Chemsex: sujet politique?
Le 10 février 2023, le comédien français Pierre Palmade prend le volant sous l’emprise de stupéfiants et provoque un grave accident. S’ensuit une tornade médiatique sur la question des drogues et du sexe. Mais face à cette déferlante sans fin, est-il possible de proposer un contre-discours ?
Comment une histoire d’accident de la route peut-elle se transformer aussi rapidement en panique médiatique et morale sur les consommations de drogue ? Tous les plateaux de télévision français ont désormais parlé du chemsex. Dans la vision des milieux de prévention, il s’agit du fait de consommer des drogues dans l’intention d’avoir des relations sexuelles. Le plus souvent les substances utilisées sont des cathinones – des produits de synthèse évoluant sur le marché gris. Bien sûr, leur utilisation peut être couplée à d’autres produits (cocaïne, kétamine, alcool, poppers, stimulants d’érection, etc.) mais il s’agit d’une pratique spécifique qui est particulièrement présente dans le milieu gay.
Néanmoins cette spécificité doit être comprise dans un contexte plus large, car l’acte d’avoir des relations sexuelles sous produits n’est bien sûr pas la prérogative des hommes gays. Il est en effet assez connu que nombre de gens consomment – ou ont consommé – de l’alcool ou d’autres substances avant ou en conjonction d’un rapport, ce qui est relativement accepté socialement. De manière générale, une majorité de gens consomment des produits, point. Ce n’est pas un problème en tant que tel évidemment, le problème se situe dans le fait de conduire sous l’influence de substances.
De plus, dans une société qui continue de valoriser le transport en voiture individuelle aux dépens des autres types de mobilité et d’urbanisme, il serait temps d’avoir une vraie discussion sur les dangers qu’elle représente. Les habitudes sociétales légitiment l’utilisation de la voiture dans tous les cas. Prenons en compte qu’il était permis jusqu’à récemment encore de conduire éméché.
Si les actions de Pierre Palmade doivent nous rappeler une chose, c’est que la voiture est un problème en soi, d’autant plus sous drogues. Si des actions telles que le 30 km/h généralisé, le développement des transports publics ou encore un urbanisme intelligent peuvent aider, c’est fondamentalement la fin de la suprématie des voitures qu’il faut demander.
Coupable Abject
Or, les actions de Pierre Palmade, évidemment répréhensibles, sont individualisées et associées à une déviance certaine – incarnée par sa pratique du chemsex. Pourquoi cela, alors que bien des gens ont pris le volant après trois verres ? Le spectacle médiatique n’en veut pas ! Il est plus intéressant de jouer sur les peurs de la population générale et par conséquent renforcer l’image des hommes gays comme des pervers sexuels à la morale indigne.
Le chemsex devient donc un sujet d’importance nationale, nourri par des témoignages certes touchants mais alarmistes sur ces nouvelles drogues utilisées par les pervers dans des parties fines. Et il semblerait que c’est une tendance en progression, puisque plus de 40 % d’hommes pratiqueraient du chemsex une fois par mois et que cela toucherait désormais les femmes !
Peu importe que les chiffres des études citées soient absolument grossiers et qu’ils comptent comme « chemsexeurs » des gens qui ont fumé un joint et le même mois eu une relation sexuelle, c’est l’audimat qui compte ! C’est une déferlante homophobe sur les télévisions françaises, en manque de raisons de pointer du doigt les « modes de vie » malsains des PDs. Apparemment selon un invité de Touche Pas à Mon Poste, nous ne nous limitons plus aux produits de synthèse, désormais nous consommons du sang d’enfants pour rester jeune…
Réduction des risques
La réalité est que le chemsex est effectivement un problème pour beaucoup d’entre nous. Il peut être fun d’avoir des relations sous drogues ou alcool mais il est vrai que cela demande des connaissances sur soi-même et sur les drogues. Tout comme il est facile de déraper avec l’alcool, il est facile de déraper avec des drogues, avec des conséquences parfois plus graves.
La solution ici n’est pas de pointer ces drogues et les sexualités non-hétérosexuelles comme un problème. Il s’agit, au contraire, de laisser les communautés qui pratiquent le chemsex prendre soin d’elles-mêmes, au travers du soutien de programmes communautaires, d’apprentissage des techniques de réduction des risques, d’accès à des pairs, des spécialistes en addictologie, etc. Les organismes de prévention existent mais doivent composer avec les politiques répressives des États, isolant les consommateurices de stupéfiants qui renoncent à demander de l’aide.
La culture de l’indignation et du pointage de doigts des chemsexeurs ne sert à rien, laissons-leur déterminer ce qui est le mieux pour eux sans en faire un plat.
Seb Zürcher