Procès de l’amiante: MM. Schmidheiny, Cartier, Cuvelier… d’honorables patrons sur le banc des accusés
Procès de lamiante: MM. Schmidheiny, Cartier,
Cuvelier
dhonorables patrons sur le banc des
accusés
En cette fin dannée
2009, nous apprenons que les tribunaux italiens et français
jugeront des chefs dentreprises multinationales,
très fortunées et considérées auparavant
comme irréprochables.
Ce ne sont pas des escrocs, des criminels, des assassins, des
massacreurs mais des employeurs apparemment honnêtes,
entreprenants et respectés.
Lun deux nous est bien connu. Il est
issu dune grande famille suisse allemande dont
limmense fortune fut constituée en vendant à
travers le monde du ciment (Holcim), de lamiante et
de lamiante-ciment (Eternit). Il sappelle
Stephan Schmidheiny ; il a 62 ans, il vit sous les
Tropiques mais il continuait à diriger sa
multinationale avant quune interdiction de lamiante
ne mette fin à ce marché de la mort.
En Suisse il dirigeait les usines Eternit de
Niederurnen et de Payerne entre 1975 et 1990 où
plus de 6 500 salarié·e·s ont
été exposé·e·s
à lamiante. Mais il contrôlait aussi plusieurs
dizaines de fabriques à travers le monde dont en
Italie, de 1966 à 1973, celles de Casale
Monferrato, Cavagnolo, Rubiera, Bagnoli, Syracuse. Cest
précisément ce dont il est accusé, ainsi que
son acolyte belge Cartier de Marchienne, car, en Italie,
ce sont près de 2900 plaignants qui ont été
contaminés dont 900 en sont déjà morts. Les
deux chefs dentreprise seront donc jugés à
Turin pour « homicide par négligence et violation
de règlements concernant les maladies
professionnelles », le procès souvrant
le 10 décembre prochain.
Des personnalités suisses (tel que Hans Rudolf Merz,
longtemps conseiller personnel de S. Schmidheiny) et italiennes
pourraient se voir également mises en accusation ainsi que
les responsables de la santé publique pour avoir fermé
les yeux sur ce quil faut bien appeler « un
crime collectif sur les lieux de travail ».
Un autre procès pour « blessures
et homicide involontaires » jugera en France Joseph
Cuvelier, ancien directeur général dEternit France
entre 1971 et 1994. En effet des centaines de
travailleurs sont morts des suites de leur exposition à
lamiante dans lune des cinq usines du
groupe : Paray-le-Monial, Thiant, Caronte, Albi, Thiel
et Rennes.
La nocivité de lamiante était connue
Si ces chefs dentreprise sont traînés devant les
tribunaux, ce nest pas tant parce quil ont
porté atteinte à la santé de leurs
salarié·e·s mais parce quils
lont fait en toute connaissance de cause. En effet, la
nocivité de lamiante leur était connue depuis
plus dun siècle lorsquont été
identifiés les premiers cas dasbestose
(calcification pulmonaire). Puis cest à partir de
1950 que lon sait que linhalation de fibres
damiante provoque le cancer du poumon et ces alertes se
sont aggravées lorsquen 1962, il fut prouvé
que lamiante et nul autre cancérigène,
provoquait le cancer foudroyant de la plèvre
(mésothéliome).
Ainsi, en prenant la direction des usines
damiante ciment en Suisse, Italie et France, les trois
accusés connaissaient pertinemment les risques
mortels quils faisaient courir à leur personnel et
ils le leur ont délibérément caché
tout en poursuivant lexploitation de lamiante pour leur
propre profit. En Suisse par exemple, les Schmidheiny
ont importé, après lalerte de 1962, en toute
impunité, deux fois plus damiante
quauparavant ! Avant son interdiction en 1989 puis
son abandon en 1994, limportation damiante
introduite en Suisse représentait une centaine de kilos par
habitant !
A la question de savoir quel est à ce jour le
nombre de cancéreux malades ou décédés
de lamiante parmi le personnel dEternit, les
statistiques bafouillent. Autant le moindre cas de de grippe A
(H1N1) dans le monde nous est signalé, autant des milliers
douvrier·e·s dEternit meurent dans
lindifférence la plus complète, ignorés
des statistiques, des services publics et des
assurances professionnelles, qui profitent de ce
silence complice. On estime à deux ou trois cents le
nombre annuel de décès dus à lamiante
en Suisse.
Cest que lamiante tue lentement mais
sûrement. Les fibres microscopiques ayant pu
pénétrer dans les voies respiratoires, étant
inaltérables, les blessent jusquà ce que
cancer sensuive. Cela peut durer jusquà 40
ans et ce sont ces mêmes 40 ans qui se sont
écoulés entre la connaissance du caractère
hautement cancérigène de lamiante et son
interdiction en 1989 ! Pendant cette longue période de
latence, les Schmidheinys et autres marchand canadiens
damiante pouvaient prétendre que leurs produits
étaient sans risques pour la santé !
Pour un tribunal pénal international du travail
La vie de ceux et celles qui ont produit
lamiante-ciment, lont façonné et
posé sur nos toits, nos façades, la vie de ceux qui
souffrent le calvaire et meurent, na pas de prix. Ils
auront perdu des années de vie professionnelle ou de
retraite, les plus attendues par ceux et celles qui ont dû
trimer toute leur vie.
Leurs proches ont souvent souffert autant
queux si ce nest plus car ils sont restés en
vie à devoir faire le deuil, souvent dépourvus de
revenus, sans indemnisation, ni la moindre excuse des
patrons meurtriers.
Leur condamnation pénale ne les soulagera pas
pour autant ; au contraire, les audiences raviveront les cauchemars
quils tentent doublier. Pourtant ces procès sont
nécessaires. Si lon évoque la
responsabilité des « Pollueurs
payeurs » ne doit-on pas condamner et sanctionner les
« Patrons meurtriers » ? Car si
la pollution de la nature est un scandale, le fait que des hommes et de
femmes meurent pour avoir dû gagner leur vie est le pire des
crimes.
Ces procès si la Justice veut bien
rester impartiale permettront de dévoiler la
vérité, de prévenir de nouveaux crimes
professionnels, de désigner les responsables parmi les
innombrables patrons des entreprises à risque. Mais ceux-ci sont
trop nombreux pour être jugés au cas par cas et
à la petite semaine.
A quand donc un « Tribunal pénal
international du travail » que les sociétés
industrielles devront mettre sur pied de toute urgence afin de traduire
en justice les chefs dentreprise internationaux responsables des
morts au travail ?
Comité daide et dorientation des victimes de lamiante (CAOVA) : www.caova.ch