« Militer pour une autre société n’est de loin pas commun »

« Militer pour une autre société n’est de loin pas commun »



Qu’est-ce qui peut amener des
jeunes à s’engager politiquement aujourd’hui
dans un mouvement comme solidaritéS,
aux antipodes de tout carriérisme politique ?

Deux d’entre eux témoignent.

Née d’un couple mixte avec une mère suisse –
un des pays les plus riches du monde – et un père
haïtien – un des pays les plus pauvres de la planète
– j’ai eu, depuis toute jeune, le sentiment qu’il
existait de profondes injustices dans les possibilités
d’accéder à des conditions de vie humainement
dignes suivant le lieu de sa naissance. Noire dans un pays blanc, je me
suis rapidement rendu compte que le comportement des
un·e·s et des autres n’étaient pas toujours
le même avec moi qu’avec mes petits camarades. Il en
résultait parfois un sentiment de malaise sans que je puisse le
comprendre. Enfin, les fins de mois étaient souvent difficiles,
malgré un travail intense, dans un pays où l’argent
coule à flot. Il y avait là, dans ma tête
d’enfant, des contradictions troublantes. Suivant le lieu de vie,
la couleur de la peau, le montant du compte en banque, mais aussi
l’appartenance de sexe (ce que je réalisais plus tard
à l’adolescence), je voyais bien que les conditions de
vie, ou de choix de vie, n’avaient pas les mêmes
potentialités. Donc mon engagement actuel est parti
d’abord d’un ressenti, celui que quelque chose ne tournait
pas rond, qu’il y avait des injustices et que celles-ci pouvaient
prendre des proportions inconsidérées et
révoltantes. J’étais alors profondément
affectée par les lynchages de Noir.e.s opérés par
le Ku Klux Klan aux Etats-Unis, par le travail des enfants dans les
mines, celui des Sud-Américaines dans les zones franches
(maquiladoras) du Mexique, mais aussi, dans ma vie quotidienne, par le
racisme ordinaire, la vie des working poor que je connaissais ou la
suffisance des
« héritier·e·s ».

    En m’intéressant à la politique
et par mes études (et mon travail d’intervenante sociale
que je réalisais en parallèle), j’ai
commencé à pouvoir mettre des mots sur ce sentiment. Ces
injustices, qui me touchaient, n’étaient jamais
individuelles, mais liées à des divisions artificielles
faites entre des groupes d’individus sur la base de la classe, de
la « race », du genre et de rapports
internationaux profondément inégalitaires. Ces divisions
n’avaient rien de naturel, elles répondaient aux
intérêts bien compris de certains autres groupes,
minoritaires, mais puissants économiquement et politiquement.
Comme elles n’étaient pas naturelles, cela signifiait
qu’il était possible d’agir dessus. Je me suis
d’abord engagée à Attac et au Cetim. Mais, tenter
d’agir d’emblée sur les grandes
inégalités internationales bute rapidement sur
d’énormes obstacles. Je me suis donc rapprochée de
solidaritéS, car ses combats me semblaient justes et ses moyens
d’action réalistes. En agissant sur deux fronts, celui des
institutions politiques traditionnelles (partis et syndicats) ainsi
qu’au sein des mouvements sociaux, les résultats sont
possibles. Même s’ils sont infimes, ils existent et donc
ça signifie qu’il est possible d’agir sur des
structures économiques, sociales et politiques
profondément injustes.


Isabelle Lucas

Lausanne

Qu’est-ce qui peut bien pousser un jeune, aujourd’hui,
à militer dans un mouvement de la gauche radicale ? A
l’heure où le capitalisme a clairement montré ses
limites, en nous plongeant dans de multiples crises sans fin, cette
question peut sembler vide de sens. Et pourtant, militer pour une autre
société n’est de loin pas commun, surtout dans un
pays comme la Suisse. Le système a réussi à faire
croire à une large partie de ma génération que
nous sommes condamnés à nous accommoder de ses
règles du jeu.

    Pourtant, il arrive tout de même que la
jeunesse descende dans la rue quand le sujet est populaire et
qu’il ne remet pas complètement en cause le
système, pour dire non au racisme ou à la guerre par
exemple. Personnellement, mes premiers pas de militant ont
commencé par ce type de manifestation. C’était lors
des premiers bombardements sur l’Irak. Je me suis engagé
à ma manière, en collant des affiches appelant à
manifester dans mon école avec quelques amis pacifistes et en
participant, banderole déployée, aux différentes
mobilisations. Je pensais que personne ne pouvait être pour la
guerre et que nous serions assez nombreux à manifester pour
qu’elle s’arrête. Encouragé par une famille
militante, je me suis aussi intéressé aux questions
économiques et écologiques d’une telle guerre. Un
an plus tard, je lisais les livres de Michael Moore, la biographie
d’Ernesto Guevara et me rendais compte que mon engagement
politique n’allait pas s’arrêter de si tôt.

    Cela fait maintenant huit ans que j’ai
commencé à militer et les conditions sociales,
économiques et climatiques se sont
détériorées, alors que le racisme est plus que
jamais présent. A Genève, le nombre de militants
s’est réduit et les mobilisations se font plus rares.
Pourtant, je suis chaque jour un peu plus convaincu que mon engagement,
comme celui de mes camarades est indispensable. Les exemples des
mobilisations des pays arabes, de l’Espagne ou
dernièrement des étudiant·e·s chiliens sont
extrêmement encourageants. Ils rappellent surtout que la jeunesse
peut se soulever n’importe quand. Mon amour pour
l’être humain et mon profond dégout pour ce
système font qu’aujourd’hui encore et pour longtemps
sans doute, j’essayerai avec mes compagnons de lutte de
construire une alternative à ce système criminel. Avec
l’espoir d’être l’une des étincelles qui
embrasera la jeunesse mondiale.

Guillaume Thion

Genève