Notes sur un nouveau coronavirus

Nous publions ici des extraits d’un article de Rob Wallace, biologiste évolutionniste et phylogéographe. Il y évoque quelques pistes pour comprendre l’épidémie de coronavirus qui affecte la Chine et le monde depuis deux mois et dont le bilan vient de dépasser celui du SRAS de 2003.

Centre de quarantaine en cours de construction à Hong Kong.

Le taux de reproduction de base du virus, qui mesure le nombre de nouveaux cas par infection, s’élève à 3,11. Cela signifie que pour inverser l’épidémie, il faut pouvoir arrêter jusqu’à 75 % des nouvelles infections.

Le coronavirus commence à se répandre à l’étranger. Des voyageurs·euses atteint·e·s du 2019-nCoV ont été traité·e·s en Australie, en France, à Hong Kong, au Japon, en Malaisie, au Népal, au Vietnam, à Singapour, en Corée du Sud, à Taiwan, en Thaïlande et aux États-Unis. Des épidémies locales commencent maintenant à se déclarer dans les pays peu développés.

L’infection est caractérisée par une transmission interhumaine et une période d’incubation estimée à deux semaines avant que la maladie ne frappe. Ces caractéristiques indiquent que l’infection continuera à se propager autour du Globe.

Le taux de pénétration final du virus dans le monde dépendra de la différence entre le taux d’infection et le taux d’élimination des infections par guérison ou par décès. Si le taux d’infection dépasse de loin la suppression, la population totale infectée pourrait approcher l’humanité entière. Toutefois, ce résultat serait probablement marqué par une grande variation géographique due à la combinaison du taux de mortalité et de la façon dont les pays auront réagi à l’épidémie.

Les sceptiques à l’idée d’une pandémie doutent d’un tel scénario. Beaucoup moins de patient·e·s ont été infecté·e·s et tué·e·s par le 2019-nCoV que par la grippe saisonnière. Mais l’erreur consiste à confondre le stade précoce d’une épidémie avec la nature particulière d’un virus.
Les épidémies sont dynamiques. Oui, certaines, dont peut-être le 2019-nCoV, s’éteignent.
L’épidémie de grippe H1N1 (2009) s’est avérée moins virulente qu’elle ne le semblait au début. Mais cette grippe a tout de même tué 579 000 personnes la première année, entraînant des complications dans quinze fois plus de cas que les tests en laboratoire avaient permis de prévoir.

Vers une pandémie ?

Le danger réside ici dans l’interconnexion sans précédent de l’humanité. La grippe H1N1 (2009) a traversé l’océan Pacifique en neuf jours, plusieurs mois plus rapidement que le prévoyaient les modèles les plus sophistiqués. Les données des compagnies aériennes montrent que les voyages en Chine ont été multipliés par dix depuis l’épidémie de SRAS.

Un faible taux de mortalité peut ainsi provoquer un grand nombre de décès à cause d’un grand nombre d’infections. Si quatre milliards de personnes sont infectées avec un taux de mortalité de seulement 2 % – soit moins de la moitié de celui de la grippe « espagnole » de 1918 – 80 millions de personnes seraient tuées. Et contrairement à la grippe saisonnière, nous n’avons ni immunité grégaire, ni vaccin pour la ralentir. Il faudra au mieux trois mois pour produire un vaccin pour le CoV 2019 – à supposer qu’il fonctionne. Les scientifiques n’ont réussi à produire un vaccin contre la grippe aviaire H5N2 qu’après la fin de l’épidémie américaine.

Plusieurs inconnues – la source exacte, l’infectiosité, la pénétrance et les traitements possibles – expliquent pourquoi les épidémiologistes et les responsables de santé publique s’inquiètent du 2019-nCoV. Contrairement aux grippes saisonnières citées par les sceptiques d’une possible pandémie, l’incertitude ébranle les praticien·ne·s.

L’exemple d’Ebola

Au cours de ce siècle, nous avons déjà observé de nouvelles souches de peste porcine africaine, Campylobacter, Cryptosporidium, Cyclospora, Ebola, E. coli O157:H7, fièvre aphteuse, hépatite E, Listeria, virus Nipah, fièvre Q, Salmonelle, Vibrio, Yersinia, Zika et diverses nouvelles variantes de grippe A, dont H1N1 (2009), H1N2v, H3N2v, H5N1, H5N2, H5Nx, H6N1, H7N1, H7N3, H7N7, H7N9 et H9N2. Presque rien de concret n’a été fait à propos d’aucune d’entre elles. Les autorités ont poussé un soupir de soulagement après chaque accalmie et ont immédiatement joué le coup de dés épidémiologique suivant, pariant sur une faible virulence de la prochaine épidémie. L’incapacité à résoudre les problèmes structurels peut même rendre inefficaces les interventions d’urgence.

Notre équipe de recherche avait écrit à propos de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest :
La marchandisation de la forêt peut avoir abaissé le seuil écosystémique de la région à un point tel qu’aucune intervention d’urgence ne peut faire baisser l’épidémie d’Ebola. Les nouveaux foyers sont plus infectieux encore alors que l’épidémie originelle continue de circuler, avec la possibilité de resurgir par intermittence.
En bref, les changements structurels du néolibéralisme (déforestation et agriculture intensive) ne sont pas le simple arrière-plan de l’urgence Ebola. Les changements sont l’urgence autant que le virus lui-même…

Bien qu’il dispose désormais d’un vaccin efficace et d’antiviraux, le virus Ebola connaît actuellement sa plus longue épidémie enregistrée en République démocratique du Congo. Accuser les Congolais de dissimuler cet échec permet de laver les mains de l’impérialisme et de décennies d’ajustement structurel et de changements de régime en faveur du Nord global.

L’élevage en cause

Dire que nous ne pouvons rien faire n’est pas tout à fait juste, même en maintenant notre critique sur l’incapacité des gouvernements à adresser les causes structurelles des épidémies.

Un programme de gauche en cas d’épidémie est possible, consistant par exemple à organiser des brigades de quartier pour s’entraider, à exiger que tout vaccin et antiviral mis au point soient mis gratuitement à disposition de tou·te·s, ici et à l’étranger, et à fournir une assurance chômage et une couverture des soins de santé lorsque l’économie chute à cause de l’épidémie.

Les causes structurelles des maladies sont elles-mêmes une source de débat. Des questions subsistent quant aux origines de 2019-nCoV.

Une grande attention a été accordée à un marché alimentaire « exotique » de Wuhan, avec une focalisation orientalisante sur des régimes alimentaires présentés comme étranges et peu recommandables, qui représenteraient à la fois la fin de la biodiversité que l’Occident lui-même est en train de détruire et une source révoltante de maladies dangereuses.

Les wet markets (marchés « traditionnels » où se côtoient animaux en vie et tués) et les aliments exotiques sont inhérents à la Chine, tout comme l’est aujourd’hui la production industrielle. Ces deux productions se juxtaposent depuis la libéralisation économique de l’après-Mao.

Si la distinction entre les fermes industrielles et les wet markets n’est pas sans importance, nous devons comprendre leurs similitudes (et leurs relations dialectiques).

De nombreux petit·e·s exploitant·e·s dans le monde, y compris en Chine, sont en réalité des entrepreneurs·euses, qui élèvent des volailles, par exemple, avant leur transformation industrielle. Ainsi, dans une petite exploitation en bordure de forêt, un animal destiné à l’alimentation peut attraper un agent pathogène avant d’être renvoyé vers une usine de transformation située en périphérie d’une grande ville.

L’expansion des fermes industrielles, quant à elle, peut forcer les entreprises d’aliments sauvages à s’enfoncer plus profondément dans la forêt, augmentant ainsi la probabilité de contact avec un nouvel agent pathogène, tout en réduisant la biodiversité qui permet à la forêt de perturber les chaînes de transmission.

Le capital instrumentalise les enquêtes sur les maladies qui en résultent. Accuser les petit·e·s exploitant·e·s est une pratique courante de la gestion de crise dans l’agroalimentaire, mais il est clair que les maladies sont une question de systèmes de production et non pas seulement d’acteurs·trices spécifiques entre lesquels on peut choisir des coupables.

Les coronavirus chevauchent ces distinctions. Alors que le SRAS et le 2019-nCoV semblent avoir émergé des wet markets – si l’on infirme une hypothèse qui place l’origine de ce dernier dans un élevage porcin – le MERS, l’autre coronavirus mortel, a émergé tout droit du secteur de l’élevage de chameaux en voie d’industrialisation au Moyen-Orient. Une trajectoire laissée largement de côté dans les discussions scientifiques plus larges sur ces virus.

Cela devrait changer notre façon de les envisager. Je recommanderais que nous nous écartions de la causalité des maladies et de l’aspect biomédical et que nous nous intéressions aux relations écosociales. Et de que nous nous opposions aux chercheurs qui recommandent de modifier génétiquement la volaille et le bétail pour les rendre résistants à ces maladies.

Écosocialisme contre agrobusiness

Le nouveau siècle a été marqué par le refus de la Chine de freiner sa tempête de riz, de canard et de production industrielle de volaille et de porc, qui a entraîné de multiples nouvelles souches de grippe. Elle les a considérées comme le prix à payer pour sa prospérité.

Il ne s’agit cependant pas d’une exception chinoise. Les États-Unis et l’Europe ont également servi de terrain d’essai pour de nouvelles grippes – récemment H5N2 et H5Nx. Leurs multinationales et représentant·e·s néocoloniaux ont été à l’origine de l’émergence d’Ebola en Afrique occidentale et de Zika au Brésil. Les responsables américain·e·s de la santé publique ont couvert leur agroindustrie lors des épidémies de H1N1 (2009) et de H5N2.

Comme le démontrent cinq cents ans de guerre et de maladie, les serviteurs·trices du capital sont plus que disposé·e·s à escalader des montagnes de sacs mortuaires.

Choisissons au contraire un écosocialisme qui comble le fossé métabolique entre l’écologie et l’économie, entre l’urbain, le rural et le sauvage, pour empêcher les pires de ces agents pathogènes d’apparaître. Choisissons la solidarité internationale avec les populations du monde entier.

Tissons ensemble un nouveau système mondial, la libération indigène, l’autonomie des agriculteurs·trices, une agroécologie localisée qui, en redéfinissant la biosécurité, réintroduisent des coupe-feux immunitaires grâce à une biodiversité dans le bétail, la volaille et les cultures.


Article original publié le 29 janvier 2020 sur le site de la Monthly Review ↗. Adaptation et traduction de la rédaction.
Rob Wallace est l’auteur de Big Farms Make Big Flu (Les grandes fermes font les grands virus), éditions de la Monthly Review, 2016. Malheureusement non traduit en français.