Gauche italienne: les leçons de l’histoire

Gauche italienne: les leçons de l’histoire

Selon certains observateurs de la politique italienne,
l’instauration du gouvernement de centre-gauche semble avoir
rendu à l’Italie une “normalité” qui
lui faisait depuis longtemps défaut. Force est de constater
néanmoins que l’Italie ne s’est jamais
véritablement écartée du modèle de
normalisation néolibérale, à l’aune duquel
elle est aujourd’hui encore évaluée par la
communauté internationale. Les couleurs de l’alternance
politique, le rythme des contre-réformes euro-compatibles, la
rigueur de la politique budgétaire et la montée de
l’insatisfaction sociale n’ont-ils pas un goût de
déjà vu? Et ne faudrait-il pas ramener les
spécificités nationales, trop souvent soulignées
dans le cas italien, à l’organisation de son
système politique, à ses cultures politiques très
fortement polarisées, en somme aux vicissitudes historiques qui
devaient aboutir à l’instauration d’une
deuxième république (réformes constitutionnelles
initiées en novembre 2005).

Un héritage lourd

L’héritage du fascisme a tout d’abord fortement
pesé sur le sort de la toute nouvelle république de 1948,
en lui léguant des institutions politiques et économiques
et une partie de son cadre normatif. La lutte antifasciste, et en
particulier la guerre de résistance a, quant à elle,
fortement inscrit le Parti communiste italien dans la
réalité politique de la péninsule, le faisant
devenir le plus important parti de masse de l’Europe de
l’Ouest. La Guerre froide enfin, qui se fait sentir en Italie
plus qu’ailleurs, marque, avec l’accord global de la
Démocratie chrétienne au pouvoir,
l’intégration de l’Italie dans le dispositif
stratégique de l’OTAN.

La transition institutionnelle qui a mis un terme à la
«république fondée sur le travail» (selon les
termes de la Constitution rédigée en 1948 par
l’antifasciste Piero Calamandrei) s’est aussi soldée
par l’agonie interminable du PCI (dont la majorité est
aujourd’hui reconvertie au social-libéralisme sous la
dénomination très prometteuse de Parti Démocrate);
par l’affirmation d’une «nouvelle» droite
arrogante, décomplexée, et ouvertement xénophobe;
par le redéploiement à grande échelle des
intérêts privées des castes et des groupes de
pouvoir, ainsi que par des initiatives divergentes de
réorganisation de la gauche radicale et alternative. Mais,
contrairement aux apparences, la transition ne date pas des
années 90. Elle s’est jouée fondamentalement au
cours des années 70. C’est ici que la gauche, toute la
gauche a grillé ses «dernières» cartouches
(au sens propre comme au figuré). La classe ouvrière
à genoux ou littéralement décimée, des
dizaines de milliers de militant-e-s en prison, en sursis ou
exilés, alors que la restructuration capitaliste ravage les
métropoles du Nord et les campagnes du Sud:c’est le bilan
qu’on peut tirer au début des années 80.
C’est le prix (ou le rite?) de passage du régime fordiste
au post-fordisme selon certains, la transition à la
post-modernité pour d’autres. Mais qu’importent les
étiquettes savantes ou journalistiques, cette défaite
n’était écrite nulle part, en ce sens, elle est
proprement historique.

Le Gouvernement Prodi romp avec le mouvement

Mais revenons plus près de nous. Gênes 2001 et les Forums
et mouvements sociaux d’un côté, le PRC (parti de la
refondation communiste) de l’autre. Un mariage de raison qui a
vécu: il n’y avait pas d’amour. Alors
qu’à Vicenza, la population donnait de la voix contre la
base militaire de l’OTAN (ils étaient environ 200000 dans
la rue), la gauche de gouvernement (plus ou moins
«radicale») s’embourbait dans ses contradictions pour
s’aligner finalement sur les intérêts
stratégiques de la globalisation impériale. La 137e
aéroportée US basée à Vicenza est la
brigade d’attaque qui a ouvert la voie de Baghdad par le nord aux
troupes d’invasion. Ce n’est donc pas un rôle de
deuxième plan que le dispositif militaire atlantique
réserve à la plateforme italienne. Et cela depuis
toujours. Le passage de la mobilisation de Vicenza à celle de
Rome, où le 9 juin dernier la visite de Bush mobilisait 150000
contre-manifestant-e-s dénonçant explicitement
l’alignement du gouvernement Prodi, consacre l’emprise sur
le terrain de ce mouvement social, désormais affranchi de toute
loyauté résiduelle envers la gauche du gouvernement.

Deuxième étape clé: le 23 juillet dernier, en
pleine pause estivale, les confédérations syndicales
signent un accord avec le gouvernement, qui révise à la
baisse le système des retraites, pérennise le
précariat et introduit la défiscalisation des heures
supplémentaires. Des réformes chères au patronat,
pas seulement en Italie. Nouvelle impasse pour le «gouvernement
de gauche». Nouvel embarras pour la gauche de la gauche. Cette
fois, tout l’appareil syndical confédéral
s’engage pour sauver la face de l’administration Prodi en
organisant un référendum ad hoc. Même la CGIL
participe à la manoeuvre. Opération conduite de main de
maître, mais qui ne trompera pas les franges combatives du
salariat (métallurgistes, grandes usines du Nord,
établissements publics, etc.), ainsi que ses plus proches
représentants (FIOM, COBAS, SdL, etc.). Dès cette date,
le calendrier social est rythmé par les échéances
visant à faire de l’automne un moment de
vérification majeure de la capacité d’organisation
et d’initiative des travailleurseuses et de leurs vrais amis.

Federico Martinez R.