«penser l'émancipation par le religieux»

«penser l'émancipation par le religieux» : Trois points litigieux

Dans le numéro 220 du journal « solidaritéS », le dossier central propose une contribution de Zarah Ali « Penser l’émancipation par le religieux ». Sa démarche, fort légitime, suscite néanmoins quelques interrogations et justifierait une discussion plus approfondie. J’ai relevé trois points faisant question dans son approche :

 

1 «Un retour aux sources de l’Islam (Coran et Sunna) afin de les débarrasser des lectures et interprétations sexistes trahissant l’essence libératrice du message de la révolution coranique.?» Il n’y a d’essence libératrice dans aucune religion, autre chose est que des croyant·e·s y trouvent des éléments pour construire une démarche libératrice. Essentialiser les religions, c’est la porte ouverte aux guerres de religion.

 

2 «Une restitution du sens profond de la shari’ a, perçue en tant que voie et non en tant que loi.?» Là aussi, le sens profond des religions n’est certainement pas l’égalité. Elles sont nées dans un contexte qui ne posait pas cette question, ce qui encore une fois n’empêche pas de construire des voies vers l’égalité qui intègre des éléments de la culture religieuse.

3 Par rapport aux limites provenant du fait de penser dans le cadre de l’islam, «[…] ces limites – rapport aux textes sacrés – je me demande en quoi cela serait très différent des limites que l’on observe chez certains ‹exégètes marxistes› ou des limites ‹stratégiques› qu’imposent l’appartenance à un groupe politique.?» Là, franchement non. On ne peut pas confondre des religions millénaires basées sur des textes qui ne se posaient pas la question de l’émancipation humaine, et qui reflètent forcément l’état très inégalitaire des rapports entre hommes et femmes de ces sociétés, avec les mouvements issus d’un effort d’émancipation humaine explicite, avec leurs faiblesses et contradictions.

 

Il y a dans les religions monothéistes une dimension guerrière et conquérante. Penser l’émancipation par le religieux, penser le combat féministe comme chrétien, juif ou musulman nécessite aussi d’aborder cette question. Restent aussi les revendications concrètes. Quelles sont-elles pour les féministes musulmanes ? Le droit à l’avortement, à la sexualité libre, à l’indépendance et à l’autonomie des femmes, ou encore le droit à l’emploi salarié, au partage des tâches domestiques, entrent-ils dans la définition de la lutte pour la justice sociale et l’égalité ?

 

Henri Vuilliomenet