Culture islamique et musiques actuelles

Après l’explosion des révolutions arabes, apparaissent enfin des éclairages sur la présence de musiques actuelles dans des pays de religion musulmane. Des ouvertures encore trop rares tant les discours culturels à l’idéologie colonialiste et orientaliste restent dominants. 

Avant de parler de musique provenant de pays musulmans, il est indispensable de faire la critique de la notion de World Music. Cette dernière n’est jamais remise en cause, alors qu’elle est sans cesse utilisée pour parler de musique provenant de ces pays. Le problème de cette notion est qu’elle institue la différence des musiques non occidentales, tout en les associant aux folklores, déniant ainsi la modernité à tout ce qui sort des circuits européens (avec une frontière à l’est se situant au niveau de l’Allemagne) ou nord-américains. En effet, chez un disquaire, sous le rayon World Music, on trouvera aussi bien de la pop cambodgienne que des chants tziganes ou du yodle.

 

Hors de la modernité et irrémédiablement différent

On se trouve en fait devant un discours typique du néo-colonialisme, tel celui de Nicolas Sarkozy à Dakar, appliqué ici au domaine culturel : le tiers-monde ne serait pas encore entré dans l’Histoire, la modernité étant une propriété exclusivement occidentale. Ce discours consiste à reconnaitre le droit à la différence pour mieux affirmer une hiérarchie et une discrimination. Ainsi, pour la culture, la World Music est célébrée en essentialisant son irréductible différence de façon à ce qu’elle ne puisse pas venir troubler le monde occidental. On l’accepte à bras ouvert tout en lui refusant toute légitimité à modifier notre propre culture ainsi que sa valeur face à la culture actuelle.

Dans cette optique, la culture liée à l’islam subit actuellement un feu incessant. Le ramadan se voit associé à un vol de petit pain au chocolat et la femme portant burqa est devenue le fantôme hantant l’ensemble des débats de société. Préjugeant la différence des civilisations liées au culte musulman, le discours dominant veut en faire des sociétés fondamentalement en retard. Au niveau culturel, cette discrimination prend parfois l’allure de l’éloge. On rappelle ainsi la grandeur de la culture musulmane, mais ceci toujours dans un passé mythifié, reprenant au fond la vision orientaliste. La culture musulmane serait formidable, avec des artisans, une architecture et une gastronomie appréciable, mais elle est constamment réduite à un plaisir exotique qui n’a aucun droit dans l’espace public et ne saurait prétendre à aucune modernité. 

 

Nouveaux sons pour la révolution

Depuis les différentes révolutions arabes, qui ont été interprétées par les médias occidentaux comme une entrée dans la modernité de ces sociétés, on trouve enfin des articles déviants des normes néocoloniales pour s’intéresser aux musiques actuelles de ces pays. Si ces musiques étaient déjà présentes dans ces pays avant la révolution, il est vrai que l’affaiblissement de la censure leur a permis d’occuper l’espace public, les différents musiciens de ces scènes affirmant d’ailleurs leur participation aux  mobilisations. Dans le magazine Fader (nº 82), on a pu prendre connaissance de l’effervescence que connaît la scène électro du Caire, illustrant l’aspect festif d’une société en pleine révolution. Les différents DJs (Figo, 7a7a), avec leurs ordinateurs, s’approprient les rythmes populaires des musiques traditionnelles islamiques et les rehaussent à coup de synthétiseurs et de voix modifiées. Subissant la censure, ils ont écrit de nombreux titres contre le régime. L’avènement de la révolution a donné à cette scène électro une place sur la scène musicale – un festival hebdomadaire se tient désormais – et une forte légitimité, les titres de DJ Figo étant de plus en plus écoutés dans les milieux populaires.

 

Vague globale et chants religieux

Hors de ces pays, d’autres artistes tentent de déconstruire la lecture néocolonialiste pour affirmer l’absolue modernité d’une culture liée à l’islam. Un des travaux les plus intéressants est celui de Fatima Al Qadiri. Si cette dernière vit à New York, elle est née au Sénégal puis a vécu au Koweït, deux pays à très forte majorité musulmane. Son nouvel album, Desert Strike, prend pour point de départ un jeu vidéo du même nom qui se déroulait en pleine Guerre du Golfe, que Fatima Al Qadiri a vécu de l’intérieur. Les différents titres sont en pleine emprise avec le contemporain, mêlant les styles les plus en vogue et plongent dans notre culture actuelle, faite de données informatiques, que ce soit dans les jeux vidéo, la retranscription de la guerre via la télévision (dont la guerre du Golfe fut le premier exemple mondial), ou encore dans un web de plus en plus englobant. 

Un autre aspect de la création de Fatima Al Qadiri, qui nous intéresse plus ici, réside dans ses différents mix, tous disponibles gratuitement sur son site. Dans ces derniers, elle rassemble chants musulmans, hits arabes et sonorités électros. Islam et électro se percutent et personne n’en ressort indemne. Mais Fatima Al Qadiri ne s’arrête pas au seul monde musulman et s’attaque au cœur de la World Music. Pour le magazine DIS, elle tient une chronique intitulée Global.Wav dénichant des trésors partout dans le monde. Cette entreprise de collection donne à entendre la musique d’un monde globalisé, libéré de tout centre. Les différences ne sont pas abolies, mais elles apparaissent dans une égale légitimité. Les différentes cultures se découvrent et se rencontrent dans une osmose qui refuse la fétichisation de la tradition ou des frontières. Toutes véritablement actuelles. 

 

Pierre Raboud