De RIE 3 à PF 17, combattre la politique des caisses vides
Le 12 février dernier, le corps électoral suisse refusait la 3e Réforme de l’imposition des entreprises (RIE 3) à 59,1 %. «Une gifle plutôt rare pour le Conseil fédéral», titrait le 20 Minutes. Tout comme le rejet de PV 2020 le 24 septembre, celui de RIE 3 traduisait un degré inattendu de résistance aux mesures plébiscitées par le grand patronat.
A défaut de votes conscients «de gauche», des secteurs non négligeables de la droite étant dans le camp des opposant·e·s à ces deux occasions, et le Parti socialiste suisse appelant dans un cas à dire non, et dans l’autre à dire 2 × oui, il s’est agi de votes populaires marqués par des préoccupations sociales.
Au lendemain de sa défaite du 12 février, le Conseil fédéral a relancé les négociations avec les opposant·e·s à RIE 3 pour tenter de détricoter ces résistances. Son avant-projet étiqueté Projet Fiscal 2017 (PF 17) vient d’être rendu public. Au PSS et à l’USS, on concède des miettes: relèvement du montant minimum des allocations familiales de 30 francs (230 pour les enfants et 280 pour la formation) qui ne concernera que les cantons les moins engagés dans ce domaine. A cela s’ajoute une augmentation de la part des dividendes imposée, à 70 % pour l’Impôt fédéral direct (IFD) et à 70 % au minimum pour l’impôt cantonal (ICC).
Cet avant-projet tente de répondre aux réticences d’un large secteur de la population en abandonnant la mesure la plus décriée, soit la déduction des intérêts notionnels (NID), qui intéressait avant tout les plus grandes entreprises dotées d’une part élevée de fonds propres. En même temps, il atténue très légèrement l’impact d’autres mesures contestées: patent box, recherche & développement, adaptation de l’impôt sur le capital. Enfin, il réduit le total des dégrèvements autorisés à 70 % des éléments pris en compte dans le calcul de l’impôt sur le bénéfice, plutôt qu’à 80 % dans le projet initial de RIE 3.
En ce qui concerne la répartition de l’effort, il propose une clause contraignant les cantons à tenir compte des intérêts des communes. Enfin, il suggère de ne pas augmenter autant que prévu la part du produit de l’IFD ristournée aux cantons, de 17 % à 20,5 % (plutôt que de 17 % à 21,2 %), ce qui ménage un peu les recettes fédérales, mais accroît le manque à gagner en aval. Il est cependant peu probable que cette inflexion trouve grâce devant les Chambres, compte tenu de l’opposition prévisible du front uni des cantons.
Globalement, PF 17 ressemble comme deux gouttes d’eau à RIE 3: au-delà de quelques allègements cosmétiques de l’arsenal de déductions autorisées, il maintient la suppression des statuts spéciaux des holdings et sociétés de domicile, associée à une forte baisse du taux d’imposition des bénéfices de toutes les personnes morales. Le résultat est donc identique: la défiscalisation massive des bénéfices des grandes entreprises au profit de leurs principaux actionnaires. La majorité des PME ne sont de leur côté pas touchées, puisqu’elles ne paient aujourd’hui que très peu ou pas d’impôts sur le bénéfice.
Quel est le calendrier de ces grandes manœuvres?
Jusqu’au 6 décembre, de nouvelles consultations sur l’avant-projet du Conseil fédéral, suivies de la publication du message du Conseil fédéral en mars-avril 2018 en vue d’une adoption de PF 17 par les Chambres à la session d’été. Ce scénario «optimiste» n’est évidemment pas du tout certain, les Chambres pouvant repousser leur décision à l’automne, voire au-delà, sans parler de la possibilité d’un nouveau référendum. Mais dans tous les cas, Berne vise une adoption de la nouvelle loi au 1er janvier 2020.
La nouvelle formule suscite de nombreuses critiques, du PSS aux secteurs de droite proches des PME, chacun s’efforçant de tirer la couverture un peu plus à soi. Mais le Conseil fédéral va invoquer le temps perdu et les dangers qui menacent «notre économie» pour appeler les Chambres et les «partenaires sociaux» à un effort de compromis qui risque bien d’être entendu. En ce qui nous concerne, nous nous battrons évidemment pour réunir un nouveau front référendaire de gauche contre PF 17, tant il est vrai que cette «réforme» marquerait une nouvelle et brutale accélération des politiques d’austérité aux niveaux fédéral, cantonal et communal.
En même temps, nous devons agir aussi au plan cantonal en refusant la baisse des taux d’imposition des personnes morales et en exigeant pour le moins leur neutralité fiscale ; en réclamant une progressivité plus forte de la taxation des revenus des personnes physiques et de la fortune, mais aussi la suppression de tout dégrèvement fiscal des dividendes, qui doivent être imposés comme les autres revenus. Car, à défaut d’agir sur les recettes, les usagers·ères des services publics et les bénéficiaires des prestations sociales se verront imposer des coupes de plus en plus sévères, qui ne feront en définitive que traduire les conséquences d’une nouvelle répartition de la richesse créée en faveur du capital.
Jean Batou