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Italie : L'esprit du néolibéralisme traduit en droit - Référendum constitutionnel

Référendum constitutionnel

Le 4 décembre prochain, les Italien·ne·s sont appelés à se prononcer sur une refonte de la Constitution. Une question apparemment interne, mais un vote très politique qui vise à faire comprendre à l’Union européenne et aux Etats Unis que l’Italie a bien saisi l’enjeu de cette consultation, « plus importante que le Brexit » selon le Wall Street Journal.


«Non à la contre-réforme constitutionnelle! 21 octobre: grève générale, 22 octobre: #NoRenziDay» 

Ainsi , le camp du Oui, mené tambour battant par Matteo Renzi et son gouvernement, s’appuie sur une campagne internationale visant à démontrer les conséquences catastrophiques pour le pays d’un Non à la nouvelle Constitution. Du New York Times au Financial Times, en passant par The Economist tous y vont de leurs commentaires sur la nécessité, pour la « stabilité » politique, économique et financière de la Péninsule, d’un vote positif le 4 décembre. Bien que certains soulignent que cette réforme n’est sans doute pas suffisante pour soigner ce pays « malade » (Financial Times, ElPais). A cette campagne de presse ont fait écho les propos de l’ambassadeur des USA à Rome, John Philips ; celui-ci déclarait début septembre que si le Non l’emportait ce serait un «retour en arrière mettant en péril les investissements étrangers en Italie.»

Mais d’où vient cet intérêt pour une question sensément interne aux institutions italiennes?

On pourrait bien sûr soutenir que cette attention « soudaine » pour la Constitution italienne est liée à une « erreur tactique » de Matteo Renzi ; le président du Conseil n’a-t-il pas tant et si bien « personnalisé » ce vote qu’il en a fait, qu’il le veuille ou non, la condition du maintien de son gouvernement? Défendre ce point de vue reviendrait cependant à manquer singulièrement de mémoire: les modifications constitutionnelles soutenues à grands cris par Matteo Renzi s’inscrivent en effet dans la droite ligne des attaques dont la Constitution est l’objet depuis une vingtaine d’années et dont la traduction dans la politique concrète a précisément été le démantèlement de l’Etat providence.

La fin de l’après-guerre

Car c’est bien de la Constitution de 1948 dont il s’agit. Un rapport daté de mai 2013 sur la zone euro, publié par la société financière J. P. Morgan nous en donne confirmation. Selon ce document, les constitutions issues de la lutte contre le fascisme et sur lesquelles les « partis de gauche » avaient exercé une « forte influence » sont l’une des causes structurelles des crises qui frappent les pays du Sud. Ces constitutions, poursuit le rapport de la société incriminée par le gouvernement US dans la crise des subprimes, avaient pour principale faiblesse: «des exécutifs faibles, des Etats centraux faibles comparés aux pouvoirs des régions; une protection constitutionnelle des droits des travailleurs; des systèmes politiques basés sur le consensus qui favorise le clientélisme; le droit de protester si des changements non souhaités au statu quo politique sont introduits.»

Derrière les discours sur la nécessaire réforme de la Constitution pour la rendre plus « agile », plus « flexible », et surtout plus « moderne », se cachent en réalité des attaques bien réelles non seulement à la lettre, mais aussi à l’esprit de la Constitution ; «l’esprit de la résistance traduit en droit» pour reprendre la belle expression de son père spirituel, Piero Calamandrei. Car les modifications apportées à la Constitution de 1948 associées au changement de la loi électorale (l’italicum) visent bien à renforcer l’exécutif en mettant les institutions de la République essentiellement dans les mains d’une seule force politique et de son leader ; le redimensionnement du pouvoir du Sénat, qui devient une antichambre du parlement (nommée et non élue par la population), ainsi que la suppression des Provinces sensément pour «contenir les coûts des institutions» s’inscrit dans ce même objectif. Un pouvoir centralisé où les citoyen·ne·s peuvent de moins en moins faire entendre leurs voix: voilà le gage de la stabilité dans la mondialisation capitaliste.

Un automne de combats…

En cas de victoire du Oui le 4 décembre prochain et quoi qu’en disent Matteo Renzi et ses alliés, un dommage irréparable à la démocratie aura été accompli. A l’image de la décision de l’intervention de l’Italie en Lybie, prise en toute légalité par l’exécutif se prévalant de l’article 7bis voté à la suite des attentats de Paris de novembre 2015 en vertu duquel le gouvernement peut agir durant 24 mois sans l’aval préalable du parlement en cas de « situation de crise ». Les Italien·ne·s et parmi eux en particulier les plus pauvres, auront de moins en moins de possibilités de se faire entendre, alors même que les mesures d’austérité ne cessent de s’abattre sur un pays toujours plus exsangue.

Cependant, la bataille nécessaire pour le Non à la nouvelle Constitution ne peut se réduire à cela ; elle ne peut être qu’un moyen de plus pour chercher à rassembler les forces politiques de la gauche radicale. Car comme le relevait récemment le militant anticapitaliste Antonio Moscato, répétant à sa manière l’idée que la Constitution italienne de 1948 ne doit pas être réformée, mais véritablement appliquée: «depuis de nombreuses décennies la Constitution n’a été appliquée, au moins en partie, que lorsque un mouvement de contestation radicale, venant d’en bas, des fabriques, des écoles, de la rue» a su se lever. Le 21 octobre prochain, une grève générale a été convoquée par les syndicats de base et le jour suivant une série de manifestations sous le slogan «No Renzi Day» sont prévues. Peut-être est-ce le début de la révolte…

Stefanie Prezioso