Sur les ruines fumantes du centenaire du Comité International Olympique

Sur les ruines fumantes du centenaire du Comité International Olympique : Un anniversaire au goût amer?

Tout au long de l’année 2015, la ville de Lausanne et le canton de Vaud ont offert au Comité International Olympique (CIO) un anniversaire solennel, pour célébrer le centenaire de son installation dans la capitale vaudoise. De petits événements en commémorations, l’année s’est terminée par un spectacle pharaonique, organisé sur la place de la Riponne. «Champions» se voulait l’apothéose de cette année dédiée au CIO, mais le rêve est en passe de virer au cauchemar. Les derniers échos font état d’un déficit de plus d’un million de francs – uniquement pour le spectacle – que la Ville et le Canton devront éponger.

On peut invoquer une météo malchanceuse, mais de tels aléas pour un événement en plein air étaient à prévoir. Et si la situation peut paraître ubuesque au regard des centaines de millions de francs brassés par le CIO, elle témoigne de plusieurs inconséquences: comment un budget peut-il connaître un déficit équivalent à son total initial? Ne doit-il pas définir plus précisément le cadre du projet? La participation financière des collectivités publiques dans l’association responsable du spectacle est-elle opaque, ou même légale?

Les déclarations des autorités communales et cantonales, à défaut de fournir une vision claire de l’événement incriminé, ont au moins le mérite de l’honnêteté: la Ville de Lausanne et le Canton sont condamnés à combler ce déficit, et elles ne feront pas appel à l’institution olympique, pourtant principale bénéficiaire de l’événement. C’est le contribuable qui paiera, point barre!

Evidemment, dans un contexte où les pétromonarchies font les yeux doux aux institutions sportives – en offrant des installations démesurées à qui voudra s’en emparer – la place lausannoise ne peut se permettre de laisser transparaître le moindre doute quant à son engagement auprès du CIO et des fédérations sportives internationales. Un engagement qui renvoie à une histoire centenaire, faite de privilèges, d’exceptions et de concessions.

 

Une Suisse «neutre»… et fiscalement avantageuse

En 1915, c’est la Municipalité qui propose au Baron Pierre de Coubertin d’accueillir son institution. Au départ, il s’agit avant tout d’un accueil des archives de l’institution dans «cette belle cité, où la Grèce et la France compte[nt] tant d’amis, n’est étrangère par ailleurs à aucune des formules diverses de la civilisation contemporaine. Son hospitalité est proverbiale, son renom universel. L’œuvre d’équilibre et de beauté que le Comité international a entreprise et dirigée depuis 20 ans pourra s’y continuer fructueusement» (procès-­verbal du 10 avril 1915).

A cette même occasion, le Conseiller fédéral Guiseppe Motta transmet la déclaration suivante: «Je m’associe, au nom du Conseil fédéral, à la cérémonie du transfert à Lausanne du siège social du Comité international olympique et je lui souhaite la bienvenue sur le sol neutre et pacifique de la Suisse». Il serait difficile de dérouler un tapis rouge plus explicite, mais l’emprise de l’institution sur la ville est alors très réduite. Les choses évolueront surtout dans les années 1980, sous la présidence de Juan Antonio Samaranch, à la faveur de la commercialisation accélérée des Jeux Olympiques, qui va de paire avec un accroissement des revenus du CIO, obligeant l’institution à se doter d’organes de gestion stables et plus nombreux.

Au début des années 1990, alors que le tout-puissant président du CIO Juan-Antonio Samaranch prend ses habitudes sur les bords du lac Léman, c’est le canton qui va transformer son Office de l’Education Physique de la Jeunesse en Service de l’Education Physique et Sportive dont l’une des missions devient explicitement de «favoriser l’accueil de fédérations, organisations et manifestations sportives internationales sur sol vaudois» (selon les termes employés en 2016). C’est du reste cette ré-orientation de la politique cantonale qui va aboutir à la construction de la «Maison du sport international», pour laquelle la Municipalité offre 5000 mètres carrés de terrain communal.

Parallèlement, la Confédération signe un «Accord entre le Conseil fédéral suisse et le Comité International Olympique relatif au statut du Comité International Olympique en Suisse», entré en vigueur le 1er novembre 2000. Plusieurs avantages sont ainsi donnés à l’organisation, comme une exonération de l’impôt fédéral direct, une exonération de la caisse de pension du CIO des impôts directs fédéraux, cantonaux et communaux, de la même manière pour les impôts sur les successions et les donations. Dans le même temps, le CIO peut disposer en toute liberté de fonds de toutes sortes, en toutes devises «tant à l’intérieur de la Suisse que dans ses relations avec l’étranger»

 

 

Pour la beauté du sport?

L’histoire des rapports entre Lausanne et le CIO n’est pourtant pas faite uniquement de raisons, il y a également de la passion, comme lors des différentes candidatures (toutes échouées) de la ville pour l’accueil des Jeux Olympiques depuis l’entre-deux-guerres. Ainsi, aussi paradoxal que cela paraisse, il faut se rappeler, en voyant le syndic Brélaz sauter de joie à l’annonce de l’obtention des Jeux Olympiques de la Jeunesse d’hiver, que ce même syndic était… le principal opposant à la candidature de Lausanne pour les JO d’hiver de 1994, soulignant notamment les conséquences environnementales de l’organisation d’un tel événement en Suisse romande.

Mais l’appât du sport et de ses gains financiers et symboliques sont si forts qu’ils permettent des virages parfois à 180 degrés de la part des autorités politiques. Des questions qui laissent un goût bien amer. Le contribuable vaudois comme l’amateur de sport se retrouvent tous deux désemparés face aux enjeux des compétitions internationales, où argent et politique font bon ménages.

Grégory Quin & Philippe Vonnard