Faciliter le séjour des sans-papiers: un délit?
Faciliter le séjour des sans-papiers: un délit?
Le projet de nouvelle Loi sur les étrangers (LEtr), comme la législation actuelle sur le séjour et létablissement des étrangers (LSEE), réprime laide au séjour des personnes sans-papiers. Plusieurs procès ont eu lieu récemment en application de ces dispositions. Ils visent à intimider celles et ceux qui soutiennent les sans-papiers.
Une infraction à géométrie variable
«Faciliter le séjour illégal» constitue, selon la loi, un comportement punissable (art. 23 al.1 5ème phrase LSEE / art. 111 projet de LEtr). Mais quels sont les éléments constitutifs dune telle infraction? Les écoles qui scolarisent les enfants de personnes sans-papiers tombent-elles sous le coup dune telle accusation? Les hôpitaux et les médecins qui soignent des sans-papiers pourraient-ils être inquiétés? Les institutions publiques ou les associations qui les aident financièrement peuvent-elles être poursuivies? Dans son Message portant sur la LEtr, le Conseil fédéral indique que «cette disposition pénale vise à combattre la criminalité opérée par les passeurs». Cette indication en réduirait alors fortement sa portée. Mais, en même temps, elle se heurte la volonté, maintes fois répétées, du gouvernement daggraver la répression à lencontre des sans-papiers et de celles et ceux qui les soutiennent.
A quelles conditions une personne facilite-t-elle le séjour illégal? Labsence de réponse claire à cette question permet en fait aux autorités de faire planer la menace dune sanction sur tous ceux et toutes celles qui manifestent leur solidarité concrète avec des sans- papiers. Comme le souligne un jugement du Tribunal de police de Lausanne de mars 2003, «il convient de relever que dans lapplication concrète de ce texte légal, il est difficile de faire le partage entre des agissements relevant de laction sociale bénévole, motivés par un souci humanitaire, et un comportement illicite au sens de lart.23.al.1 5ème phrase LSEE.» Toujours selon ce jugement vaudois, «une interprétation trop restrictive de la loi se heurterait aux principes fondamentaux de respect des droits individuels inscrits dans les Constitutions fédérale et cantonale. Le but de la norme, tel quil peut être raisonnablement interprété, est de sanctionner laction qui se déroule dans la durée, permettant à un immigrant clandestin de résider en Suisse et dy travailler cas échéant. Cest laspect quantitatif et répétitif dactes tendant à favoriser le séjour illégal dune personne qui constitue le critère adéquat». Quelle est la quantité et la fréquence à atteindre? Cela ressort strictement de lappréciation de lautorité administrative ou judiciaire! Lapplication de cette disposition pénale dépend ainsi pour lessentiel de choix politiques, en rapport avec lopportunité de réprimer les mouvements de soutien aux sans-papiers.
Le devoir dhospitalité
La criminalisation dactes «daide au séjour illégal» a été introduite dans la loi pour tenter dempêcher laccueil de Juifs et de tziganes en Suisse, pourchassés par le régime nazi dans les années 30. Au début de la deuxième guerre mondiale, elle a permis la poursuite de celles et ceux qui tentaient de sauver des réfugié-e-s, parvenu-e-s aux frontières helvétiques. Ces dispositions pénales trouvent aujourdhui un«nouveau» champ dapplication, à savoir des personnes agissant pour aider et défendre les sans-papiers. Si le contexte historique a changé, ce sont les mêmes valeurs qui sont en cause: le devoir dhospitalité, les droits humains fondamentaux et les libertés démocratiques.
Jean-Michel DOLIVO