Mission pour le patrimoine de Palestine: objectifs et impressions

Mission pour le patrimoine de Palestine: objectifs et impressions



Notre mission civile, organisée
par le Collectif Urgence Palestine, avait pour thème la
sauvegarde du patrimoine archéologique, architectural et
culturel en Palestine. Cette tâche

est menée à bien par plusieurs organisations
palestiniennes très actives dans les domaines de la
réhabilitation d’habitats pour familles, de la
restauration de quartiers dans le centre de villes anciennes, palais
à Hébron ou grand caravansérail de Naplouse, et
cela, souvent avec le soutien de plusieurs pays européens, dont
la Suède et l’Espagne, notamment.



On pourrait s’étonner du thème choisi par cette
mission, surtout quand on connaît la situation dramatique dans
laquelle vivent les Palestiniens des territoires occupés par
l’armée israélienne, situation qui a atteint son
paroxysme depuis plusieurs mois. Mais loin d’apparaître aux
Palestiniens comme un thème accessoire ou un souci secondaire,
le patrimoine est un héritage qu’ils entendent
préserver et transmettre à leurs enfants. Car cet
héritage fait partie intégrante de leur identité
nationale. Alors, la préservation du patrimoine traditionnel, le
soin qu’ils mettent à reconstruire pour se loger
dignement, la réhabilitation de ce qui reste sont, pour eux, une
opération essentielle puisque, selon le propos bien connu, un
peuple sans passé risque de ne pas avoir d’avenir, surtout
quand cette perte est le résultat délibéré
de destructions matérielles et de spoliation de sa
mémoire par l’occupant.

Gaza, carrefour de deux continents

Que connaissons-nous ici des richesses artistiques de ce pays? Que
voyez-vous, au fil des maigres images quotidiennement
répétitives reçues de Gaza, par exemple, sinon
celle d’un territoire réduit à un champ de ruines?
Or, le projet d’une grande exposition conclue
entre leMinistère des Antiquités de Palestine et la Ville
de Genève, en partenariat avec Jean-Baptiste Humbert de
l’École biblique et archéologique française
de Jérusalem, doit nous permettre de découvrir enfin le
vrai visage de Gaza, carrefour de deux continents, l’Afrique et
l’Asie, et de plusieurs civilisations, témoin sur les
bords de la Méditerranée de la diversité
culturelle qui a présidé à la construction de la
société palestinienne moderne. Ainsi, grâce
à l’archéologie et à l’histoire, Gaza
redécouvre qu’elle a été la gloire de la
Palestine!

Espérons que les attaques de l’armée
d’occupation et les affrontements qui s’ensuivent entre
habitants palestiniens de Gaza et soldats israéliens
n’auront point atteint ou endommagé le hangar situé
sur le bord de mer et qui abrite les précieux trésors
archéologiques et artistiques (céramiques perses,
monnaies antiques de Gaza, rosaces de tympan de période
ottomane, mosaïques romaines et byzantines, etc.) dans
l’attente d’être
convoyés jusqu’à Genève où ils
doivent être dévoilés au public lors de la grande
exposition du Musée d’Art et d’Histoire
prévue en 2007. Enfin, et par effet de contraste, nous voudrions
évoquer une impression particulièrement choquante
éprouvée lors de la visite d’un village palestinien
d’environ 300 habitants, nommé Twaneh (Al Tuwani),
situé à dix kilomètres au sud de Hébron,
isolé au bord du désert et coupé de toute
communication avec l’arrière-pays.

Nous avions ce jour-là déjà parcouru et
traversé dans la région plusieurs villages que les guides
de Palestine recommandaient pour l’exemplaire beauté de
leur habitat byzantin, comme particulièrement celle de Yatta.
Sur le point de regagner Hébron, vers les cinq heures du soir,
un médecin-dentiste, venu nous offrir de l’eau
fraîche alors que nous étions arrêtés
à l’ombre de l’arbre planté devant samaison,
nous conseille de pousser jusqu’à Twaneh, «un
village dont la visite vous en apprendra beaucoup sur notre
pays», nous ditil. Après quelques hésitations, nous
suivons son conseil et partons en minibus sur un mauvais sentier de
terre, conduit par un chauffeur palestinien. Bientôt, le sentier
se transforme en fondrière, le pot d’échappement du
véhicule est même coincé un moment au passage
d’une butte. Enfin, on aperçoit au loin une large route
goudronnée qui court entre deux murets. Le bus gravit le dernier
tertre et nous arrivons à une échancrure du mur où
nous attendent des soldats israéliens.

Contrôle d’identité. Plusieurs d’entre nous
brandissent le passeport rouge à croix blanche et c’est
l’occasion, pour un très jeune soldat qui se dit bernois,
comme une passagère, d’engager un brin de conversation.

– Je fais mon service militaire pendant mes vacances
d’été, etc.

Nous l’interrompons en lui faisant remarquer que nous ne sommes
pas déçus, après une traversée
pénible et dangereuse, surtout pour notre chauffeur,
d’arriver enfin sur une route carrossable. Réponse:

– Cette voie vous est interdite. Votre chauffeur est Palestinien et les
plaques de son véhicule sont vertes! Cette route est
réservée aux colons et à l’armée
israélienne. Vous êtes juste autorisés à
passer au-delà pour continuer votre chemin qui se terminera
d’ailleurs en cul-de-sac!

Le bus poursuit son chemin par creux et bosses, tertres et ravines.

D’ordinaire, le voyageur qui passe du Nord au Sud, je veux dire
d’un pays d’Europe, développé et bien
policé à un pays du Sud frappé par la
misère et l’abandon, traverse comme un «palier de
décompression»;quelques milliers de kilomètres ou
quelques heures de vol le séparent de sa destination pour
s’accoutumer au choc de la transition.

D’un extrême à l’autre, sans transition

Ici, en ce lieu de Palestine maintenu sous occupation
israélienne, le choc surgit de la
quasi-simultanéité et de la totale contiguïté
de situations extrêmes et de nature opposée. En haut, sur
la ligne de crête de la colline, une colonie sauvage faite de
villas toutes jumelles et neuves, construites à
l’européenne avec toits pentus de tuiles roses,
réseau d’eau courante, jardins engazonnés, lignes
électriques et paraboles de réception TV. En bas, dans la
combe caillouteuse et poussiéreuse, quelques vieilles huttes
arrondies en pierres sèches, deux ou trois ânes
pelés errants parmi les rochers et au fond une colonne
de porteuses d’eau revenant, lentement, du dernier puits encore
accessible, l’autre ayant été empoisonné
lors d’une incursion de colons. Le puits (ou la citerne)
n’est qu’un trou sans margelle ni machine, avec à
son bord un simple paquet de cordes à nouer sur l’anse du
bidon pour puiser l’eau. Les récipients posés sur
la tête sont des jerrycans de récupération. Deux
mondes se touchent sans se rencontrer. «Luxe» et
«sécurité», au moins affichés, du
premier monde, le nôtre? A côté d’un autre,
perdu, misérable, le «Tiers Monde»?

Le slogan bien connu des pionniers de kibboutzim selon lequel
«nous allons faire refleurir le désert» prend ici
une tournure des plus cyniques quand on sait que la colonie pompe
l’eau, qui est un bien commun, pour son usage exclusif, un
véritable vol, et qu’elle a refusé au maire de la
partager avec les habitants palestiniens de son village. Sans parler de
toutes les entraves qui étranglent Twaneh et le vouent à
une prochaine disparition: encerclement par une route murée,
réservée aux seuls colons – connaissez-vous un
autre État qui pratique un tel régime d’apartheid
à l’égard d’une population occupée?
– guichet militaire unique au seul point de passage vers Yatta;
relégation vers la partie stérile et incultivable du
territoire; agressions répétées des colons contre
les villageois, y compris contre les enfants attaqués sur le
chemin de l’école (des volontaires de Christian Peace Team
rencontrés sur place et qui avaient protégé ces
enfants ont été attaqués eux-mêmes par les
colons, malgré la présence d’une patrouille
israélienne qui n’est pas intervenue…)

La préservation du patrimoine connaît ici une urgence
extrême puisque les pierres qu’il s’agit de sauver
sont les Pierres Vives de Twaneh, à savoir ses propres habitants
menacés dans leur existence même…

Pénurie provoquée. Eau amère. Inhumaine violence.
Que l’occupation et la colonisation cessent pour que la terreur
panique des uns et la souffrance humiliée des autres
s’arrêtent enfin!

Eric Merguin