composition actuelle, il est également vrai quil y a
dautres secteurs de la société qui nous
accompagnent dans la lutte. Parmi les gens liés aux FARC-EP, on
trouve des secteurs des classes moyennes et professionnelles,
techniques et supérieures, mais aussi des professions
libérales, des prêtres, des gens des milieux de la culture
et de lart populaire dans toutes ses expressions. Cest un
changement qui sest opéré au cours de ces
dernières années. Nous soulignons la participation des
femmes dans nos rangs: elles représentent aujourdhui 43%
des forces de la guérilla.
On dit que les FARC ne se sont pas
toujours montrées capables de permettre concrètement,
dans les régions sous leur contrôle, le
développement dune société civile
organisée de manière autonome en fonction des
différents intérêts qui la traversent
(coopératives, syndicats, associations diverses,
minorités indigènes, etc.). Cette attitude ne
révèle-t-elle pas un projet de société
autoritaire fondé exclusivement sur les capacités et les
compétences dune sorte de parti-Etat?
(Rires
) Je ne sais pas à quoi vous vous
référez avec cette question. Je ne sais pas non plus
quand nous avons eu sous notre contrôle une quelconque partie du
territoire national. Ceci nest encore jamais arrivé
jusquà présent. En Colombie, nous ne menons pas
une guerre de position. Nous sommes une armée de
guérillas mobiles. Lorsque nous sommes pour un temps dans
certaines régions, nous développons la démocratie
directe dune façon inédite dans dautres
organisations soutenues par lEtat ou les partis de
loligarchie. Plus encore, je crois que les FARC-EP sont beaucoup
plus démocratiques que certains Etats ou démocraties.
Nous disposons, comme organe de décision des FARC-EP, de la
conférence nationale des guérilleros, qui se
réunit tous les quatre ans (ou un peu plus, selon
létat de la guerre). Les postes de commandement, sans
exception, sont décidés au vote de tous les
guérilleros. Autrement dit, il ny a pas de nomination par
décret. Cest au travers du vote populaire, au travers du
vote des membres des FARC-EP, que se vit la démocratie et que se
règlent les questions de hiérarchie à
lintérieur du mouvement guérillero, en
collaboration avec les communautés. Le cas le plus significatif
a été celui de San Vicente del Caguán, dans le
Centre-Sud du pays, pendant la période du désengagement
et du dialogue, entre 1999 et 2002. Là, nous nous sommes
installés pendant trois ans, et nous avons oeuvré avec
les communautés dans le cadre dactions civiles et
militaires. Ensemble, la population civile et le groupe de
guérilleros, nous avons construit, en travaillant en commun, des
ponts, des routes, des écoles, des hôpitaux, des chemins
vicinaux, et plusieurs fleuves, rivières et ruisseaux fortement
pollués ont pu être réhabilités.
Dautre part, les FARC-EP ont émis des règlements
en matière écologique (chasse, pêche,
élagage et exploitation du bois, protection des arbres
indigènes), et tout ceci sest fait avec la participation
de la communauté. Par exemple, pour la construction dune
route, 100 à 200 collectifs daction communale de toute la
région se sont réunis, et là, par votation
populaire, ils ont déterminé qui allait travailler,
comment, et avec quel appui économique et logistique. On faisait
ensuite les comptes et on les présentait aux masses pour
quelles analysent la finalité de chaque investissement.
Ça, cest la démocratie participative et ouverte,
une vraie démocratie de masse comme nen a jamais connu le
pays. Cest lexpérience que nous avons faite.
Lautoritarisme ne fait pas partie des principes des FARC-EP.
Certes, nous défendons des principes, et sur ces principes nous
ne cédons pas. Nous avons notre propre vision de ce que doit
être la démocratie. La démocratie doit être
ouverte et la plus directe possible. Cest-à-dire une
démocratie de masse comme forme permettant de définir et
de débattre des grands problèmes. Cest très
simple: si dans une communauté, il y a 100 personnes, pourquoi
10 devraient-elles décider? Pour nous, ce sont ces 100 personnes
qui ont le pouvoir de prendre la décision. On parle dune
démocratie représentative en Colombie, parce quil
y a des élections, mais en réalité, ces
scélérats qui vont au Sénat ou à la Chambre
des représentants ne sont en aucune manière des
représentants authentiques des communautés. Ce sont des
gens qui arrivent là du fait de leur richesse, par le
clientélisme et les escroqueries auxquelles ils soumettent notre
peuple. Par conséquent, comme vous le voyez, il est important de
clarifier le type de démocratie dont on parle, ce que nous
entendons, nous FARC-EP, par démocratie, et ce que vous entendez
vous, en Europe, par ce terme. Je considère que les FARCEP sont
une organisation démocratique qui exerce la démocratie
dans les domaines dans lesquels elle travaille. Nous sommes en faveur
de la démocratie directe la plus ample et la plus participative
possible. Une démocratie exercée pour et par les
majorités et non une démocratie de façade, une
démocratie pour un groupe restreint de
privilégiés. Ce type de «démocratie»
ne nous plait pas et nous nallons pas la pratiquer. Je vous ai
dit que dans les FARC-EP nous préférions organiser les
masses dans toutes sortes de collectifs qui leur permettent de
défendre leurs intérêts. Ceci est le secret de la
survie des FARC-EP au coeur dun conflit aussi complexe que celui
de la Colombie.
Les FARC sont fréquemment
critiquées, y compris par des forces de gauche, pour
lusage de méthodes «expéditives» en
leur sein: cest le cas des exécutions de
déserteurs, de lenvoi de militant-e-s
«démoralisé-e-s» pour accomplir des missions
suicides, de lobligation faite aux combattantes enceintes
davorter, etc. Il ny a pas de doutes que les FARC sont
engagées dans une lutte armée très dure, mais de
telles méthodes ou pratiques ne mettent-elles pas en question
les droits individuels des combattant-e-s ou la liberté de
discussion au sein de la guérilla, révélant ainsi
une forme dorganisation politique très verticale dans la
tradition stalinienne?
Votre question montre que lon sait très peu de choses sur
les FARC-EP et quon se fait ainsi lécho,
peut-être inconsciemment, de la propagande du régime (le
régime oligarchique colombien et son allié les
Etats-Unis). Cest lennemi qui affirme que nous sommes
organisés de manière verticale, que nous résolvons
tous les problèmes dune façon expéditive,
comme vous lévoquez dans votre question.
Nous utilisons des méthodes politiques pour résoudre tous
les problèmes qui apparaissent à lintérieur
des FARC-EP. Initialement, les nouveaux combattante-s suivent une
école de formation de six mois, où les documents qui sont
étudiés sont essentiellement nos statuts, les normes de
commandement et le régime de discipline. Si laspirant-e
se rend compte quil ne peut pas, pour des raisons physiques ou
morales, mettre en uvre ces normes, il peut retourner chez lui
sans problème, parce que jusquà ce moment, il ne
connaît rien ni personne de plus que les gens qui, comme lui, ont
assisté clandestinement au cours de formation initiale. Une fois
passé ce niveau, la personne contracte un engagement, et
lorsquon intègre les FARC-EP, cest pour la vie,
cest-à-dire jusquau triomphe de la
révolution et à la construction dune nouvelle
société.
Nous ne disposons pas dun service militaire obligatoire, ni
dailleurs volontaire. Lintégration aux FARC-EP
suppose limplication complète dans la formation politique
et militaire sur la base dune adhésion consciente.
Noublions pas que lon trouve des gens pour manipuler des
armes partout,mais des gens pour comprendre la politique, la lutte des
classes et les changements sociaux, dans une société
comme la nôtre, cest bien plus difficile. Cet ensemble de
capacités, dont le développement est dans notre
intérêt, nécessite et exige une formation
permanente et à long terme.
Il nest pas vrai, par conséquent, que nous utilisions le
peloton dexécution ou que nous nous livrions à des
exécutions extrajudiciaires. Nous navons pas à le
faire, parce quil y a dans nos statuts bien des manières
de sanctionner les ruptures de la discipline de notre organisation.
Lexécution nest envisagée que pour les
traîtres et les infiltrés qui travaillent consciemment
pour lennemi. Cest la mesure la plus grave qui
sapplique dans les FARC-EP. Pour le reste, toute situation se
résout par la critique et lautocritique sur la base des
principes du marxisme-léninisme qui sont partie
intégrante de notre conception de la révolution.
Le reste, au même titre que ce qui est contenu dans votre
question, relève dune campagne diffamatoire qui cherche
à transformer les FARC en un mouvement sans discipline, sans
hiérarchie, sans mandats de commandement reconnus. Et dans ces
conditions, une organisation militaire ne peut pas subsister. Il y a un
adage qui dit: «Soit la discipline est mise en uvre, soit la milice disparaît».
En ce sens, il serait absurde de penser que nous pourrions envoyer des
personnes démoralisées, avec des problèmes
psychiques, ou sans qualifications politico-militaires suffisantes,
accomplir des missions. Il sagit dune guerre! Qui
pourrait commettre une telle erreur? Bien au contraire, à
lintérieur des FARC-EP, la participation à des
missions constitue une forme de reconnaissance du bon travail; elle est
un encouragement et un honneur pour les combattant-e-s. Dans les
FARC-EP, on préconise une participation consciente et, pour
cela, la valeur des combattant-e-s en mesure de participer à
chacune des actions de guerre, ou aux missions spéciales que les
FARC-EP décident, est étudiée à
lavance par les commandant-e-s.
Pour ce qui est des femmes dans la guérilla, elles sont libres.
Pour la première fois, une organisation de gauche et un
mouvement révolutionnaire envisagent la femme comme une personne
absolument libre et égale à lhomme, qui assume les
mêmes responsabilités, les mêmes tâches et a
les mêmes droits. Depuis sans doute lépoque du
matriarcat, la guérilla est aujourdhui le lieu où
la femme commence à accomplir le rôle
quhistoriquement elle a perdu, ce qui fut la défaite la
plus grande quait subi le genre féminin dans
lhistoire de lhumanité. A propos du
problème de la grossesse dans les FARC-EP, les
guérilleras savent davance que dans le contexte de guerre
quelles vivent, elles ne peuvent tomber enceinte. A
lintérieur de notre organisation, nous avons mis en
uvre un travail éducatif de diffusion de
linformation et de prévention pour que les femmes
connaissent bien les mécanismes de la procréation, ainsi
que les manières déviter la grossesse et/ou les
maladies sexuellement transmissibles.
Parfois, par erreur ou accident, se produisent des cas involontaires de
grossesse, mais compte tenu des normes et des conditions objectives de
la vie dans un environnement combattant, la grossesse est interrompue,
en général à la demande de la combattante
elle-même. Dans ces cas, linterruption seffectue
dans des conditions hygiéniques dasepsie, avec des
médecins qualifiés, et en prenant les mesures pour
éviter tout risque pour leurs vies. Dans beaucoup de pays,
linterruption de la grossesse est légalisée et
fait partie de certaines constitutions du monde, mais on nous a
toujours reproché notre arbitraire supposé sur ce
thème et on nous a diabolisés. Ny a-t-il pas ici
une double morale? Sachez que pour les FARC-EP, les valeurs familiales
(très importantes pour la société colombienne)
constituent un fondement de la conception de la nouvelle
société que nous voulons construire. Mais nous vivons une
étape qui ne facilite pas le développement de cette
partie importante de la vie.
Il est révélateur que,malgré toute cette
propagande contre notre organisation, la présence
féminine dans les rangs des FARC-EP soit actuellement de
lordre de 43%. Les guérilleras des FARC sont de vraies
amazones dans la guerre, ou comme dirait Simon Bolivar en se
référant à ces valeureuses guerrières
romaines, elles sont de véritables
«lumières». Hors de la guerre, nos camarades femmes
ont un comportement très féminin. Au combat, elles sont
aussi aguerries que les hommes. Elles nous donnent des leçons
dhonnêteté, dabnégation, de
sacrifice, de fraternité et dhéroïsme
comment pourrions-nous maltraiter ces camarades, qui prennent une part
fondamentale à la lutte pour le triomphe de la
révolution
Qui est responsable de la mort des onze
députés colombiens détenus par les FARC? Comment
est-il possible que ces onze otages se soient trouvés ensemble
au même endroit? Pensez-vous quil sagisse
dune opération délibérée de
lEtat colombien pour lancer une vaste campagne politique contre
la guérilla des FARC?
Cela fait un certain temps que les FARC-EP avertissaient
lopinion publique nationale et internationale du fait que les
opérations de sauvetage de prisonniers par larmée
étaient exagérément risquées pour la vie
des otages quelles détenaient. Cest pour cela que
les FARC-EP ont indiqué que la responsabilité de la mort
des onze députés du Valle del Cauca, le 18 juin 2007,
incombait essentiellement à ceux qui ont donné
lordre et tenté de les libérer par la force. Le
premier responsable est Monsieur Uribe.
Vous expliquer pourquoi ils étaient ensemble serait me livrer
à des spéculations, parce que je me souviens
quà cette date, je venais tout juste de quitter la prison
de La Dorada. Concernant quindiscutablement, il sagit
dun plan minutieusement préparé tant politiquement
que militairement et sur le plan de la propagande. Le gouvernement de
Uribe a démarré son plan en parlant de la
possibilité de faire sortir de prison un certain nombre de
prisonniers des FARC-EP, sur lesquels personne navait rien
demandé. Nous avons toujours cherché à obtenir un
échange humanitaire de prisonniers bilatéral
FARCEP/gouvernement. Cest alors que Uribe a
relâché, de façon totalement unilatérale,
certains combattants des FARC-EP. Cette action, à mon sens,
était liée à la préparation en secret
dune action de plus grande envergure dans les montagnes
colombiennes. Il sagissait précisément du
sauvetage des douze députés dagents de la CIA, de
mercenaires anglais et israéliens et de commandos de
larmée colombienne.
Le projet était sans doute celui-ci: pendant que ce groupe
apparaissait comme libérant avec succès les douze
députés, Uribe remettrait en prison les prisonniers
relâchés et commencerait un travail politique à
lintérieur et à lextérieur du pays
visant à démontrer que les interventions directes
seraient dorénavant le moyen le plus indiqué pour obtenir
la libération des personnes contrôlées par les
FARC-EP, fermant ainsi tout espoir déchange humanitaire
et toute possibilité de dialogue. Le résultat de cette
opérations et dautres opérations analogues nous
libération du type «Ambassade de Lima» ou
«Opération Entebbe» ne peuvent être
menées à bien dans les forêts colombiennes. Ce qui
simpose inexorablement en Colombie, cest
léchange humanitaire entre le gouvernement et les
FARC-EP, comme préambule à une possibilité de
dialogue ouvrant la voie à la paix et la justice sociale.
Espérons que nombre de vos lecteurs-trices, la communauté
internationale, les Etats, les gouvernements, les partis, les
organisations sociales, religieuses, humanistes et de gauche pourront
contribuer à cette quête afin de permettre un
échange humanitaire, et que cela sera utile pour établir
une forme de dialogue en vue dune issue au conflit social et
armé que nous vivons en Colombie