Qu’est-ce que l’écologie mentale?

Qu’est-ce que l’écologie mentale?



Le magazine nord-américain
« Adbusters » poursuit depuis plus de 20 ans
une critique acharnée de la société de
consommation. Ce combat a depuis traversé l’Atlantique,
notamment grâce à la revue lyonnaise
« Casseurs de Pub » (puis le mensuel
« La Décroissance ») qui fait un usage
comparable du « détournement
culturel » (forme de guérilla communicationnelle
qui subvertit les méthodes des publicitaires en
détournant leurs logos ou leurs pubs). Dans le texte que nous
publions ci-dessous, l’un des responsables
d’« Adbusters » revient sur le concept
d’environnement mental, essentiel dans la critique du
consumérisme et de l’agression publicitaire. Un combat
qui, s’il ne sera certainement pas à lui tout seul aussi
décisif que le laisse entendre la conclusion de ce texte, reste
tout de même trop discret, notamment en Suisse.

Depuis 1993, le sous-titre d’Adbusters est « Le
Journal de l’Environnement Mental », et ce concept
motive toute notre critique du consumérisme. Mais de quoi
s’agit-il ?

    Adbusters a été fondé en 1989
par deux réalisateurs de documentaires canadiens. Un de leurs
films, Satori in the right Cortex (1985), évoque
l’expérience du satori, un mot bouddhiste qui signifie
littéralement « étincelle d’illumination
rapide » et qui a inspiré la tactique du
détournement culturel.

Satori contre le greenwashing

En 2001, Kalle Lasn, l’un des fondateurs d’Adbusters
expliquait comment son film a inspiré la revue :
« Lorsque je tournais Satori in the Right Cortex au Japon,
j’ai demandé au chef d’un monastère zen si je
pouvais filmer ses disciples entrain de méditer. Il a
accepté à condition que je médite moi-même
auparavant. Lorsque j’ai émergé après
quelques jours, quelque chose avait changé en moi. J’avais
rompu ma routine quotidienne et j’en suis sorti
transformé. C’est peut-être seulement
lorsqu’on est poussé dans un nouveau comportement
qu’on peut prendre conscience de ce que la vie pourrait
être. Le détournement culturel est basé sur la
même idée : arrêter le flux du spectacle
consumériste juste assez longtemps pour réajuster sa
vision du monde. »

    En 1988, le lobby de l’industrie
forestière de Colombie-Britannique était confronté
à la pression d’un mouvement écologiste en forte
croissance dans l’opinion publique. L’industrie a
répliqué avec une campagne télévisée
de publicité intitulée « Forests
Forever ». C’était un des premiers exemples
de greenwashing (blanchiment vert, ndt) : on y voyait des
images d’enfants heureux, des travailleurs et des animaux. La
voix chaleureuse et rassurante d’un narrateur nous expliquait que
l’industrie forestière protégeait la forêt.

    Les deux fondateurs d’Adbusters, ont
été outragés par ce déversement
éhonté de propagande anti-écologiste sur les ondes
publiques, et ils ont répliqué en produisant une
contre-publicité où un vieil arbre explique à un
autre qu’une plantation d’arbres n’a rien d’une
forêt. Mais les chaînes qui avaient diffusé les
clips de l’industrie forestière leur ont fermé les
portes.

    Adbusters est donc né avec la prise de
conscience que les citoyens n’ont pas le même accès
à la diffusion de l’information que les grandes
entreprises. L’une de nos principales campagnes est
d’ailleurs toujours la « Charte des
Médias », dont l’objectif est d’ajouter
un « Droit à la Communication » dans
les constitutions de tous les pays démocratiques, et dans la
Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.

« Casser » la pub, une fin en soi

Mais pour Adbusters, la préoccupation sur l’information va
bien au-delà du désir de protéger la transparence
démocratique, la liberté d’expression ou
l’accès public aux ondes radio. Bien que ces causes soient
nobles, Adbusters fait de la bataille pour la salubrité mentale
le centre de ses préoccupations politiques. Le combat contre la
publicité consumériste n’est donc pas seulement un
moyen, mais un but en soi.

    Si l’une des idées centrales de
l’écologie était le fait que la
réalité extérieure, la nature, pouvait être
polluée par des toxines industrielles, l’idée
centrale de l’écologie mentale est que notre
réalité intérieure, nos cerveaux, peuvent
être altérés par des informations toxiques.
L’écologie mentale établit un parallèle
entre la pollution de nos esprits par la propagande mercantile et les
catastrophes sociales, environnementales, financières et
éthiques.

    Ainsi, un large spectre de phénomènes
– allant du déversement de pétrole par BP dans le
Golfe du Mexique, jusqu’à la démocratie des
« petits copains », en passant par
l’extinction massive des espèces ou l’augmentation
des maladies mentales – sont directement causés par les
3000 publicités qui nous agressent chaque jour. Et plutôt
que de traiter les symptômes en allant nettoyer des plages
souillées par le pétrole ou de faire passer des
législations environnementales édulcorées, les
défenseurs de l’écologie mentale ciblent la cause
profonde du mal : l’industrie publicitaire qui alimente le
consumérisme.

Briser les chaînes mentales

Nos cerveaux sont intoxiqués par cette propagande
écrasante qui altère nos croyances, nos désirs et
notre perception de la réalité. Répliquer est donc
bien plus difficile que de manifester dans les rues ou de cliquer sur
quelques liens. Ce qui nous ramène au satori : se
libérer du consumérisme demande un changement de point de
vue radical, après quoi nous pouvons tout voir avec de nouveaux
yeux.

    L’écologie mentale est un mouvement
émergent qui sera vu dans les prochaines années comme le
combat social fondamental de notre époque. C’est un combat
unitaire – qui rassemble des chrétiens autant que des
anarchistes ou des anticapitalistes – et qui, au final, explique
concrètement la cause des nombreux maux qui nous menacent.

    Pour briser ces chaînes mentales et
réaliser la révolution émancipatrice dont la
gauche rêve depuis si longtemps, nous devons devenir des
guérilleros du détournement culturel pour éveiller
les consciences et briser le modèle consumériste. 7

Micah White www.adbusters.org

Traduction et adaptation : Thibault Schneeberger