Colombie: les victimes des crimes d’Etat appellent à manifester

Colombie: les victimes des crimes d’Etat appellent à manifester

La libération, début janvier 2008, de Clara Rojas
(secrétaire de la sénatrice Ingrid Betancourt) et de
Consuelo Gonzalez de Perdomo – prisonnières depuis
plusieurs années du mouvement guérillero «Forces
armées révolutionnaires de Colombie» (FARC-EP)
– a (re) mis la Colombie à la une des médias. Or,
le conflit armé en Colombie fait l’objet d’une
grille de lecture contestable. La situation pénible des
prisonniers et prisonnières de la guérilla (dont Ingrid
Betancourt, depuis 6 ans) devient l’arbre qui cache la
forêt: la «violencia» ne se réduit pas au
conflit entre l’Etat colombien et les organisations de
guérilla, mais frappe les mouvements sociaux et les partis
politiques légaux, comme le démontrent les rapports
d’Amnesty International1.

Pourtant la majorité de la presse européenne et
états-unienne (conformiste et intellectuellement paresseuse)
relaie complaisamment les campagnes médiatiques du gouvernement
colombien, version «made in USA» de «la guerre contre
le terrorisme»2.

Une solution militaire à un conflit de longue durée?

La «violencia» a débuté en 1948, après
l’assassinat de Jorge Eliecer Gaïtan, candidat
libéral à la présidence jugé trop
«populiste» par les classes dominantes. Dès les
années 60, plusieurs mouvements de guérilla ont surgi,
dont les FARC, l’Armée de libération nationale
(ELN) et le Mouvement du 19 avril (M-19). Dans le cadre de cette
guerre, la classe dominante a mis sur pied des groupes paramilitaires,
d’une redoutable efficacité, malgré leur
récente prétendue «démobilisation».

Par le passé, plusieurs tentatives de solution
négociée ont finalement échoué. En 1984,
les FARC-EP avaient participé à la formation d’un
parti politique légal, «Union Patriotica», dans la
perspective d’une solution politique. Ce parti a
été littéralement liquidé physiquement par
les groupes paramilitaires; le M-19, devenu parti politique, a
continué d’être pris pour cible.

Continuité de la parapolitique

Spécificité colombienne, le «paramilitarisme»
est devenu une force politique. En mars 2002, le vice-président
Francisco Santos Calderón déclarait: «Il est
certain que le Congrès que nous allons élire sera pire
encore que l’actuel. Il sera, mis à part quelques
exceptions, un Congrès au service des caciques politiques
traditionnels, des ‘narcos’et des paramilitaires»3.
Autre avis, celui du prêtre jésuite Javier Giraldo,
défenseur des droits humains: «Actuellement,
l’impunité qu’offre Uribe aux paramilitaires a pour
objectif de permettre un accès d’ores et
déjà légal au contrôle de l’Etat par
la voie électorale. Dans cette phase de
«légalisation», on s’aperçoit
qu’ils ont tissé, par leur énorme pouvoir
économique, des liens très étroits avec la classe
politique traditionnelle et émergente, particulièrement
avec le Parlement, la force publique, le pouvoir judiciaire, les partis
politiques et les médias de masse. C’est pourquoi ils
arrivent à gérer le «scandale» […].
J’espère me tromper mais le futur prévisible,
d’ici quatre ou cinq ans, c’est celui d’une
domination légalisée des paramilitaires en
«costume-cravate» totalement acceptés par la
société et qui pourront s’exprimer à travers
les médias»4.

Un épisode de la «guerre psychologique»

La manifestation «anti-FARC» du 4 février dernier
relève, il faut le savoir, de la «guerre
psychologique» menée par le gouvernement d’Alvaro
Uribe. Elle a été lancée en janvier 2008 par un
site internet ­(Facebook.com), dont la direction est formée
de trois «néoconservateurs» états-uniens5.

Ces manifestations ont eu lieu dans plus de 50 villes colombiennes,
ainsi qu’à l’étranger, avec l’appui de
la classe dirigeante… y compris des chefs paramilitaires! Le 4
février, des organisations sociales, syndicales et de
défense des droits humains, ainsi que la coalition de gauche
«Pôle démocratique alternatif», ont
organisé à Bogota un rassemblement «pour
l’accord humanitaire, non à la guerre et aux
séquestrations». Les familles de militaires et policiers
prisonniers de la guérilla n’ont pas participé
à la marche officielle6.

Légitimité de la lutte armée

Le 6 mars, le mouvement national des victimes des crimes d’Etat
organise une marche contre le militarisme. Les organisateurs et
organisatrices ont rappelé le lourd bilan du conflit:
15 000 disparu-e-s, 1700 indigènes, 2550 syndicalistes et
5000 membres d’«Union Patriotica» assassinés,
ainsi que 4 millions de personnes déplacées. «Les
politiques de ‘lutte antiterroriste la stratégie
officielle de ‘sécurité démocratique’
légalisent le pouvoir mafieux en Colombie, une menace pour les
forces sociales et démocratiques qui veulent une transformation
réelle de notre pays»7.

Ce constat explique que des secteurs du peuple colombien aient pris les
armes contre l’oligarchie en place et ne croient pas à la
«démocratie paramilitarisée» d’Alvaro
Uribe8. Seule, une solution politique pourrait permettre
d’en finir avec la logique de guerre. Or, le gouvernement
colombien privilégie la «solution militaire», la
Colombie ayant été de surcroit transformée depuis
plusieurs années en porte-avions yankee contre la
révolution bolivarienne au Venezuela et en Equateur.

Hans-Peter Renk

1   
Fernand Meunier, Périples en Colombie, des Caraïbes
à l’Amazonie. Paris, Ed. Claude Müller, Amnesty
International, 2006.
2    Hernando Calvo Ospina, «Aux frontières
du plan Colombie», Le Monde diplomatique, février 2005.
3    Hernando Calvo Ospina, «Les relents
narco-paramilitaires du président Uribe» (avril 2007), http://risal.collectifs.net/spip.php?article2151.
4    Javier Giraldo, «L’avenir de la
Colombie: une domination des paramilitaires en
‘costume-cravate» (novembre 2007),
http://risal.collectifs.net/spip.php?article2092.
5    Pascual Serrano & German Leyens,
«Quién es detras de Facebook, el portal desde el que
surgió la movilización internacional contra las
FARC», www.rebelion.org/noticia.php?id=62959.
6    Sources: http://www.semana.com (Revista Semana, Bogota, 1.2.2008).
7    «Convocada une marcha contra la actuación de grupos paramilitares», www.rebelion.org./noticia.php?id-62957.
8    Ricardo Granda (porte-parole des FARC-EP),
«Guérilla en Colombie: la fin et les moyens»,
solidaritéS, no 113, cahier Emancipation (5.9.2007)