Quel avenir pour nos retraites ?

Quel avenir pour nos retraites ?

Le mardi 2 juin, solidaritéS
organisait un café politique à Lausanne pour
débattre de l’avenir de nos retraites. Afin de saisir les
fondements du modèle helvétique et de dessiner les
grandes lignes d’une alternative, un historien, Mathieu
Leimgruber, et un mathématicien, Michel Ducommun, ancien
président CIA (principale caisse de pension de la fonction
publique genevoise), étaient invités à prendre la
parole.



Depuis une quinzaine d’années, toutes les mesures prises
par les autorités fédérales en matière de
prévoyance vieillesse vont dans le sens d’une
individualisation du risque et d’une amputation des rentes.
Cependant, seule une vision à long terme permet de saisir le
sens des trois piliers qui fondent le système de retraite
helvétique : un partage des tâches et du
financement entre public et privé sous le contrôle
omniprésent des compagnies d’assurances. Si ces tendances
lourdes se traduisent par une grande inertie, il n’en reste pas
moins vrai que l’histoire qui a donné naissance à
l’AVS (Assurance vieillesse et survivants), puis au
système des trois piliers, est une histoire profondément
conflictuelle. Trois moments symboliques permettent de suivre son
évolution.

1er acte : l’AVS de 1948

Trois décennies après la grève
générale de 1918, dont elle était la revendication
phare, l’AVS voit le jour en 1948. A la fin de la Seconde guerre
mondiale, c’est le radical Walther Stampfli, directeur des
aciéries Von Roll et ancien membre de l’Association des
caisses de pensions, qui mène campagne pour son introduction,
avec l’appui discret des assureurs.
Dans un contexte de réflexion mondiale sur la
sécurité sociale
(« Sécu » en France et plan Beveridge
en Angleterre), l’AVS est considérée par ses
architectes comme « un ciment idéal pour enrayer la
fracture sociale, à condition que ses rentes restent minimales
et ne freinent pas le développement de la prévoyance
privée », relève Leimgruber. Aubaine pour le
patronat : cette AVS minimale garantit un large espace pour le
développement des caisses de pensions. Les premières
rentes versées sont en moyenne de 80 francs par mois dans les
années 1950, permettant aux cotisations de faire croître
rapidement les réserves, de 9 à 37 milliards de francs
entre 1955 et 1970, soit près de 40 % du PIB.

2e acte : les trois piliers de 1972

Dans le contexte des années 68, l’amélioration de
l’AVS se trouve au cœur des revendications de la gauche.
Deux initiatives concurrentes, du Parti socialiste et du Parti du
travail, pour des « pensions populaires »
sont alors lancées. C’est dans ce contexte que, dans les
salons feutrés des palais assurantiels de Zurich, avec
l’appui du Conseiller fédéral socialiste Hans-Peter
Tschudi, les héritiers de Stampfli préparent la
contre-offensive. Jouant sur les divisions de la gauche, leur projet
ancre le principe des trois piliers dans la constitution. Il est mis en
votation populaire et adopté par 77 % des voix, le
3 décembre 1972.
Un « deuxième pilier » obligatoire et
des mesures favorisant l’épargne retraite individuelle
permettent dès lors d’endiguer l’AVS et
d’ouvrir un champ inespéré pour les caisses de
pension: le nombre de personnes à assurer ne cesse de
croître de même que l’espérance de vie.
Plus récemment, la décennie 1998-2008 est marquée
par l’instabilité financière qui voit les
assurances tenter de se désengager de leurs obligations. Leurs
pressions pour une diminution des taux de rendement du deuxième
pilier portent leurs fruits : il passe de 4 % à
2,5 % entre 2002 et 2008, ce qui conduit à une baisse des
retraites de 29 % pour des cotisations calculées sur 40
ans. Mais comment sortir de ce piège des trois piliers qui sape
la solidarité et asphyxie le système de retraites depuis
plus de 35 ans ?

3e acte : un modèle alternatif ?

Les batailles à venir seront extrêmement importantes. Les
enjeux financiers sont de taille, puisque depuis 1998 les avoirs des
fonds de pension helvétiques dépassent le produit
national brut. Pour Michel Ducommun, il faudratout d’abord
déconstruire les arguments de la droite : projections
alarmistes fondées sur des évolutions
démographiques et des taux de rendement fantaisistes, conflit de
génération monté en épingle,
instrumentalisation de la crise, etc. En réalité, non
seulement les moyens pour financer une prévoyance solidaire
existent, mais c’est aussi le bon moment pour proposer un
modèle alternatif, puisque le référendum contre la
baisse des rentes LPP a abouti en avril dernier, avec plus de
200 000 signatures, ce qui est historiquement exceptionnel.
La perte de confiance de la population dans le système des trois
piliers doit nous inciter à tenir fermement la barre à
gauche avec un objectif fondamental: des rentes correspondant à
80 % du dernier salaire net pour toutes et tous, avec un seuil
minimal de 3500 francs indexé annuellement. Comment y
parvenir ? Par la fusion de l’AVS avec le deuxième
pilier, autrement dit par un système fondé
essentiellement sur la répartition (tablant sur les cotisations
des actifs), disposant aussi d’un fonds de réserve (dont
le rendement complète les rentes). Selon les calculs de
Ducommun, un tel modèle permettrait de mettre un terme à
la capitalisation (et à la capitulation) intégrale.
En clair, il s’agirait d’opérer une expropriation
des assurances privées afin que le contrôle des 500
milliards du fonds de réserve actuel soit aux mains des
salarié·e·s. La crise actuelle et les
débats internationaux qui mettent en question les
systèmes de pensions par capitalisation ouvrent la voie à
une mobilisation en faveur d’un retour à la
répartition. Afin d’avancer dans ce sens, il faut mener le
débat et travailler obstinément à la construction
d’un large front de gauche, politique et syndical, au niveau
fédéral. 7

Isabelle Lucas