Une histoire critique de la gauche radicale en Suisse romande
Il y a quelques semaines, solidaritéS Vaud ouvrait son cycle de formation interne par une séance revenant sur les enjeux qui ont jalonné la construction cantonale de notre mouvement et qui s’appuyait sur un important travail d’archives.
Jean Michel Dolivo, Daniel Süri et Magdalena Rosende sont revenu·e·s sur les origines de la Ligue Marxiste Révolutionnaire (LMR), organisation née au début des années 1970, à laquelle ont participé activement plusieurs camarades qui ont par la suite fondé solidaritéS Vaud. L’enjeu était alors de se construire en rupture avec le stalinisme et en opposition au réformisme étatique, une position minoritaire au sein de la gauche.
Jusque dans les années 1980, les militant·e·s de la LMR construiront le mouvement principalement autour de la solidarité internationale, de la défense des intérêts de la classe ouvrière et de revendications antimilitaristes. Le contexte politique suisse de cet époque, marqué notamment par l’anticommunisme de la guerre froide, par des politiques discriminatoires envers les ouvrier·ère·s du sud de l’Europe et par une limitation du droit d’asile pour les réfugié·e·s de la dictature d’Augusto Pinochet, les poussent à des prises de position contre la xénophobie.
Le climat politique des années 1980, marqué par les offensives des gouvernements Reagan et Thatcher contre le mouvement ouvrier et la gauche en général, avec l’accord tacite de la social-démocratie, laisse les organisations anticapitalistes affaiblies. En réaction à la montée du libéralisme et dans une volonté de s’intégrer socialement dans le monde du travail, la LMR devient alors le Parti Socialiste Ouvrier (PSO). La chute du Mur de Berlin en 1989 et la disparition de l’URSS en 1991 signent le passage vers un capitalisme triomphant et mondialisé, sans véritable résistance du mouvement ouvrier.
Face à l’intégration d’une partie de ses membres dans les partis institutionnalisés (Verts/PS) ou dans les bureaucraties syndicales, la gauche anticapitaliste suisse doit se reconstruire. solidaritéS Vaud naît de la volonté d’une partie des membres du PSO d’opter pour une stratégie de front uni, pluraliste, dépassant l’idéal de l’unité ouvrière, en y intégrant des perspectives féministes, écosocialistes et antiracistes.
Mouvement féministe et gauche radicale : une histoire mouvementée
Les intervenant·e·s sont également revenu·e·s sur l’histoire des luttes féministes de ces décennies et sur leurs liens avec la gauche radicale.
Dès les années 1970, certains collectifs féministes s’organisent en non-mixité en marge des partis de gauche, dont elles dénoncent les logiques patriarcales. Les militantes proposent une analyse marxiste de l’oppression spécifique des femmes. Elles thématisent la question du travail gratuit, des inégalités d’accès à la santé ou la formation, via un répertoire allant d’actions symboliques provocatrices à la création de centres de femmes, de dispensaires ou de librairies autogérées. Les revendications tournent aussi autour de la justice reproductive et du droit à l’IVG.
Au souffle radical des années 70 succède une période d’institutionnalisation et de professionnalisation des revendications et des modes d’action. Dès 1981, les revendications liées à l’égalité formelle, notamment salariale, prennent de l’importance. Elles sont portées en priorité par les femmes des syndicats, qui seront à l’origine de la première grève des femmes, le 14 juin 1991, moment historique de convergence entre différents pôles du féminisme suisse. Au début des années 2000, les luttes féministes autonomes et auto-organisées connaissent une forme de déclin. Des collectifs locaux s’organisent toujours dans différentes villes mais il n’existe pas de mouvement coordonné à l’échelle nationale. Le nouveau souffle féministe qui secoue la planète depuis 2015 et place la lutte contre les violences sexistes et sexuelles comme enjeu central, finira par atteindre la Suisse, le 14 juin 2019, au terme d’une année de mobilisation d’ampleur historique. Ce nouveau mouvement est porté par des syndicalistes, des membres d’organisations politiques comme solidaritéS et de nouvelles militantes.
Il existe ainsi un lien historique entre gauche radicale et luttes féministes en Suisse, qui semble avoir survécu aux périodes de creux des mobilisations. Un lien qui n’est pas épargné par la conflictualité et les rapports de force, mais qui montre la nécessité d’un engagement de nos organisations sur les questions féministes.
Une formation sur notre histoire : quelle fonction pour le mouvement ?
Un retour sur notre histoire collective nous offre la possibilité de nous rencontrer autrement. Le récit prend forme à travers les anecdotes de nos camarades sur leurs tentatives de prolétarisation dans les usines ou par les archives de tracts qu’ielles ont rédigés, distribués et gardés précieusement dans des classeurs. Il nous permet également de comprendre les processus qui ont permis d’élaborer les revendications que nous défendons actuellement et nous enjoint à repenser nos stratégies pour rester en phase avec un présent toujours en mouvement.
Gaara