Grande-Bretagne
Grande-Bretagne : Corbyn, les conditions d'une victoire
L’arrivée de Corbyn à la tête du labour en 2015 constituait une surprise. Son nouveau succès montre qu’il ne s’agit pas d’un buzz éphémère mais que cette victoire traduit un changement d’équilibre des forces au sein du Labour.
The Pinefox
Il est des changements politiques que peu de monde voit venir. L’élection de Corbyn à la tête du parti travailliste en 2015 en fait partie. Dans un pays où les années Blair semblaient avoir définitivement imposé le (social)-libéralisme, l’aile gauche du Labour est parvenue à faire élire Corbyn à la tête du parti.
Depuis, le Labour est en profonde crise, divisé entre sa base et son appareil encore largement inscrit dans l’orientation blairiste. Une majorité des parlementaires s’oppose ainsi vigoureusement à Corbyn: 72 ont voté une motion de défiance contre lui pour le destituer suite au Brexit. Ces parlementaires espéraient que l’élection de 2015 ne représentait qu’un moment d’égarement. Ils menèrent alors une attaque permanente contre Corbyn, notamment dans la presse. L’appareil du parti tenta également de réduire l’impact des nouveaux militant·e·s, empêchant la participation au vote de 130 000 nouveaux membres et invalidant le vote de 50 000 autres. Pourtant, les résultats du scrutin interne de 2016 renforcent la position de Corbyn, passant de 59,5% à 61,8% en une année, et ce malgré la déception du résultat du vote sur le Brexit.
Une démocratie militante
Cette victoire de Corbyn implique deux éléments. Premièrement, elle est la preuve que même un parti à l’appareil sclérosé, à la fraction parlementaire droitière et prête à tout pour faire taire l’aile gauche, ne peut empêcher de s’exprimer les volontés politiques de la base. Et deuxièmement, les chiffres donnés ci-dessus l’indiquent déjà, le Labour est en train de redevenir progressivement un parti de masse. Corbyn en a fait un de ses objectifs, se fixant pour but d’avoir un parti fort d’un million de membres. Ce qui semble réalisable: le parti a déjà gagné 200 000 militant·e·s depuis l’élection de 2015 pour atteindre un total d’environ 515 000 aujourd’hui.
Les facteurs du changement
Ces éléments soulignent ce qui fait la force du projet de Corbyn, à savoir la volonté de s’appuyer sur les militant·e·s pour changer l’équilibre politique en Grande-Bretagne. C’est un changement retentissant pour le Labour qui, depuis les années Blair, se voyait avant tout comme une force électorale dont le seul objectif était de gagner les élections et réduisait le rôle des militant·e·s au strict minimum. Mais au-delà de la question du nombre, le programme de Corbyn, autour duquel se rassemble une majorité de militant·e·s, se distingue surtout du Labour à la sauce blairiste par son opposition aux politiques d’austérité, ses projets de nationalisation et de renforcement des différents secteurs publics (santé et transport).
Quels sont les éléments qui peuvent expliquer ce changement profond et inattendu de l’équilibre politique au sein du Labour? Les facteurs ici sont nombreux: le rejet de la classe politique en place, le refus des politiques d’austérité, la persistance et l’aggravation de la crise, etc. Une large part de la population britannique s’oppose aux politiques actuelles et ne voit pas, à juste titre, dans les parlementaires travaillistes actuels des personnes à même de porter leurs revendications d’opposition au néolibéralisme.
Les perspectives de la gauche
Si la victoire de Corbyn est réjouissante, les perspectives restent pour le moins incertaines. Le SWP (Socialist Workers Party) y voit « un boost pour toute la gauche », tandis que la revue Socialist Resistance titre que le cœur de la lutte des classes se situe à l’intérieur du Labour et salue la victoire de Corbyn. Que deux des principales forces anticapitalistes du pays applaudissent ainsi cette victoire éclaire la difficulté des forces de gauche à s’exprimer hors du Labour en Grande Bretagne. Dès lors, la participation au sein du mouvement Momentum pro-Corbyn s’impose de plus en plus comme une stratégie envisageable.
Si la victoire de Corbyn représente effectivement le signe qu’une part large de la population s’oppose à l’austérité, au néolibéralisme et au racisme, et que des idées socialistes peuvent être populaires, les suites de ce changement d’équilibre au sein du Labour dépendront principalement de deux choses. Premièrement, la division entre base et parlementaires risque de s’accentuer, chacun tentant d’imposer son orientation, la fraction blairiste n’ayant pas encore dit son dernier mot. Deuxièmement et surtout, Corbyn insiste régulièrement sur sa volonté d’appuyer sa politique non seulement sur des militant·e·s mais aussi sur des mouvements sociaux et des collectifs en lutte dans les différentes communautés et sur les lieux de travail. C’est le plus grand défi. Or pour l’instant, la lutte des classes semble justement bien trop confinée à l’intérieur du Labour, les différentes mobilisations parvenant avec plus ou moins de réussite à réunir un nombre important de personnes dans la rue. Les prochaines échéances des mouvements contre l’austérité, le racisme ou les coupes dans l’éducation constitueront des jalons important pour le développement des idées anticapitalistes et leur diffusion.
Pierre Raboud