États-Unis
Des travailleureuses s’organisent face au pouvoir du capital
Aux États-Unis, les travailleureuses commencent à organiser ce qui pourrait, dans les prochaines années, devenir un nouveau mouvement syndical.

Les baristas de 100 cafés Starbucks se sont syndiqué·e·s ; quelque 8000 magasiniers·ères d’Amazon à New York ont voté en faveur de la création du premier syndicat de la multinationale dans le pays ; les travailleureuses d’Activision Blizzard, une société de jeux vidéo du Wisconsin, ont également voté en faveur de la syndicalisation, bien qu’ielles ne soient que 28 ; les vendeurs·euses de certains des 272 Apple Stores s’organisent. Ces mouvements reflètent un changement d’attitude des Étasunien·ne·s à l’égard des syndicats. 59 % des salarié·e·s se disent aujourd’hui favorables à la syndicalisation de leur lieu de travail, alors qu’ielles n’étaient qu’un tiers en 1970.
Aux États-Unis, le taux de syndicalisation est pathétiquement bas et les grèves sont rares. Seul·e·s 10 % des travailleureuses sont syndiqué·e·s – 6 % dans le secteur privé – le taux le plus bas depuis les années 1920. En 2021, il y a eu 16 grèves majeures impliquant 1000 travailleureuses ou plus, soit un total de 80 700 grévistes, alors qu’en 1970, année record, il y a eu 34 arrêts majeurs impliquant 1,7 million de grévistes. Les syndicats sont dirigés par une bureaucratie qui a choisi une politique de partenariat avec le patronat. Elle constitue une caste bénéficiant de salaires et de conditions de retraite déconnectées de celles des travailleureuses ordinaires.
Malgré tout cela, nous assistons à une petite mais significative embellie, inédite depuis des décennies. Prenez Starbucks, par exemple. La campagne actuelle de syndicalisation a commencé il y a à peu près un an, au printemps 2021. En décembre de la même année, un café de Buffalo, dans l’État de New York, a été le premier à se doter d’un syndicat. Depuis, 100 cafés Starbucks – la plupart comptant entre 10 et 20 employé·e·s – ont voté en faveur de l’implantation du syndicat Workers United et seulement 14 ont voté contre. Environ 120 autres cafés sont en train d’organiser des élections. Bien que le nombre total de travailleureuses soit faible, cela représente un changement important, en particulier dans le secteur de la restauration où seulement 1,2 % des employé·e·s sont syndiqué·e·s.
Combat idéologique et pratiques déloyales
Les progrès seront néanmoins difficiles. Pourquoi ? Le premier obstacle à la syndicalisation est idéologique. La culture étasunienne met l’accent sur l’individualisme, le « chacun pour soi » : votre situation économique est votre problème, pas celui du patronat ou du gouvernement. Cette idéologie dominante est évidemment hostile à la solidarité et donc à la syndicalisation. En outre, le racisme, qui se manifeste notamment dans l’idée que les États-Unis sont un pays chrétien blanc et anglophone, joue sur les peurs et les ressentiments des travailleureuses blanc·he·s à l’égard des travailleureuses noir·e·s, latino·a·s et immigré·e·s pour rendre la solidarité plus difficile.
Le second obstacle est très concret : l’opposition farouche de la plupart des grandes entreprises. Celles-ci engagent des avocat·e·s très puissant·e·s pour combattre le syndicat par tous les moyens; elles emploient souvent des agences de détectives pour espionner le syndicat et ses membres ; elles organisent fréquemment des assemblées où elles mettant en garde contre le gangstérisme, la corruption, la violence des syndicats et les exigences déraisonnables qui finiront par nuire à l’entreprise ou la forcer à cesser ses activités, bref par tuer la poule aux œufs d’or.
Pour reprendre l’exemple de Starbucks : face à la montée en puissance de Workers United, la multinationale exerce des représailles. Au cours des derniers mois, vingt employé·e·s engagé·e·s dans des activités syndicales ont été licencié·e·s – officiellement pour un autre motif, bien sûr. Starbucks a récemment annoncé la fermeture d’une de ses succursales où les travailleureuses avaient fait grève. Workers United recense plus de 175 cas de pratiques de travail illégales de la part de la société et a déposé plainte auprès du National Labor Relations Board.
Vers un mouvement national
Les mouvements chez Amazon et Starbucks ont montré que l’organisation de travailleureuses à la base peut surmonter l’individualisme, le racisme, les mensonges et l’intimidation des entreprises et mener à la victoire. Ils ont également montré que les élections pour une représentation syndicale doivent s’accompagner de manifestations, de débrayages et de grèves.
100 cafés Starbucks comptent un syndicat, mais il y en a 15 400 dans le pays. Le mouvement doit s’intensifier. Nous devrons transformer les campagnes locales en campagnes régionales et nationales et il faudra probablement des grèves régionales ou même nationales – comme cela s’est produit dans d’autres industries telles que l’automobile et l’acier, les transports et dans les services publics – afin que les employé·e·s de Starbucks, d’Amazon et de centaines d’autres entreprises puissent bénéficier d’un syndicat.
Dan La Botz