Canada

Canada : Fini, la passivité

Un spectre hante le Canada, celui d’un nouvel « été indien » qui, en 1990, avait pris un tour violent avant de se généraliser plus pacifiquement à tout le pays, mettant en évidence le déni des droits des peuples indigènes dans le pays. Aujourd’hui, le mouvement « Idle no more » (Fini, la passivité) est né en soutien à la grève de la faim de la cheffe Theresa Spence, de la Première nation d’Attawapiskat. Et son enjeu dépasse les revendications strictement autochtones.

 

 

En ouvrant ses colonnes à une opinion de l’essayiste et militante Naomi Klein, le Globe and Mail, journal de référence de la bourgeoisie canadienne, montrait qu’il était sensible à ce potentiel de crise. L’attitude hautaine du premier ministre canadien, le conservateur Stephen Harper, qui a longtemps refusé de rencontrer la cheffe Theresa Spence n’a fait que jeter de l’huile sur le feu. 

Au départ du mouvement, il y a d’une part des questions de crise du logement et de financement des écoles dans la Première nation d’Attawapiskat, dans le nord de l’Ontario. S’y est ajouté ensuite un projet de loi budgétaire dite omnibus C-45, qui élimine la protection fédérale sur les cours d’eau et facilite la vente des terres des réserves indiennes sans consultation.

On a donc là une combinaison dont la dynamique peut être dangereuse : à la fois une dimension d’oppression nationale, de justice sociale et de lutte écologique. En outre, les relations entre les Premières nations et le Canada étant réglées par des traités, la question de la crédibilité et de la légitimité de l’Etat est aussi soulevée. Comme le dit Naomi Klein dans son opinion, parue la veille de Noël : «Notre plus grande bénédiction, cependant, c’est la souveraineté autochtone elle-même. Ce sont les vastes étendues de ce pays qui n’ont jamais été cédées par la guerre ou par traité. Ce sont les traités signés et encore reconnus par nos tribunaux. Si les Canadiens ont encore une chance de stopper les plans de M. Harper, qui veut bousiller la planète, ce sera parce que sur son chemin se dressent ces droits, juridiquement contraignants, soutenus par un mouvement de masse, par des contestations judiciaires et par l’action directe.»

L’action directe a consisté, pour les militant·e·s des Premières nations, à reprendre la tradition de blocage des routes et des grandes voies de chemin de fer qui avait déjà été la leur dans les années 90. Flash-mobs, sit-in et manifestations se sont multipliés, accompagnés du bruit des tambours et des danses. Plusieurs autres aînés autochtones ont rejoint Theresa Spence dans son jeûne. Des manifestations de solidarité amérindienne ont aussi eu lieu dans des endroits comme le Texas, Hawaï et la Nouvelle-Zélande. Les blocages pourraient reprendre ou se développer dans le cadre de la lutte contre la Loi omnibus C-45.

 

Le Canada 3R

Derrière l’opiniâtre refus de Harper de rencontrer la cheffe Spence, il y a la volonté d’imposer un projet économique, celui du « Canada 3 R » : rentier, réactionnaire et répressif. Ce projet exige de s’emparer des terres aborigènes, où se trouvent les sables bitumineux, les différentes mines et les rivières à aménager pour les exploiter. Et si Harper avait tenté de donner le change en 2008 en s’excusant pour la tentative d’assimilation forcée représentée historiquement par les pensionnats indiens, parlant alors de « nouvelle relation », basée sur le « partenariat et le respect », les faits parlent depuis un autre langage. Professeur assistant à la McMaster University et spécialiste des questions aborigènes, Jeffrey Denis note dans le Toronto Star : «Depuis 2008, le gouvernement Harper à réduit le financement de la santé autochtone, émasculé le processus d’évaluation environnementale, ignoré la disparition et le meurtre de plus de 600 femmes autochtones dans tout le Canada, retenu les documents au sujet des pensionnats requis par la Commission vérité et réconciliation, abandonné les négociations sur les revendications territoriales et a essayé de défendre son sous-financement des écoles et des organismes de protection de l’enfance des Premières nations» (20.12.2012).

 

Le Québec concerné

Evoquer, sous une forme ou une autre, la souveraineté nationale au Canada, c’est inévitablement achopper sur la question du Québec et de son indépendance. Le militant de la gauche indépendantiste Marc Bonhomme l’exprime ainsi sur son site : «en appuyant publiquement le mouvement Idle No More et en appelant à des mobilisations, la gauche indépendantiste, dont Québec solidaire est l’expression politique, serait en mesure de rallier les peuples autochtones et inuit, et le peuple de gauche canadien, à appuyer ou à sympathiser avec la lutte pour l’indépendance du Québec. Car la question nationale québécoise, comme l’ont démontré le référendum de 1995 et l’hystérie en réaction à la récente victoire électorale du Parti québécois, reste le maillon faible et la grande peur de cette bourgeoisie canadienne et de son État» (marcbonhomme.org). Peu de temps après, Québec solidaire appelait à soutenir le mouvement : «Les inquiétudes et demandes exprimées par la Chef Spence et par le mouvement Idle No More, qui multiplie les actions, sont légitimes.?» La question des mobilisations devrait se poser rapidement en ce début d’année au Canada, quelle que soit l’issue d’une éventuelle rencontre entre Stephen Harper et Theresa Spence.

 

Daniel Süri