L'incurie nucléaire suisse

La « stratégie énergétique 2050 », qui vient d’être validée au Conseil national, est généralement présentée comme la concrétisation de la promesse de sortie du nucléaire. En fait, il s’agit d’une prolongation artificielle de la vie des centrales existantes et d’une spéculation éhontée sur leur sécurité. 

 

Qu’a décidé la majorité du Conseil national ?

 

Le volet qui touche plus particulièrement le nucléaire est celui de la définition de la durée de vie des centrales. Mais cette durée n’est limitée à 60 ans que pour certaines centrales. Beznau I et II, dont la première est déjà la plus vieille en activité dans le monde, verraient leur autorisation d’exploitation prolongée jusqu’en 2029 et 2031. Mühleberg, au même régime, devrait fermer avant face aux travaux nécessaires. Les deux dernières, Leibstadt et Gösgen, pourront être prolongées presque indéfiniment de 10 ans en 10 ans ! Dans la foulée, même l’initiative très modérée des Verts (limitation à 45 ans maximum) a été rejetée par 120 voix contre 71.

 

 

Contexte international

 

Si l’industrie électronucléaire est à la peine, c’est plus immédiatement face aux coûts énormes qu’impliquent les voies diverses pour la maintenir artificiellement en vie, qu’en raison de la catastrophe incommensurable de Fukushima. Pendant les Trente glorieuses , on a spéculé sur des paliers techniques permettant de passer d’une filière technologique à une autre, et les réacteurs nouvellement construits étaient prévus pour fonctionner seulement entre 20 et 40 ans. La situation actuelle est tout autre : les surgénérateurs se réduisent aux rêves prométhéens des années 40 où ils ont été conçus, la fusion n’est pas maîtrisée (cf. ITER), et la tête de gondole d’industriels comme AREVA, l’EPR n’est au final qu’une variante de l’antique technologie à eau pressurisée PWR, avec évidemment un peu plus de béton autour. D’autre part, le retour d’expérience concernant le démantèlement d’un réacteur est encore faible. Les provisions en dizaines de milliards d’euros sont sous-estimées.

Face à ces constats, plusieurs pays ont décidé d’étendre la durée de vie prévue pour leurs installations. La Suisse ne fait donc pas exception. Les Etats-Unis étendent dans certains cas l’autorisation d’exploitation de 40 à 60 ans. Très récemment, la Hongrie a fait passer l’autorisation de son unique centrale de 40 à 50 ans. La France, qui fait mine de croire encore à la possibilité de vendre des EPR, a fait de même, mais envisage aussi de passer à 60 ans. Vu les investissements énormes consentis pour les réacteurs en activité, on cherche non seulement à les amortir au mieux, mais peut-être espèrent-ils d’ici la fin de ce délai supplémentaire retrouver des temps plus propices pour fourguer de nouvelles filières.

 

 

Menaces sur la sécurité

 

Les atteintes à la planète et à ses ha-bi-tant·e·s ne font pas partie de ces calculs. Pour en juger, on peut se tourner vers l’Autorité de sûreté nucléaire française, peu suspecte d’opposition de principe à l’atome. Son directeur martelait récemment que 40 ans reste la «limite». Pour envisager d’aller au-delà, il a relevé des «questions sensibles, notamment sur le vieillissement des éléments non remplaçables des réacteurs, comme la cuve ou l’enceinte de confinement».

L’exploitant de la centrale de Mühleberg, les FMB, a considéré que les coûts de mise à niveau exigés ne valent pas la peine de continuer à exploiter au-delà de 2019. Dans ce cas, c’est l’enceinte de béton, en particulier la jupe du cœur du réacteur qui est gravement fissurée. Suite à un défaut identique dans des bâtiments de conception similaire, deux réacteurs, un en Allemagne et un autre aux États-Unis, ont été démantelés. Dans ces conditions, comment oser s’obstiner encore 5 ans ?

 

 

L’exigence anti-nucléaire

 

Cette prolongation éhontée du parc nucléaire suisse, si elle n’est pas un cas isolé, n’en représente pas moins une épée de Damoclès intolérable. Outre l’indispensable lutte pour la conscientisation la plus large possible sur les menaces accumulées de l’atome, il y a deux occasions qui s’annoncent dans l’agenda politique institutionnel fédéral : d’une part le soutien indispensable à ce stade à l’initiative des Verts demandant la fermeture après 45 ans (nous prônons la sortie immédiate, mais qui peut le plus peut le moins), et d’autre part la nouvelle loi sur l’approvisionnement en électricité. 

 

Sébastien Bertrand