Les transformations à la base de l’essor de l’extrême droite

En 2022, des coalitions droite/extrême droite ont remporté les élections législatives en Suède et en Italie. Dans les deux cas, les partis victorieux ont un passé néo-fasciste. Quelles sont les caractéristiques des extrême-droites européennes et mondiales ?

Manifestation contre l’extrême droite, Genève, 12 novembre 2022


Manifestation contre l’extrême droite, Genève, 12 novembre 2022

Les succès électoraux italiens et suédois ne sont pas des phénomènes isolés. En Pologne comme en Hongrie, des partis populistes d’extrême droite sont au pouvoir depuis des années et, dans les autres pays européens, l’extrême droite progresse.

Des mouvements différents de ceux du 20e siècle

Quand on pense au fascisme italien ou au nazisme allemand des années 1920 et 1930, on comprend qu’il s’agit de partis qui construisent des milices violentes, rejettent la démocratie, s’attaquent avant tout au mouvement ouvrier et s’appuient sur une bourgeoisie qui veut rétablir l’ordre dans un continent marqué par des vagues révolutionnaires.

Les mouvements d’extrême droite européens actuels sont très loin du fascisme et du nazisme de l’entre-deux-guerre, mais ils sont aussi différents de l’extrême droite qui s’est reconstruite après la Deuxième Guerre mondiale.

Les partis d’extrême droite contemporains ont des positions différentes sur beaucoup de questions mais se rejoignent sur deux d’entre elles : une obsession sur l’immigration, souvent liée à une haine de l’islam, et une défense de la nation contre les élites et les institutions qu’elles incarnent, en particulier l’Union Européenne. 

Sur le reste, tout les sépare. Certains partis sont conservateurs sur le plan des mœurs, anti-féministes, anti-LGBTIQ et anti-avortement, en Pologne, Hongrie ou en Espagne. Alors que d’autres, en France ou aux Pays-Bas par exemple, s’appuieront sur les droits des femmes ou des personnes LBGTIQ pour mieux s’attaquer à l’islam. 

Certains soutiennent la Russie de Poutine, comme Orban en Hongrie ou Matteo Salvini en Italie, alors que d’autres sont pro-ukrainiens, comme le PiS polonais ou Giorgia Meloni en Italie. Le changement climatique les a aussi séparés, certains d’entre eux niant ses causes humaines, tout comme les campagnes vaccinales contre le Covid-19.

Extrême droite et mondialisation néolibérale

Depuis plusieurs décennies, le monde est entré dans une phase de mondialisation néolibérale, ce qui a entraîné de nombreuses transformations dont certaines sont à la base de l’essor de l’extrême droite. Trois d’entre elles sont particulièrement importantes.

La première est la croissance des inégalités et les transformations du travail. Les pays européens, si l’on se réfère à l’indice Gini qui calcule le niveau d’inégalité pays par pays, sont parmi les plus égalitaires. Mais la mondialisation a permis une concentration des richesses toujours plus importante vers un tout petit nombre d’individus, et les élites sont perçues comme un monde à part, déconnecté de la vie quotidienne de la grande majorité de la population. 

Le néolibéralisme et la mondialisation ont entraîné une transformation profonde du travail. De nombreux emplois industriels ont disparu à cause des délocalisations et, pour ceux qui restent, tout comme ceux du secteur tertiaire, la précarité a progressé et les collectifs de travailleurs·euses se sont fragmentés. Le résultat de ces évolutions, combiné à l’existence d’un filet de sécurité protégeant les plus pauvres, a entraîné un tassement vers le bas de la pyramide des revenus et un sentiment de déclassement pour la classe ouvrière et les couches moyennes.

La seconde est l’affaiblissement des capacités des États et des institutions traditionnelles face à la puissance des marchés. Une évolution que l’on retrouve dans la plupart des régions du monde mais qui est particulièrement marquée en Europe, où l’existence de l’Union Européenne éloigne encore plus les citoyen·ne·s des lieux de décision. 

Dans les décennies qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale, le commerce mondial était très limité. Les principaux États, en Europe, avaient la possibilité de développer tel ou tel secteur d’activité et la vie politique s’organisait dans un bipartisme droite / gauche. Aujourd’hui, les partis de droite ou de gauche « de gouvernement », comme les chrétiens-démocrates et les sociaux-démocrates, ont des politiques comparables et perdent leur électorat traditionnel. On assiste ainsi, dans toute l’Europe à une fragmentation de la scène politique et à une percée de l’extrême droite qui, dans de nombreux pays, dépasse en voix les partis de droite traditionnels.

La troisième transformation est la conséquence d’une « métropolisation » qui est une des conséquences de la mondialisation. Il s’agit de l’adaptation des grandes villes aux besoins de l’économie néolibérale, à l’intensification des flux commerciaux et financiers et de la mise en relation des économies à l’échelle mondiale. 

Face à l’affaiblissement du rôle économique des États émerge un réseau hiérarchisé de métropoles qui dessine un archipel dominant l’économie mondiale. Mais la métropolisation a pour corollaire le déclin des territoires ruraux et des villes moyennes, très nombreuses en Europe, qui voient disparaître les services publics et la vie de leurs centres villes.

Christophe Aguiton
Article rédigé pour le magazine sud-africain Amandla, repris par Europe solidaire sans frontières