France

La République lave plus blanc que blanc

En moins d’une semaine, deux personnalités de gauche en France, Danièle Obono députée de la France Insoumise, puis Anasse Kazib, militant du Nouveau Parti Anticapitaliste, ont subi des attaques racistes et réactionnaires. Analyse.

Danièle Obono, rassemblement de soutien, Paris, 6 septembre 2020
Danièle Obono lors du rassemblement de soutien, Paris, 6 septembre 2020

« Relevez quotidiennement les propos racistes et donnez-leur le maximum de publicité. Commentez-les abondamment, interrogez incessamment à leur propos les grands de ce monde et hommes de la rue. » disait Rancière en 1997 à propos de la montée des idées de l’extrême droite. Les grands de ce monde, ce sont les éditorialistes qui inondent les chaînes d’information et parmi eux, le rédacteur en chef de Valeurs Actuelles Geoffroy Lejeune, embauché comme chroniqueur pour LCI. Il a été écarté de la rédaction suite à la fiction raciste à l’encontre de Danièle Obono, qui a soulevé une vague de colère dans l’ensemble de la société.

Une attaque mysoginoir

Peu ont relevé le caractère à la fois raciste et sexiste de ces attaques, ce que les afroféministes appellent misogynoir. Le journal a cependant bénéficié d’une formidable publicité et d’un étalage médiatique continus dans les médias des illustrations et textes, sans ménagement pour les personnes concernées. Cette répétition a pour objectif de rendre banal ce qui ne l’est pas. Pire, le choix d’inviter Geoffroy Lejeune pour défendre sa position fait du misogynoir une opinion. Les « excuses » de ce dernier dépolitisent le problème, le ramenant à une atteinte individuelle. À un niveau plus critique, la palme des soutiens de merde revient au ministre de la Justice, il argumente : « On est libre d’écrire un roman nauséabond, dans les limites fixées par la loi. On est libre aussi de le détester. Moi, je le déteste et suis aux côtés de la parlementaire ».

Or, le racisme n’est pas une affaire de goût ou de point de vue, il n’a pas raison d’être, sauf pour les puissant·e·s. Pour elles·eux, le racisme est une stratégie politique vitale en ces temps de crise. En témoigne l’utilisation du terme « ensauvagement » par le ministre de l’Intérieur, emprunté à l’extrême droite et qui a fait la une de Valeurs Actuelles. Là encore il y a une mise en scène d’un faux débat : est-ce qu’il y a montée ou non d’un sentiment d’insécurité ? Cette question normalise un impensé raciste, l’association de la violence aux personnes non-blanches. Que ce soit dans les attaques racistes que subissent les personnes non-blanches ou les déclarations médiatiques des gouvernant·e·s, il y a un refus d’interroger la responsabilité passée et actuelle de l’État français dans le suprématisme blanc.

La lutte contre le racisme transcende-t-elle tous les clivages ? C’est pourtant ce qu’affirme le premier ministre, Jean Castex, dans sa déclaration de soutien à Danièle Obono. Ce n’est qu’au regard de sa position de députée, et de la pression politique à gauche, qu’il s’est senti obligé de réagir.

Idem une grande partie de la classe politique qui, à l’égard du commun, s’est illustrée dans la promulgation de lois et politiques racistes. L’une des plus inquiétantes, inspirée par l’extrême droite, est le projet de loi sur le séparatisme religieux, qui vise les musulman·e·s. Ce projet de loi d’exception donne des ailes aux fascistes qui dévoilent leurs intentions réelles. Ainsi un cadre et élu du Rassemblement National a proféré des menaces de mort islamophobes aux relents génocidaires à l’encontre du militant Anasse Kazib. Il a utilisé l’expression de « grand rapatriement ». Elle n’est pas sans rappeler les sombres heures vichystes de l’histoire française qui avaient raflé les juifs·ves et les roms.

Pour une offensive antiraciste

La solidarité qui s’est exprimée depuis un an au sein de la gauche, ainsi que les avancées sur les questions post-coloniales, sur les violences policières racistes et la manifestation contre l’islamophobie peuvent contribuer au renouveau idéologique et militant face aux tempêtes à venir.

Face à la fuite en avant et à la reprise des thématiques de l’extrême droite, il est vital que l’ensemble du mouvement à gauche soit offensif, clarifie sa ligne, et fasse bloc au-delà des calculs électoraux. Il doit permettre l’émergence d’un mouvement antiraciste, dans lequel les personnes concernées doivent jouer un rôle central. Or la tendance au « tous ensemble », reproduit par défaut des logiques de domination sociale, d’un paternalisme de l’homme blanc. De la même façon qu’il est impensable qu’un mouvement féministe soit mené par des hommes, nous avons besoin d’un mouvement antiraciste, qui mobilise et qui donne une place centrale aux concerné·e·s. Plus ce mouvement aura de force, plus il bousculera la sur-représentation des hommes blancs dans l’ensemble du mouvement social.

Sellouma