Les raisons du non antinucléaire au projet de constitution

ContrAtom a pris position lors de son AG de juin pour le NON au projet de Constitution genevoise qui passe au vote en automne. Entretien avec la présidente de l’association, Anne-Cécile Reimann.

 

ContrAtom a manifesté devant la Constituante pour l’art. 160E. Vous n’avez pas été entendus ?

Annne-Cécile Reimann: En effet ! Un tournant énergétique s’impose pour sortir du nucléaire et face à la crise climatique, mais la Constituante a sabré l’article constitutionnel – issu de l’initiative « L’énergie notre affaire » – qui définit les objectifs et les moyens de Genève en la matière. Il fallait renforcer ces dispositions, or on les a affaiblies ! Le 160E lie opposition au nucléaire et moyens que la collectivité se donne pour s’en passer. Ce lien est brisé et une série de dispositions importantes sont rayées du texte, perdant leur statut constitutionnel.

 

Quels sont ces points supprimés ?

L’édiction de normes de consommation d’énergie dans le secteur immobilier, des exigences en matière de basse consommation, d’isolation thermique, d’optimalisation des chauffages sont liquidées. Deux autres points capitaux sont éliminés, il s’agit de l’interdiction (ou de la soumission à autorisation exceptionnelle) du chauffage électrique et de la climatisation. Or l’ancrage dans la Constitution de ces éléments est capital. ContrAtom s’est battu pour les faire appliquer : à l’époque, nous avions occupé le chantier de villas à chauffage électrique ne respectant pas l’interdiction ; nous nous sommes aussi battus contre des Data centers dont les climatisations insensées auraient fait exploser la consommation électrique. L’interdiction du chauffage électrique avait fait l’objet de tentatives d’invalidation de l’initiative au nom de la « liberté du commerce et de l’industrie ». Et cette disposition qu’on brade aujourd’hui avait été maintenue de haute lutte.

     Il est donc surprenant à un moment où l’interdiction du chauffage électrique se pose ailleurs en Suisse, suscitant résistances et haut cris de certains propriétaires, qu’on la supprime à Genève. Comme il est étrange de voir les Verts interpeller les autorités en leur demandant d’agir en matière de climatisations abusives, mais consentir à voir la base constitutionnelle de ce combat liquidée !

 

Mais ces dispositions subsistent dans la loi ?

Les lois se modifient sans que les citoyen·ne·s n’aient voix au chapitre, sauf exception. La Constitution, elle, ne peut être caviardée en douce et doit fixer des principes clairs, comme les deux interdictions évoquées, qui sont politiques et pas juste des détails « techniques ». A Genève, c’est « notre » article constitutionnel qui a fixé des objectifs ambitieux de politique énergétique et les lois qui ont suivi, suite à nos combats. La source des lois genevoise est dans l’art. 160E,sans cet enracinement constitutionnel on verra des régressions sur le plan des lois aussi.

 

Il y a-t-il d’autres points problématiques concernant cet article ?

Ils sont nombreux. L’article 160E dit que l’Etat doit favoriser les déplacements en transport public, à vélo et à pied, notamment sur le plan des investissements. Cette option fait place à un charabia sur la « complémentarité » de tous les modes de transports. Les couplages chaleur-force sont aussi ancrés dans l’art. 160E et disparaissent du texte, l’utilisation de la chaleur de l’environnement aussi… La liste de suppressions est longue.

     L’opposition aux installations atomiques qui exige, dans le texte actuel, l’emploi de tous les moyens juridiques et politiques se voit amputée de ces qualificatifs précis. La porte ouverte à ce que l’on vienne dire que les collectivités publiques n’ont pas à employer un moyen politique, comme l’appui à un référendum ou à une initiative antinucléaire, ou un moyen juridique comme le recours contre une installation comme ICEDA au Bugey.

 

Au-delà du 160E, le projet pose-t-il problème ?

Oui, pour ContrAtom, il y a d’autres motifs d’opposition. Par exemple, la suppression de l’ancrage des SIG dans la Constitution. Cette entreprise est un acteur public incontournable de la politique de l’énergie antinucléaire du canton. Nous avons fait aboutir fin 2007 une initiative leur confiant un monopole cantonal en matière d’eau et d’électricité et confirmant leur soumission aux objectifs de l’art. antinucléaire 160E, « revalidant » ainsi celui-ci par un vote populaire.

     Nous nous sommes battus via deux référendums pour conserver un contrôle démocratique sur les SIG. Nous sommes fiers d’avoir réussi au cours des ans à infléchir la politique des SIG dans notre sens, au plan de l’approvisionnement et des économies d’énergie. Nous sommes aussi attachés au rôle de la Ville dans le contrôle des SIG. Or cette régie publique perd tout statut constitutionnel.

     Le projet dit que le monopole en question peut être délégué à « une institution de droit public » quelconque. EDF, par exemple, ferait l’affaire ! Encore que cette délégation à un organisme public ne soit pas obligatoire, c’est juste possible. Rien n’interdit de confier ce monopole cantonal à une multinationale privée. En 1994, le gouvernement avait bien tenté de « déléguer » le Service des autos à la SGS !

 

C’est tout ?

Mais non ! Il faut combattre la philosophie même du texte. Au chapitre des « principes de l’activité publique », il réduit l’action de l’Etat ou des collectivités à un simple « complément de l’initiative privée et de la responsabilité individuelle » (art. 9). ContrAtom a une vision différente, nous exigeons que l’Etat soit en première ligne pour mettre en œuvre, par des initiatives publiques audacieuses, une politique énergétique antinucléaire et écologique volontariste, répondant à notre responsabilité collective face à l’environnement et aux générations futures !

 

Propos recueillis par notre rédaction