Penser et imaginer les utopies politiques aujourd’hui et demain

Le 1er octobre dernier, solidaritéS clôturait son université d’automne par une plénière consacrée aux utopies révolutionnaires, durant laquelle Eric Toussaint, Jules Falquet et Joana Bregolat ont parlé des aspects théoriques et stratégiques. Ce compte-rendu est le premier d’une série de contributions revenant sur cet événement qui a réuni une centaine de participant·e·x·s. À suivre dans nos prochains numéros.

Des centaines de militantes sont assises lors de la table ronde des féministes Abya Yala
Table ronde des féministes Abya Yala dans le cadre de la 34e Rencontre plurinationale des femmes, lesbiennes, travestis, trans et non binaires, La Plata, Argentine, 2019

 Les intervenant·e·x·s ont insisté sur la nécessité, pour espérer penser aujourd’hui et demain les utopies, d’envisager ces dernières comme des propositions qui s’élaborent dans des temporalités où le roulement bien huilé de la machine capitaliste donne à voir ses contradictions et limites internes. 

Pour cela, il s’agit d’abord, à partir notamment des écrits de Walter Benjamin et Daniel Bensaïd, de considérer nos sociétés comme des constructions historiques non linéaires, issues des rapports de force entre les classes sociales. Des sociétés qui, dans des moments où la conflictualité entre les classes sociales augmentent, peuvent par la lutte des dominé·e·x·s, basculer vers quelque chose de nouveau, vers une forme d’utopie. 

Les nombreuses luttes sociales de ces dernières années sont autant d’exemples que la classe travailleuse opprimée aux quatre coins de la planète a conscience du caractère construit et modifiable des rapports de domination, désire des changements radicaux et est prête – lorsque les conditions semblent rassemblées – à lutter pour renverser l’ordre dominant capitaliste, patriarcal et raciste. 

C’est le cas notamment du mouvement des Gilets Jaunes en France, des mobilisations de masse au Chili ces dernières années ou encore du processus de contestation entamé par la population iranienne en réponse à l’assassinat de Mahsa Amini le 14 septembre dernier. C’est également le cas du mouvement féministe international, des activistes qui luttent pour la justice climatique ou encore des mobilisations antiracistes suite à l’assassinat de George Floyd en mai 2020. Ces mouvements constituent pour nous des boussoles pour construire notre projet émancipateur.

Un horizon désirable à construire 

Nos camarades invité·e·x·s ont également insisté sur le caractère multiple des tâches qui incombent dans ce cadre aux militant·e·x·s d’organisations de la gauche anticapitaliste. Il s’agit, à travers des échanges et des débats nécessairement pluriels, de chercher à identifier, à anticiper, ces situations convulsives où la conflictualité sociale est suffisamment élevée pour imaginer renverser le rapport de force, où les propositions que nous formulons pour une utopie éco-sociale sont les plus à même d’être entendues. 

Il s’agit aussi d’appuyer, ici et maintenant, les luttes menées par des sujets révolutionnaires pluriels : les femmes, les communautés queer, les jeunes qui se soulèvent pour la défense du climat, les communautés autochtones et non blanches qui dénoncent le nécro-racisme et l’exploitation de leurs terres et de leur corps. 

En effet, c’est au sein de ces luttes que se conjuguent le mieux les potentialités de renversement des rapports de force et d’ouverture d’un chemin politique vers la sortie du capitalisme. Il s’agit par ailleurs de renouer avec des propositions programmatiques fortes comme celles de l’expropriation des banques privées, de la nationalisation du secteur de l’énergie ou de la socialisation de big pharma. Autant de revendications qui sont aujourd’hui urgentes pour être en phase avec les changements pratiques nécessaires pour penser des véritables solutions pour dépasser le capitalisme, en le détruisant.

Reconnaître notre dette 

Finalement, parce que les utopies que nous imaginons aujourd’hui ne viennent pas de nulle part, iels nous ont rappelés notre dette à l’égard de nombreuses populations et groupes originaires des périphéries des centres d’accumulation capitaliste qui, depuis de nombreuses années, réfléchissent et défendent des pratiques politiques utopiques. 

À titre d’exemple, et parce qu’il serait impossible de les lister tous, nous citons ici l’importante contribution des féministes communautaires de Bolivie et du Guatemala. Porté par des femmes autochtones depuis le début des années 90, avec une forte volonté d’autonomie et d’auto-organisation, le mouvement féministe communautaire a été l’un des premiers à thématiser, dans ses actions et dans ses réflexions théoriques, la nécessité de lier la défense du territoire terre à celle du territoire corps. 

Ses membres ont dénoncé de manière simultanée la violence extractiviste des transnationales minières sur les territoires qu’elles occupaient, et la violence hétéropatriarcale dont elles étaient victimes en tant que femmes. Les réflexions actuelles sur la nécessité de lier dans nos revendications la question de la fin du capitalisme et de l’impérialisme à celle de la fin du patriarcat et de travailler à un rapprochement des luttes féministes et des luttes contre la destruction de la planète leur doivent donc énormément. 

Noémie Rentsch