Ordre social contre libertés fondamentales

Ordre social contre libertés fondamentales



Le texte de Jean-Michel Dolivo que
nous publions ici est l’extrait inédit d’un chapitre
du livre collectif Suisse, à droite sans limite ?
à paraître très prochainement aux éditions
de l’Aire. Nous remercions l’éditeur de nous avoir
gracieusement accordé l’autorisation d’une telle
publication dans nos colonnes (réd.)

Les autorités fédérales et cantonales
helvétiques se sont dotées ces dernières
années de moyens plus performants et plus ciblés de
répression, de contrôle et de surveillance visant à
mettre au pas toute forme de résistance, à faire plier
tout comportement considéré comme déviant. Les
nombreuses campagnes médiatiques sur les thèmes de
« l’insécurité », de la
« tolérance zéro », de la lutte
« contre les incivilités » servent de
toile de fond à cette frénésie sécuritaire.
Un arsenal qui a pour vocation d’intimider et, si
nécessaire, d’écraser dans l’œuf toute
forme d’opposition au système dominant par des mesures et
des interventions répressives, un arsenal qui légalise
des formes de répression mettant en cause des droits
fondamentaux. Anticipant des possibles ripostes collectives aux effets
de la crise économique et écologique,
l’establishment a mis en place des outils juridiques et des
moyens policiers qui restreignent gravement les libertés
publiques, les libertés personnelles, et les droits
fondamentaux. Il s’agit de pouvoir imposer des solutions
autoritaires aux salarié·e·s afin de leur faire
payer cette crise.

Droit des étrangers, les ingrédients de l’arbitraire

La politique migratoire du Conseil fédéral constitue un
véritable laboratoire d’essai, tant sur le plan
légal qu’en matière de pratiques policières,
pour la mise en place d’instruments ayant pour effet de
restreindre gravement les droits des personnes.

    Ainsi le délit de faciès, lié
à la couleur de la peau, s’est élargi au
contrôle systématique de jeunes, puis à celui qui,
dans une manifestation a une tenue vestimentaire propre à
empêcher une identification (loi dite anticagoule).

    Les assignations à un lieu de
résidence ainsi que les interdictions de pénétrer
dans une région déterminée (article 74 de la Loi
sur les étrangers – LEtr) visaient d’abord à
restreindre la liberté de déplacement de
l’étranger et de l’étrangère en
situation irrégulière, elles peuvent concerner
désormais toute personne dont le comportement est susceptible de
créer un trouble à l’ordre ou à la
tranquillité publique.

    Les autorités policières,
administratives et pénales se sont appuyées sur la
fragilité particulière du
« statut » de migrant·e·s,
sans-papiers ou requérant·e·s d’asile, pour
imposer une détention administrative, les mesures de contrainte,
qui peuvent aller jusqu’à une durée de deux ans
(article 79 LEtr). Cet arbitraire se déploie sur la toile de
fond formée par les bouleversements intervenus dans les pays du
Sud et de l’Est, entraînant un déracinement
d’une partie importante de leur population. La situation des
migrant·e·s, sans-papiers ou
requérant·e·s d’asile, dans des pays riches
ressemble à celle des paysans à la fin du XVe
siècle en Angleterre, chassés de leur terre et contraints
à la tyrannie du salariat ou aux galères. Elle est
décrite magistralement par un certain Karl Marx, dans la section
8 du livre I du Capital, qui relève notamment que la
législation de l’époque les « traita
en criminels volontaires ».

    L’Union démocratique du centre (UDC)
est bien entendu le fer de lance de cette politique. […]

Le bannissement au goût du jour

Le 19 février 2009, le Grand Conseil de la République et
canton de Genève a voté une  modification de la loi
cantonale sur la police (LPol), sur proposition des
Libéraux,  qui octroie aux forces de l’ordre le
pouvoir de prendre la décision
« d’éloigner une personne d’un lieu ou
d’un périmètre déterminé, si :
a) elle-même ou un rassemblement de personnes auquel elle
participe menace l’ordre ou la sécurité publics ;
b) elle-même ou un rassemblement de personnes auquel elle
participe importune sérieusement des tiers ou empêche sans
motif l’usage normal du domaine public ; c) elle se livre
à la mendicité ; d) elle participe à des
transactions portant sur des biens dont le commerce est prohibé,
notamment des stupéfiants. » La loi genevoise laisse
entièrement à l’appréciation des policiers
ce qu’il faut entendre par ordre et sécurité
publics ! Plus aléatoire encore :
l’éloignement du périmètre est laissé
à l’appréciation des forces de
l’ordre… La présence de syndicalistes devant une
entreprise pourrait fort bien constituer un rassemblement qui importune
des tiers, par exemple… l’employeur ! De
surcroît, le principe de droit, selon lequel il ne saurait y
avoir de peine sans délit, est ainsi bafoué.
Chacun·e peut être sanctionné·e sans avoir
commis le début d’une infraction concrète. Il
suffit que la police le décrète et la sanction est
prononcée. La liberté personnelle, en particulier la
liberté d’aller et venir, est suspendue à
l’arbitraire des pandores. Des dispositions légales
comparables existaient déjà dans le canton de Berne et de
Zurich ainsi qu’en ville de Saint Gall. […]

La grève, un délit

Le droit de grève correspond au droit de recourir à une
forme collective de lutte, efficace dans la mesure où elle
exerce une pression réelle sur l’employeur, lorsque
d’autres moyens d’action ont échoué. Elle
représente souvent la seule réponse possible pour des
salarié·e·s face à la contrainte que
constitue pour eux le rapport de subordination inhérent au
statut salarial. Dans un rapport publié en décembre 2008
sur le respect par la Suisse des normes fondamentales du travail
reconnues à l’échelle internationale, la
Confédération syndicale internationale (CSI) conclut que
« la protection légale octroyée aux
syndicalistes est insuffisante en Suisse. En pratique la
négociation collective est parfois entravée par la
mauvaise foi et des problèmes d’ingérence. Les
limitations au droit de grève persistent depuis plusieurs
années à tel point que les grèves sont
légalement interdites par certains cantons et communes. Le
gouvernement ne cherche pas à promouvoir les conventions (de
l’OIT – réd.) ». Des jugements récents
vident totalement de sa substance le droit de grève, pourtant
reconnu à l’article 28 de la Constitution
fédérale. Par définition la grève est une
forme de pression sur l’employeur et les piquets de grève
ne constituent qu’une mise en œuvre de ce droit. En se
prononçant notamment sur la
« proportionnalité » de la
grève, les tribunaux expriment avant tout une opinion sur le
bien-fondé du moyen de lutte utilisé par les
salarié·e·s :

• Le 25 novembre 2003 une majorité de
salarié·e·s de l’entreprise Allpack à
Reinach (Bâle-campagne) s’était mis en grève,
avec le soutien de leur syndicat comedia. Quelques jours après,
les grenadiers de la police cantonale étaient intervenus pour
annihiler brutalement le piquet de grève, sous prétexte
de garantir l’accès à l’entreprise aux
briseurs de grève et à l’employeur. Malgré
ce coup de force, les grévistes avaient reconstitué des
piquets de grève à la porte de leur entreprise. Cette
lutte avait trouvé une large sympathie dans la population. La
grève des travailleurs·euses d’Allpack était
une réponse à une provocation patronale, celle
d’imposer de nouveaux contrats, impliquant notamment une
augmentation de 40 à 41 h de la journée de
travail, une annualisation du temps de travail, la suppression du 13e
salaire et une semaine de vacances par année. Devant ce diktat
patronal et le refus de toute négociation avec le syndicat, les
salarié·e·s avaient décidé de
répondre à cette agression par la grève. Les
autorités du canton de Bâle-campagne, au nom de la
nécessité de faire respecter une prétendue
« liberté de travailler »,
étaient intervenues massivement au côté de
l’employeur pour l’aider à faire triompher ses
intérêts. Les 25 et 26 mars 2009 derniers s’est
joué le dernier acte de ce bras de fer, à savoir le
procès et la condamnation, par le Tribunal pénal de
Bâle-campagne, de 18 syndicalistes à des peines de trois
jours-amendes avec sursis; cinq d’entre eux pour contrainte et
violation de domicile, quatre pour contrainte et neuf pour violation de
domicile. Ces « délits » auraient
été commis, selon le juge, du seul fait que ces
syndicalistes avaient participé à aux piquets de
grève et s’étaient assis devant les locaux de
l’entreprise !

• Le 4 novembre 2002, le chantier du tunnel du Baregg, dans le
canton d’Argovie sur l’autoroute A1, est bloqué dans
le cadre d’un mouvement national de grève du syndicat
Unia ; ce mouvement faisant suite à la volte-face de la
Société suisse des entrepreneurs qui avait refusé
l’accord négocié avec le syndicat pour une
introduction progressive de la retraite anticipée à 60
ans. Le chantier du Baregg était un exemple parfait d’un
grand chantier où les travailleurs de la construction se tuaient
à la tâche, travaillant dans des conditions
particulièrement pénibles. Suite aux pressions
exercées sur eux, les travaux sur ce chantier avaient même
été terminés six mois à l’avance par
rapport aux délais planifiés ! L’action
symbolique des syndicalistes d’Unia avait été de
courte durée et toutes les mesures avaient été
prises pour ne mettre aucun usager en danger. Huit jours après
la grève, les entrepreneurs ratifiaient enfin l’accord
trouvé pour la retraite à 60 ans dans le secteur du gros
œuvre. Le 22 août 2006, le Tribunal de district de Baden
condamnait quatre syndicalistes d’Unia à 14 jours de
prison avec sursis et 500 francs d’amende pour contrainte. Suite
à un recours au Tribunal fédéral, celui-ci a
confirmé, le 3 avril 2008, cette condamnation, sous
prétexte notamment que le blocage n’était pas
dirigé contre les employeurs du secteur de la construction et
qu’il visait d’abord à attirer l’attention du
public sur les revendications des ouvriers de la construction.

La chasse aux pauvres est ouverte

Le 30 novembre 2007, le Grand Conseil de la République et canton
de Genève adoptait une loi interdisant la mendicité,
sanctionnée d’une peine d’amende. Lorsqu’une
amende est infligée par un fonctionnaire de police ou un agent
de sécurité municipal, le contrevenant peut la payer
immédiatement en mains de celui-ci, contre quittance et sans
frais administratifs. Lorsqu’il y a de sérieuses raisons
de penser que le contrevenant qui ne paie pas l’amende
immédiatement entend se soustraire au paiement de celle-ci,
notamment s’il n’est pas domicilié dans le canton de
Genève ou n’est pas au bénéfice d’une
autorisation de séjour ou d’établissement, le
fonctionnaire de police ou l’agent de sécurité
municipal peut exiger qu’il en consigne tout de suite le montant
ou fournisse d’autres sûretés, en ses mains, contre
quittance et sans frais administratifs. Dans les considérants
d’un arrêt rendu le 9 mai 2008, le Tribunal
fédéral pour motiver le rejet le recours formé
contre cette loi dit entre autres que : « On ne
saurait nier que la mendicité peut entraîner des
débordements, donnant lieu à des plaintes, notamment de
particuliers importunés et de commerçants inquiets de
voir fuir leur clientèle, et incitant les autorités,
légitimement soucieuses de préserver l’ordre
public, à réagir. Il n’est en effet pas rare que
des personnes qui mendient adoptent une attitude insistante, voire
harcèlent les passants. […] Maintes personnes les
ressentent comme une forme de contrainte ou du moins comme une
pression, qui les incitent à une attitude
d’évitement, si ce n’est à des manifestations
d’intolérance » (consid. 5.6).

    Depuis 2006, les Roms avaient fait l’objet
d’un véritable harcèlement de la part de la police
à Genève. Cette dernière ne cessait de leur
infliger des amendes pour mendicité. En 2006 et 2007, selon le
mouvement Mesemrom, ces amendes n’avaient pas été
notifiées conformément aux procédures en
vigueur : elles ne constituaient ainsi rien d’autre
qu’une forme de racket organisé. En 2008, 1100 amendes ont
été infligées. Les policiers faisaient très
souvent les poches des Roms contrôlés, pour leur prendre
ce qu’ils avaient, sous prétexte
« d’avance » pour l’amende. La
loi adoptée en novembre 2007 par le parlement genevois
« légalise », sous une forme
policée, ces pratiques. Suite à
l’incarcération d’une Rom de Roumanie en juin 2009,
après un jugement du Ministère public genevois
convertissant des amendes infligées pour mendicité en
peine privative de liberté, le Tribunal d’application des
peines et des mesures a constaté
l’irrégularité des notifications dans la Feuille
d’avis officielle des amendes pour mendicité, et remis
immédiatement l’intéressée en
liberté. En effet la voie de notification par la Feuille
d’Avis Officielle est une voie exceptionnelle, ouverte uniquement
pour des personnes ne disposant pas de domicile. Or, tel n’est
pas le cas des Roms de Roumanie de passage à Genève qui,
tous, disposent d’une adresse figurant d’ailleurs sur leur
carte d’identité !

    Dans la campagne politique et médiatique
menée par les autorités genevoises contre la
mendicité, les Roms étaient et restent prioritairement
visés. Mais plus largement, dans le collimateur de cette
campagne, on trouve toutes celles et tous ceux qui sont touchés
par la très grande pauvreté, quelle que soit la couleur
de leur passeport : les pauvres et les miséreux doivent
impérativement rester discret et avoir le bon goût de ne
pas étaler leur malheur publiquement ! La chute dans la
misère, particulièrement en période de crise, ne
doit pas être visible. Etre mendiant, c’est d’une
certaine manière abuser de la pauvreté…

Le délit de solidarité

La Loi sur les étrangers (LEtr) sanctionne d’une peine
privative de liberté d’un an ou d’une peine
pécuniaire celui ou celle qui, en Suisse,
« facilite un séjour illégal d’un
étranger» (article 116 al.1 LEtr). Cette disposition a
été invoquée par les autorités
policières et judiciaires pour poursuivre pénalement des
personnes ayant apporté leur aide à des sans-papiers dans
le cadre des mouvements de solidarité. Il est
révélateur que l’aide à
l’entrée ou au séjour illégal est
réprimée même si elle a été
motivée par un idéal, sans dessein
d’enrichissement. Est en infraction celui dont le comportement
rend plus difficile le prononcé ou l’exécution
d’une décision à l’encontre d’un
étranger en situation irrégulière ou restreint
pour les autorités les possibilités de
l’arrêter.
  
 A Fribourg, une institutrice a été
condamnée, en juin 2003, à 300 francs d’amende pour
avoir logé gratuitement un sans-papier durant trois mois et
demi. Le jugement de première instance a été
confirmé par la Cour d’appel pénale ainsi que par
le Tribunal fédéral (ATF 6S.137/2004), ce dernier
considérant que « durant une assez longue
période – plus de trois mois – l’institutrice
a hébergé en connaissance de cause un étranger en
situation irrégulière. Elle a ainsi fourni une prestation
qui a rendu plus difficile, voire a exclu le pouvoir
d’intervention des autorités ». Un
député socialiste fribourgeois a également
été condamné pour des faits identiques, alors
qu’un Provincial des Pères Blancs avait été
purement et simplement acquitté. Des sanctions à la
tête du client… Dans une communauté religieuse,
deux  sœurs ont été poursuivies pour avoir
logé deux sans-papiers pendant un mois et leur avoir
donné, chaque soir, un repas chaud. Malgré le fait
qu’elles aient invoqué leur devoir de charité,
l’une a été condamnée à 100 francs
d’amende et l’autre libérée, par jugement du
Juge de police de l’arrondissement de la Sarine du 13 avril 2005.
Deux poids, deux mesures, là aussi ! […]

    Les procès intentés par les
autorités contre des personnes engagées dans les
mouvements de soutien aux sans-papiers relèvent avant tout de
l’intimidation. Leur objectif est de faire rentrer dans
l’ombre ces mouvements. Car une interprétation trop large
de l’art. 116 LEtr se heurterait à un certain nombre de
décisions politiques comme celles de scolariser les enfants de
sans-papiers ou de leur reconnaître le droit à une
assurance-maladie obligatoire.

Surveillance et fichage, le grand retour de l’Etat fouineur

Big Brother is watching you… En Grande-Bretagne quatre millions
de caméras de surveillance ont été
installées. Ainsi une personne peut être filmée
jusqu’à 300 fois par jour ! Pourtant les
responsables de la police britannique parlent d’un
véritable fiasco. Ils dénoncent des dépenses trop
importantes au regard des résultats : « Des
milliards de livres ont été dépensés dans
le matériel, mais on n’a pas réfléchi
à la manière dont la police allait utiliser les images et
comment elles seraient présentées au
tribunal », explique Mike Neville, responsable du bureau
des images de Scotland Yard. Selon lui, les images provenant des
65 000 caméras londoniennes n’ont permis
d’élucider que 3 % des vols commis sur la voie
publique. Certains rapports estiment même que l’argent
dépensé dans la vidéosurveillance aurait
sensiblement permis de faire baisser la criminalité s’il
avait servi à augmenter l’éclairage public. Et
pourtant, dans les années 90, le ministère de
l’Intérieur britannique y avait consacré
80 % du budget anti-criminalité, environ 630 millions
d’euros entre 1994 et 2004. Il y aurait en Suisse près de
40 000 caméras de surveillance. En 2003, le Conseil
fédéral a jugé opportun, vu l’augmentation
importante du nombre d’agressions et de
déprédations perpétrées dans les trains, de
donner son feu vert aux CFF afin que ceux-ci munissent leurs trains de
caméras de vidéosurveillance. Selon le gouvernement,
l’expérience pilote entre 2001 et 2003 aurait
démontré que la vidéosurveillance permettait de
réduire les actes de vandalisme de 80 %.
L’Ordonnance fédérale sur la
vidéosurveillance des chemins de fer a ainsi été
édictée. […]

    En Suisse, comme dans de nombreux pays occidentaux,
un nombre croissant de lois et de décrets ont été
adoptés ces dernières années, tirant
prétexte de la lutte contre le
« terrorisme ». On peut ainsi mentionner
l’extension de l’obligation de fournir des renseignements.
Selon un décret du Conseil fédéral, la
Confédération, les cantons et les institutions publiques
seront obligés de communiquer tous les renseignements dont
pourraient avoir besoin les autorités qui luttent contre le
terrorisme. Cela signifie, par exemple, que les
enseignant·e·s devront fournir des informations sur les
familles de leurs élèves venu·e·s de
l’étranger. D’autres décrets ont
été adoptés par le Conseil fédéral
quant à la récolte des données, obligeant les
opérateurs de téléphonie mobile à
enregistrer les utilisateurs et utilisatrices de
téléphones mobiles à prépaiement. Afin de
se libérer des soupçons qui pèsent sur elle
(notamment d’être la plaque tournante financière et
la base logistique des groupes terroristes), la Suisse coopère,
depuis le 11 Septembre 2001, de façon étroite avec les
Etats-Unis.

    Pour mémoire, il y a près de vingt
ans, éclatait le scandale des fiches : 900 000
personnes et organisations avaient été surveillées
et fichées, parfois durant des décennies, par la police
politique, uniquement en raison de leurs opinions et de leur
engagement. En juin 2008, on apprenait que six députés au
Grand Conseil bâlois, d’origine turque, avaient
été fichés. La Délégation des
commissions de gestion des Chambres fédérales avait
déjà été informée en 2007. La Loi
fédérale instituant des mesures visant au maintien de la
sûreté intérieure (LMSI) dispose pourtant à
son article 3 al.1 que « Les organes de sûreté de la
Confédération et des cantons ne peuvent pas traiter des
informations relatives à l’engagement politique ou
à l’exercice des droits découlant de la
liberté d’opinion, d’association et de
réunion. Le traitement de telles informations est toutefois
licite lorsqu’une présomption sérieuse permet de
soupçonner une organisation ou des personnes qui en font partie
de se servir de l’exercice des droits politiques ou des droits
fondamentaux pour dissimuler la préparation ou
l’exécution d’actes relevant du terrorisme, du
service de renseignements ou de l’extrémisme
violent ». Ces six députés avaient-ils
été tous soupçonnés de faits aussi
graves ? L’affaire remonte aux élections cantonales
de 2004 à Bâle-Ville. L’élection des six
députés avait été abondamment
commentée dans la presse turque, mais aussi dans un journal
proche du PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan,
« sous surveillance » en Suisse. Ce sont
probablement ces liens supposés qui ont amené la police
fédérale à surveiller ces politiciens socialistes
et verts. On apprenait que plusieurs personnes engagées dans les
milieux altermondialistes avaient été fichées,
elles aussi. La police fédérale aurait établi plus
de 110 000 nouvelles fiches. Suite à
l’émotion suscitée par ces
révélations, une enquête devait être
diligentée par la Délégation de la commission de
gestion des Chambres, d’ici à l’automne 2008.
Silence radio, pour l’instant ! Pourtant, l’on
découvrait encore, en juin 2009, que des personnes,
engagées dans les milieux de défense des droits humains,
avaient été aussi fichées. Enfin, le
Tages-Anzeiger, grand quotidien zurichois, annonçait le 15 juin
2009 que le Service d’analyse et de prévention (SAP) avait
transmis, durant l’année 2008, plus de 10 000
informations sensibles sur des personnes à des services secrets
étrangers. Le SAP a par ailleurs confirmé avoir transmis
des données concernant au moins un des parlementaires
bâlois fichés…

    La loi fédérale sur les profils ADN
dans les procédures pénales et sur l’identification
de personnes inconnues ou disparues est entrée en vigueur le 1er
janvier 2005. Les profils sont enregistrés et traités de
manière centralisée dans la banque de données
nationale sur les profils d’ADN CODIS. Fin 2008, quatre ans
après l’entrée en vigueur de la loi sur les profils
d’ADN, la banque de données CODIS contenait 104 625
profils de personnes dont 21 278 traces relevées sur les
lieux de délits. A Genève, à l’occasion des
dernières évacuations de squatters par les pandores,
ceux-ci ont prélevé l’ADN de nombreuses personnes
arrêtées. Selon des déclarations du procureur
général genevois Daniel Zappelli, si la personne a un
antécédent judiciaire ou son nom dans une fiche de
police, ces prélèvements par frottis de la muqueuse de la
joue au moyen d’un coton-tige sont tout à fait
légaux. […] Un autre problème posé par ce
fichage massif des empreintes génétiques est
l’incertitude qui plane sur leur conservation. Le profil
d’une personne condamnée à la prison ferme peut
rester jusqu’à trente ans dans la base de données.
Mais dans les multiples cas qui n’aboutissent pas à une
condamnation (« classements » en
particulier), l’effacement que la loi fédérale
prévoit ne semble pas garanti dans les faits ! […]

Droits fondamentaux et droits sociaux : un démontage qui va de pair

La 5e révision de la loi sur l’assurance-invalidité
(LAI), en vigueur depuis le 1er janvier 2008, illustre
l’imbrication profonde entre démantèlement des
prestations sociales et mise en cause des droits et libertés
personnelles et collectives. La 5e révision de l’AI
supprime toute une série de prestations : suppression des
rentes pour conjoint et du supplément de carrière pour
les jeunes assurés, nouveau calcul des indemnités
journalières, diminution des rentes pour enfants. Elle allonge
la durée de cotisation minimale nécessaire pour avoir
droit au versement d’une rente AI, qui passe de un à trois
ans. Le but avoué : diminuer de 30 % les
prestations versées. Elle institue en outre une nouvelle notion
de l’invalidité, ne prenant en compte, pour statuer sur la
capacité de travail de l’assuré, que les
conséquences de l’atteinte à la santé, et
non plus des éléments socioprofessionnels tels que
l’âge, le degré de formation ou encore les
connaissances linguistiques de la personne. Une des principales
nouveautés de la révision est l’introduction
d’un système de détection précoce permettant
d’intervenir très rapidement si l’assuré
présente une incapacité de travail. Un objectif utile en
soi ; seulement les mécanismes mis en place pour y parvenir sont
fort problématiques, du point de vue de la liberté
individuelle et du droit à la protection de la
personnalité. Sous prétexte de détection
précoce, l’Office AI est en droit de mener une
enquête, sur dénonciation de l’entourage personnel,
professionnel, social ou médical du malade. L’absence de
dénonciation peut être sanctionnée de
l’emprisonnement ou de l’amende, selon les règles
générales du droit des assurances sociales. Cette
dénonciation, possible dès le premier jour
d’incapacité de travail pour cause de maladie ou
d’accident, pose un problème de protection de la
sphère privée et de respect du secret médical,
puisque celui-ci est levé d’office si le malade refuse
d’en délier son médecin. La vie privée,
voire intime, de la personne en arrêt de travail est dès
lors brutalement livrée aux investigations de l’Office AI,
car l’enquête diligentée par l’office porte
sur le contexte social, la situation familiale et professionnelle, les
facteurs personnels, les dettes et la situation médicale. Le
malade peut être convoqué à un entretien avec son
employeur qui saisira l’occasion pour apprendre tout ce
qu’il ignorait encore de son employé·e
L’employeur peut licencier le malade au terme de cet entretien
pourvu qu’il respecte les délais légaux. Lorsque
l’enquête de détection précoce met à
jour un risque d’invalidité, elle aboutit à une
injonction de se présenter à l’AI sous menace
d’un refus ultérieur de prestations pour
l’assuré.e qui ne s’y plierait pas. La 6e
révision de l’AI, qui vient d’être
annoncée, devrait supprimer des dizaine de milliers de rentes.
Elle s’inscrit, comme la 5e, dans une politique brutale de
régression de la protection sociale, pourtant très
minimale, existant en Suisse.

« La Commune n’est pas morte ! »

Les attaques antisociales de ces dernières années se
combinent avec une mise en cause toujours plus systématique de
certaines libertés fondamentales. Dernières illustrations
en date, l’interdiction par le gouvernement genevois, à
majorité dite « de gauche », de la
manifestation anti-WEF du 31 janvier 2009, ou, à Lausanne, lors
de la manifestation du 1er Mai 2009, le déploiement policier
massif avec intervention dans le cortège, arrestations et
fichages préventifs, également sous l’égide
d’une Municipalité dite «de gauche». Le grand
retour de l’ordre, de la matraque, du bâton,  mais
sans la carotte… l’Etat gendarme, sans l’Etat
providence ! Les dominants veulent des sujets
disciplinés, formatés, obéissants, subissant sans
réaction les politiques antisociales et autoritaires. Ils
entendent faire plier l’échine à  celles
et  ceux qui pourraient leur résister. En 1886,
Eugène Pottier, écrivait, après
l’écrasement sanglant de la Commune de Paris en mai 1871,
un poème, devenu chanson, dont le refrain ne manquera pas de
résonner aujourd’hui aux oreilles de ceux qui 
gouvernent le monde… « tout ça
n’empêche pas Nicolas, qu’la Commune n’est pas
morte » !


Jean-Michel Dolivo

Fin juillet 2009