La gauche brésilienne se réoriente dans la lutte contre la catastrophe Bolsonaro
Le 2 octobre dernier, des manifestations pour faire tomber Bolsonaro ont rassemblé des centaines de milliers de personnes dans tout le Brésil. Il s’agissait de la première manifestation unitaire, rassemblant des partis et des mouvements de gauche, ainsi que des partis du centre et de la droite.
L’unité d’action avec la droite, qui a organisé des mobilisations massives en 2015-2016 en faveur du coup d’État institutionnel contre Dilma Rousseff (présidente élue du Parti des Travailleurs – PT), de l’anti-féminisme, des reculs sociaux et environnementaux, ne peut s’expliquer que par l’ampleur de la catastrophe que représente le gouvernement Bolsonaro.
Le développement d’autres initiatives de ce genre suite à cette manifestation unitaire reste encore incertain, mais il existe suffisamment de raisons pour coaliser l’ensemble de l’opposition au Brésil. La majorité sociale contre Bolsonaro ne s’est pour autant pas encore traduite par des soulèvements populaires. Les centaines de demandes d’impeachment sont mises en attente au Congrès national, en raison d’un véritable blocage du « centrão » (bloc du centre), dont les partis possèdent un grand nombre de député·e·s et de sénateur·trice·s. Pour ne rien arranger, les sondages indiquent la persistance d’une base loyale au gouvernement d’environ 20 % de la population, ce qui a permis à Bolsonaro d’appeler à une importante mobilisation le 7 septembre 2021.
Une catastrophe frappe le Brésil
L’humanité survit depuis plus d’un an à une catastrophe sanitaire qui trouve son origine dans les déséquilibres écologiques causés par le capitalisme. Sous le gouvernement Bolsonaro, l’Amazonie a perdu quotidiennement une superficie équivalente à 3300 terrains de football.
Lors d’une réunion gouvernementale le 22 avril 2020, largement médiatisée, le président et le ministre de l’environnement ont parlé de profiter de la diversion créée par le Covid-19 pour intensifier la déforestation en Amazonie. Les conséquences de ce projet, dans le cadre d’une crise climatique mondiale, affecteraient la santé de millions de Brésilien·ne·s avec des changements en termes de chaleur, d’humidité et un déséquilibre des biomes.
La pandémie de Covid-19 fait converger de multiples crises : la crise écologique, la crise économique d’un néolibéralisme, la crise politique de la bourgeoisie internationale – divisée entre les projets néolibéraux classiques de droite et ceux en faveur d’un tournant plus autoritaire.
Au Brésil, il y a eu 598 000 mort·e·s du coronavirus et de la négligence de ce gouvernement génocidaire. Dans un pays inégalitaire, en proie au chômage et à la précarité, avec de faibles investissements dans la santé (et même un plafond approuvé par le Congrès pour ne pas étendre les investissements sociaux durant 20 ans), la farce négationniste de Bolsonaro s’est transformée en tragédie. Le président ne porte pas de masque, a qualifié le Covid de « petite grippe », a pris position contre la quarantaine. Pour échapper à toute responsabilité, il s’est contenté de dire : « Je ne suis pas un entrepreneur de pompes funèbres ». Pour aggraver la situation, le gouvernement a encouragé l’utilisation de la chloroquine pour prévenir le Covid. Il ne s’agit pas seulement d’un mépris de la science, mais d’une politique contre la science elle-même, qui s’accompagne d’idées folles. Tout cela avec le soutien d’une lumpenbourgeoisie, dont le représentant, Luciano Hang, propriétaire du réseau d’affaires Havan, a été publiquement dénoncé pour avoir falsifié les examens médicaux de la mort de sa propre mère afin de cacher qu’elle était morte du Covid-19.
Aujourd’hui, il y a 15 millions de personnes affamées, 14 millions de chômeurs·euses et au moins 40 % de la population survivant uniquement grâce au travail informel, avec des bas salaires et des heures de travail élevées. Les quelques mesures d’aide d’urgence approuvées sont insuffisantes et ont été le résultat de la pression populaire et de celle du Congrès.
La résilience de Bolsonaro et le blocage de la procédure d’impeachment
La pandémie a aggravé les conséquences de l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement d’extrême droite inédit au Brésil. Des secteurs de la bourgeoisie basculent vers l’opposition. Toutefois, ces bouleversements servent davantage à freiner les aspirations au coup d’État de Bolsonaro qu’à le chasser du pouvoir. Même les partis et mouvements de la « nouvelle droite » brésilienne ont investi l’opposition, mais n’ont rien réussi à imposer qui s’approche un tant soit peu des mobilisations de masse de 2015 – 2016 contre la gauche.
Une explosion du mécontentement contre le gouvernement n’est pas exclue. Fin octobre, le rapport de la Commission d’enquête parlementaire (CPI) du Sénat brésilien sera publié : elle contient plusieurs preuves de la conduite criminelle du gouvernement pendant la pandémie de Covid-19. Cependant, le scénario explosif n’est pas le plus probable.
Bolsonaro n’est pas encore vaincu, et il n’y a pas de chemin naturel prédéterminé vers sa défaite politique et électorale. Le gouvernement se bat, avec le soutien d’environ 20 % de la population, pour survivre et pour arriver dans des conditions lui permettant d’affronter les élections de 2022. S’il n’est pas possible de les gagner, Bolsonaro a l’intention d’accumuler des forces pour tenter un coup d’État à l’instar de l’invasion du Capitole aux États-Unis. Il a prévenu qu’il n’acceptera pas une défaite électorale de manière pacifique, suivant le même scénario que Trump avec le discours de la fraude.
Actuellement, les conditions ne sont pas réunies pour un coup d’État classique qui est la base de son programme et une composante stratégique de son action et de son discours, car ni les forces armées ni la majorité de la police n’ont signalé qu’elles soutiendraient un coup d’État. Toutefois, il n’est pas exclu que Bolsonaro tente un coup d’État ultérieurement – avant, pendant ou après les élections – s’il parvient à réunir les conditions pour le faire. Cette possibilité incarne à elle seule la gravité de la situation actuelle.
Le PSOL tient son 7e Congrès national et fait un pas en avant dans la lutte contre Bolsonaro
Le Parti Socialisme et Liberté (PSOL) est le principal parti anticapitaliste et d’une nouvelle gauche brésilienne. Cette force est minoritaire, mais en progression au sein de la classe ouvrière. Les 26 et 27 septembre 2021, le 7e congrès a réuni 402 délégué·e·s en ligne. 51 000 personnes ont voté, soit deux fois plus que lors du précédent congrès. Le grand thème était la caractérisation du gouvernement et les tactiques pour le vaincre. Durant le Congrès, deux blocs s’opposaient : d’un côté, le bloc majoritaire défendait une tactique de front unique de gauche pour les élections de 2022, de l’autre, le bloc de l’opposition proposait une candidature propre au PSOL.
Cette force s’est consolidé surtout à 3 moments :
- En 2016 face aux mobilisations massives des droites en faveur du coup d’État contre le PT, la majorité du PSOL s’est positionnée contre le coup d’État et a dénoncé le lava-jato ;
- En 2018, la majorité du PSOL a investi dans la relation avec le MTST (mouvement des travailleurs sans abri) et l’APIB (Articulation des Peuples Indigènes du Brésil), deux mouvements sociaux de poids, pour une liste PSOL à la présidence, vers un processus de réorganisation de la gauche. Avec la campagne de Boulos et Guajajara, le PSOL a accumulé des forces pour intervenir dans les manifestations Ele Não, doubler ses sièges au Parlement et soutenir le PT contre Bolsonaro au 2e tour ;
- Après la victoire de Bolsonaro et l’assassinat de Marielle Franco, avec des menaces d’emprisonnement et de mort à l’encontre de leaders du mouvement social, la majorité a soutenu le Front unique, qui s’est exprimé par deux grandes demandes unifiées de destitution, dans les mobilisations du Tsunami de l’éducation (la première grande manifestation contre le gouvernement) et, après la pandémie, dans le soutien à la première manifestation appelée par la Coalition noire pour ensuite former la Campagne nationale Fora Bolsonaro, chargée d’appeler les grandes actions que la gauche a construites pour Fora Bolsonaro.
La nouvelle majorité formée dans ce Congrès est plurielle et aura de grandes responsabilités. Nous réaffirmons que PSOL n’attend pas les élections de 2022 pour sortir Bolsonaro du pouvoir. Au minimum, nous nous battons pour que Bolsonaro n’arrive pas politiquement vivant aux élections de 2022. Le vaincre dans la rue, où nous consacrons nos énergies pour l’instant, ouvrirait la porte à un changement qualitatif dans le rapport de forces. Pour cela, le PSOL continuera à parier sur le front unique, afin que les mouvements et partis de gauche – malgré leurs différences stratégiques et programmatiques – puissent lutter ensemble contre le néo-fascisme. Cette tactique signifie, aujourd’hui au Brésil, la construction de la campagne nationale « Fora Bolsonaro » entre PSOL, PT, PCdoB, PCB, PSTU, UP, les centrales syndicales et étudiantes et les mouvements populaires. De plus, nous devons soutenir l’unité d’action, comme lors des grandes mobilisations du 2 octobre dernier.
La défaite de Bolsonaro ne sera peut-être résolue que lors de l’élection présidentielle de 2022
Il est possible que la défaite de Bolsonaro soit électorale et doive donc attendre en 2022. Lula, ancien président du PT, apparaît en première position dans les sondages. Malgré cela, il n’y a aucune certitude qu’il y aura un 2e tour, ni que Bolsonaro sera battu. Par conséquent, le PSOL et la gauche n’ont pas seulement un rôle d’autoconstruction dans ces élections.
L’unité de la gauche en 2022 peut être cruciale pour vaincre, au moins électoralement, le mouvement néo-fasciste dirigé par Bolsonaro. C’est le grand défi pour le PSOL, qui se prononcera sur la question en avril prochain. D’ici là, le PSOL devrait se battre pour un front des gauches, sans la bourgeoisie, et y défendre des positions radicales. La possibilité que le PSOL ne soit pas une composante active de la défaite de Bolsonaro (dans les rues ou même en termes électoraux) serait un désastre complet.
L’avenir de la gauche brésilienne et le rôle du PSOL vers sa réorganisation impliquent d’être une organisation politique utile dans la défaite de Bolsonaro. Le 7e congrès du PSOL a fait un pas important dans cette direction. Nous ramons fermement.
Deborah Cavalcante
Membre de la coordination nationale de Resistência, courant interne du PSOL.
Traduction et adaptation : Gabriella Lima