Italie

Italie : Un mouvement par en bas est nécessaire

Piero Maestri, membre de Communia Network (communianet.org), réseau national pour l’autogestion et le secours mutuel, était notre invité le weekend dernier à Lignerolle pour notre 7e Université de printemps. Interview.

Comment décrirais-tu la situation sociopolitique italienne?

Piero Maestri Le gouvernement est faible mais il n’a pas face à lui une opposition capable de le mettre définitivement en crise, ni d’un point de vue parlementaire, ni social, ni politique. Diverses enquêtes judiciaires et journalistiques ont montré que le gouvernement Renzi est de fait un «comité d’affaires» qui s’appuie sur des pouvoirs forts comme la Confindustria (faîtière patronale), la Lega delle cooperative, (qui n’a rien à voir avec les sociétés de secours mutuel du début du 20e siècle!), et la Compagnia delle Opere (bras social du mouvement Communione e Liberazione, issu de la droite catholique).

Les principales mesures prises ces dernières années, notamment le Jobs Act et le décret Sblocca Italia, relançant les infrastructures à fort impact économique et territorial, ont eu pour but de soutenir les intérêts économiques des classes dominantes en frappant les droits des travailleurs·euses et leur capacité d’organisation.

L’opposition parlementaire de fait n’existe pas, divisée entre un centre droit encore en crise après la défaite de Berlusconi et le Mouvement 5 étoiles (M5S) incapable de donner du souffle à une action institutionnelle fermée sur elle-même (qui plus est ambiguë et sans principes ni idées fortes).

Sur le plan social, il manque une mobilisation syndicale digne de ce nom, alors que les mouvements sociaux sont fortement fragmentés et ont une dimension essentiellement locale.

Plus de 13 millions d’Italien·ne·s ont le 17 avril défié le gouvernement Renzi simplement en prenant part au vote du référendum contre la poursuite des forages pétroliers et gaziers dans les eaux territoriales de la Méditerranée et de l’Adriatique. Il n’a certes pas passé la barre du quorum (50 % + 1 voix ; celle des Italien·ne·s de l’étranger comprise), mais le résultat ne reste-t-il pas encourageant pour relancer un mouvement par en bas en Italie?

Le référendum sur les forages pétroliers n’a pas réussi à percer dans la population, non seulement à cause des difficultés liées à la question technique posée, mais aussi de la campagne de boycott menée tambour battant par le gouvernement. A la différence du référendum de juin 2011 pour la défense du caractère public de la gestion de l’eau (solidaritéS, nº 190), il n’y a pas eu cette fois de mobilisation diffuse et capillaire au sein de la société italienne. Ceci s’explique en partie par la relative faiblesse des comités NoTriv (Non aux forages), à implantation trop locale et sans élan global, mais aussi par le manque de crédibilité des représentants régionaux qui l’ont promu. La question posée n’était en outre pas en mesure de toucher à la matérialité des intérêts sociaux, comme celui sur l’eau avait pu le faire.

Cette affaire illustre la situation plus générale dans laquelle se trouvent les mouvements sociaux. Des mobilisations locales en défense du territoire ou des droits sociaux (maison, travail, santé…) existent bel et bien, mais n’arrivent pas à se généraliser et à se coordonner de manière stable. Cette difficulté est rendue encore plus aigüe par l’inexistence substantielle et le manque d’efficacité de la gauche radicale.

Le référendum constitutionnel, prévu en octobre prochain, contre les modifications apportées à la Constitution italienne est dans cette perspective très important. La victoire du non pourrait en effet représenter une défaite pour la stratégie politique de Matteo Renzi et de son Parti Démocrate (PD) et un sérieux coup d’arrêt à la mise en application d’une conception de gouvernement à la fois autoritaire et fondée sur l’état d’urgence (avec la multiplication de «commissaires extraordinaires» pour tous travaux publics et événements nationaux et internationaux). Je ne pense pas en revanche que ce référendum puisse être un instrument de relance des mouvements sociaux qui ont besoin d’une toute autre politique venant d’en bas.

Que penses-tu de l’initiative de Cosmopolitica visant à lancer une nouvelle formation de gauche (solidaritéS, nº 284)? Y a-t-il quelque chose à en attendre?

Absolument pas. Il s’agit en substance de la recomposition d’une classe politique qui regroupe ceux aujourd’hui exclus du PD de Renzi et ceux qui sont responsables de la défaite et de la disparition de la gauche radicale. Cette équipe se présente comme une «alternative» mais elle a pour seule perspective de reconstruire une relation stratégique avec le PD, nourrissant l’illusion que ce parti peut encore représenter quelque chose de progressiste. Elle n’a en outre aucune perspective de lutte contre l’austérité et contre le chantage sur la dette publique.

Le Mouvement 5 étoiles avait constitué il y a trois ans l’un des espaces politiques privilégiés des jeunes, qu’en est-il aujourd’hui après les dérives du M5S? Y a-t-il re-politisation de la jeunesse italienne? Et si oui, où se manifeste-t-elle?

En Italie, il existe diverses formes de politisation des jeunes liées principalement aux expériences des centres sociaux, c’est-à-dire à la réappropriation des espaces publics et privés. La thématique du soutien aux migrant·e·s implique également de nombreux jeunes. Les possibilités de reconstruction d’une gauche radicale naissent précisément de ce type d’expériences de réappropriation sociale, de secours mutuel et de luttes pour les droits sociaux, que ce soit dans les métropoles (droit à la ville) ou dans les campagnes où surgissent de nombreuses expériences d’autogestion et de pratiques économiques alternatives.

Propos recueillis et traduits par Stefanie Prezioso