Éradication de la faim, un objectif possible si…

Éradication de la faim, un objectif possible si…

Selon la FAO, 963 millions de
personnes souffraient de la faim en 2008, soit un·e
habitant·e de la planète sur sept. Paradoxalement, ce
sont en majorité des producteurs agricoles qui ne
possèdent pas – ou pas assez – de terres ni de
moyens pour les mettre en valeur.

En 2007-2008, le nombre de personnes souffrant de la faim a
augmenté de 140 millions à cause de l’explosion du
prix des produits alimentaires.

Pourquoi cette augmentation ?

D’une part, les pouvoirs publics du Nord ont augmenté
leurs aides et leurs subventions pour les agrocarburants. Du coup, il
est devenu rentable de remplacer les cultures vivrières par des
cultures fourragères et d’oléagineux, ou de
dévier une part de la production de grains (maïs,
blé…) vers leur production.
    D’autre part, après
l’éclatement de la bulle immobilière aux USA, puis
dans le reste du monde par ricochets, la spéculation des grands
investisseurs (fonds de pension, banques d’investissement, hedge
funds…) s’est déplacée vers les
denrées alimentaires. […] Bien que la spéculation
à la hausse ait pris fin à mi-2008 et que les prix sur
les marchés à terme soient ensuite retombés en
flèche, les prix au détail n’ont pas suivi le
mouvement. L’écrasante majorité de la population
mondiale en subit encore les conséquences dramatiques. Les
dizaines de millions de pertes d’emploi annoncées pour
2009-2010 aggraveront la situation.
    L’augmentation de la faim dans le monde
n’est pas due pour le moment au changement climatique. Mais ce
facteur aura des conséquences très négatives en
termes de production dans certaines régions du monde, en
particulier les zones tropicales et subtropicales. La solution consiste
en une action radicale pour réduire brutalement les
émissions de gaz à effets de serre.

Une solution : la souveraineté alimentaire

Eradiquer la faim est pourtant possible. Les solutions fondamentales
pour atteindre cet objectif vital passent par une politique de
souveraineté alimentaire et une réforme agraire,
c’est-à-dire nourrir la population à partir de
l’effort des producteurs locaux tout en limitant importations et
exportations.
    La souveraineté alimentaire devrait
être au cœur des décisions politiques des
gouvernements, le but étant de s’appuyer sur les
exploitations agricoles familiales utilisant des techniques
destinées à produire des aliments dits
« bio » (ou
« organiques »). Cela permettra de disposer
d’une alimentation de qualité : sans OGM, sans
pesticides, sans herbicides, sans engrais chimiques. Mais pour
atteindre cet objectif, il faut que plus de 3 milliards de paysan-ne-s
puissent accéder à la terre en quantité suffisante
et la travailler pour leur compte au lieu d’enrichir les grands
propriétaires, les transnationales de l’agrobusiness et
différents intermédiaires.
    Pour cela, il faut une vraie réforme agraire,
qui manque toujours cruellement dans la plupart des pays du Sud.
Celle-ci doit organiser la redistribution des terres en interdisant les
grandes propriétés terriennes privées et en
fournissant un soutien public aux agriculteurs·trices pour
qu’ils aient les moyens de cultiver la terre sans
l’épuiser.

FMI et Banque mondiale responsables

Il faut souligner que le FMI et surtout la Banque mondiale portent une
lourde responsabilité dans la crise alimentaire, car ils ont
recommandé aux gouvernements du Sud de supprimer les silos
à grains qui servaient à alimenter le marché
intérieur en cas d’insuffisance de l’offre et/ou
d’explosion des prix. Ils ont imposé aux gouvernements du
Sud de supprimer les organismes de crédit public aux paysans et
ont poussé ceux-ci dans les griffes des prêteurs
privés. Le surendettement des paysans qui en a
découlé est ainsi la cause principale du suicide de 150
000 paysan-ne-s en Inde ces dix dernières années.
    Dans le même temps, la Banque mondiale et le
FMI ont aussi poussé les pays tropicaux à réduire
leur production de blé, de riz ou de maïs pour les
remplacer par des cultures d’exportation (cacao, café,
thé, bananes, arachide, fleurs…). Enfin, pour parachever
leur travail en faveur des grandes sociétés de
l’agrobusiness et des grands pays exportateurs de
céréales (en commençant par les Etats-Unis, le
Canada et l’Europe occidentale), ils ont incité les
gouvernements à ouvrir grandes les frontières aux
importations de nourriture bénéficiant de subventions
massives de la part des gouvernements du Nord, ce qui a provoqué
la faillite de nombreux producteurs du Sud et réduit très
fortement la production vivrière locale.

Le rôle de la dette illégitime

Le combat contre la faim participe d’un combat bien plus vaste et
il est urgent de s’attaquer aux causes fondamentales de la
situation actuelle, dont la dette. Or les effets d’annonce sur ce
thème, comme lors des sommets du G8 ou du G20, masquent mal que
ce problème demeure entier. […]
    Le mécanisme infernal de la dette publique
est un obstacle essentiel à la satisfaction des besoins humains
fondamentaux, parmi lesquels l’accès à une
alimentation décente. Or la satisfaction des besoins humains
fondamentaux doit primer sur toute autre considération,
géopolitique ou financière. Les créanciers ont
prêté en connaissance de cause à des régimes
souvent corrompus qui n’ont pas utilisé l’argent
dans l’intérêt des populations : ils ne sont
pas en droit d’exiger de peuples affamés le remboursement
de dettes immorales et illégitimes.
    Il est donc urgent de mettre en œuvre la
souveraineté alimentaire et la réforme agraire,
d’abandonner la production d’agrocarburants industriels, de
recréer au Sud des stocks publics de réserves
d’aliments et de (re)créer des organismes publics de
crédit aux agriculteurs. L’Etat doit également
développer les services publics dans les milieux ruraux
(santé, éducation, communications, culture,
« banques » de semences…). […]


Damien Millet et Eric Toussaint*

Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde

*Version plus complète de cet article sur www.cadtm.org,
intertitres de notre rédaction