Bienvenue en Inégalistan !

Un phénomène croissant sévit depuis plusieurs années dans notre canton : la grande précarité humaine augmente dans nos rues. Nous ne la percevons que par petites touches : un mendiant à la place Bel-Air, une personne dormant le long de la rue de Lausanne par une nuit glaciale ou encore une autre portant une pancarte « j’ai faim » sur le pont du Mont-Blanc.

Manifestation de réfugiés à Genève
Nous devons faire changer les lois qui empêchent les réfugié·e·s d’accéder à un logement digne. Manifestation en hommage à Alireza, Genève, 8 décembre 2022.

Ces manifestations de la grande pauvreté ne constituent pourtant que la partie émergée de l’iceberg de la misère à Genève. Elle reste le plus souvent ignorée par la population et les autorités. 

Des centaines de personnes se rendent quotidiennement dans des structures d’accueil de jour et de nuit pour obtenir un repas, une aide administrative, une coupe de cheveux gratuite ou simplement un endroit pour se reposer à l’abri des dangers de la rue. Malheureusement, les capacités sont limitées et de très nombreuses personnes n’obtiennent pas l’aide nécessaire ou dorment dehors, dans des parcs, sous les ponts, dans des caves ou dans des toilettes publiques. Ces personnes sont invisibilisées et n’ont pas le droit à la parole et encore moins à l’écoute de leurs problèmes. En tant que travailleurs et travailleuses sociaux·ales, nous tentons de relayer leur voix. Nous sommes confronté·e·s à des barrières institutionnelles et administratives très difficiles à franchir.

Les places d’hébergement d’urgence sont sous-évaluées et les lieux d’accueil constamment saturés. Nous estimons à minima que plus de 1000 personnes vivent en situation de sans-abrisme à Genève et seulement 500 places « d’urgence » sont proposées par les différentes institutions et associations. Que faire des 500 personnes dont le besoin vital d’avoir un toit sur la tête n’est pas couvert ?

Raisons de la pauvreté actuelle

Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette situation de grande précarité :

  • l’accessibilité au logement est devenu très difficile. Il n’y en a pas assez et leurs prix sont exorbitants. Le droit au logement est un droit constitutionnel qui se trouve en compétition avec le droit — et le pouvoir — des propriétaires et des régies à faire un maximum de profit ;
  • la crise du Covid a mis sur le carreau un grand nombre de personnes dont la situation à Genève, déjà précaire, permettait cependant de joindre les deux bouts en exerçant des petits boulots, notamment dans l’économie domestique ou dans la restauration. Ielles se sont retrouvé·e·s asphyxié·e·s par la perte de ces revenus ;
  • la situation migratoire que l’on connaît actuellement en Europe ne va pas s’arrêter. C’est même le contraire qui se profile à l’avenir, en raison des changements climatiques qui vont mettre des millions de personnes supplémentaires en quête de survie sur les routes de l’exil. Nous devons être en mesure d’accueillir dignement ces personnes qui ont fui leur pays pour des raisons climatiques, économiques ou sociales. 

Ce que nous avons réussi à faire avec les personnes ukrainiennes, nous avons la responsabilité de le faire pour toutes les personnes migrantes. Nous avons la responsabilité de faire changer certaines lois qui empêchent ces personnes de prétendre à un travail digne, à un logement et à une situation humainement acceptable.

Splendeur et misère

Genève est une des villes les plus riches du monde dans l’un des pays les plus riches du monde. Nous y accueillons avec un tapis rouge les plus grandes fortunes mondiales et les sièges des plus grandes entreprises multinationales. Des transactions financières se chiffrant en milliards se font tous les jours ici, au cœur de la Genève internationale. L’argent qui en découle doit servir à accueillir dignement les personnes présentes sur notre territoire et non pas à permettre à une classe hyper-minoritaire de continuer à capter les richesses des pays dont sont souvent issues les personnes qui viennent chercher un abri à Genève.

Diverses entraves s’opposent à l’adéquation de la prise en charge du sans-abrisme : les moyens ne sont pas dirigés au bon endroit, l’attentisme, le manque de transparence des autorités gestionnaires des fonds publics (l’État, la ville de Genève, les communes genevoises), le racisme institutionnel qui prétend que seules certaines catégories de la population « méritent » de l’aide, le manque de moyens octroyés pour les structures et associations tant au niveau social que sanitaire, la priorité donnée au capital et à la garantie de ses avantages ainsi que le mépris de classe de la part des dirigeant·e·s politiques et économiques de notre canton.

Lucien Durand  travailleur social