Soudan

L’espoir n’est pas une stratégie

Depuis le début des affrontements militaires entre parties de l’armée, les militant·e·s pour les droits civiques soudanais·es font preuve d’étonnantes capacités de gouvernance et d’auto-organisation. Y a-t-il des perspectives pour une révolution démocratique maintenant que les putschistes ont déclenché la guerre ?

Une militante soudanaise tient un mégaphone
Les manifestations contre le coup d’État d’octobre 2021 se sont tenues toutes les semaines en 2022. Manifestation féministe, Khartoum, 6 juillet 2022

L’ Association des professionnel·le·s soudanais·es (APS) avait joué un rôle central de coordination durant la révolution de 2019. Horizontale, elle s’était constituée deux ans plus tôt pour défendre les intérêts économiques de l’intelligentsia de la capitale (médecins, journalistes, avocat·e·s), qui souffrait de la perte de revenus pétroliers par Khartoum. 

Cependant, elle a commencé à s’affaiblir après avoir atteint son objectif à court terme – le renversement d’el-Béchir en avril 2019. L’absence de planification stratégique à long terme, l’accord avec la junte militaire en juillet 2019 ou encore le soutien acritique au gouvernement néolibéral d’Abdalla Hamdok a fortement réduit la crédibilité de l’APS. Sa réputation a également été affectée par la faiblesse de sa structure – prises de décision trop lentes et peu transparentes, divisions internes, présence insuffisante des femmes et des non-Arabes aux postes clés, base sociale étroite – ainsi que par l’alliance avec le groupe rebelle darfouri Armée de libération du Soudan. Après la chute de l’ancien régime, ces faiblesses de l’APS ont fait le jeu des militaires et elle n’a pas réussi à se développer en une force capable de faire avancer les intérêts de la révolution démocratique civile.

Qu’en est-il de l’opposition populaire soudanaise ?

En octobre 2022, 55 comités de résistance dans 15 des 18 États soudanais ont déposé une « Charte révolutionnaire pour l’établissement de l’autorité populaire », visant à unifier les forces révolutionnaires. Le document, qui est un projet de Constitution démocratique, confirme le refus de négocier avec les putschistes, l’intention d’exclure complètement les institutions militaires de la vie politique et insiste sur la poursuite de la résistance pacifique. Des exigences que Washington avait qualifiées d’« irréalistes ».

Le 15 avril 2023, alors que des affrontements militaires éclataient entre l’armée et son unité de mercenaires privatisée, les Forces de soutien rapide (FSR), des centaines d’ONG et mouvements étudiants, syndicaux et féministes, comme Guirifna, ont signé des déclarations exigeant la fin de la guerre et la poursuite de la résistance pacifique, soulignant le danger de construction des barricades dans la situation humanitaire actuelle. Le 27 avril, la formation d’un comité civil pour mettre fin à la guerre et restaurer la démocratie a été annoncée. Où en est-on au niveau des actes ?

L’efficacité de l’alternative par en bas

Avec le début des affrontements militaires, la sortie du pays n’est devenue possible que pour les étranger·e·s et les Soudanais·es détenteurs·rices d’une double nationalité. Les comités de résistance de quartier, décentralisés en groupes de 20 à 50 personnes, marginalisés par le gouvernement de transition, ont répondu au défi de la nouvelle réalité politique et de l’effondrement du système de santé en s’organisant rapidement pour fournir des services à la population en se substituant à l’État militaire, incapable de gouverner.

Par le biais des réseaux sociaux, avec une connexion instable, iels recherchent des médicaments, de l’eau, de la nourriture, du carburant et prodiguent des soins médicaux aux victimes, malgré des conditions particulièrement difficiles où les pharmacies et les hôpitaux sont bombardés. Iels participent également à la recherche de personnes disparues, à l’hébergement, à l’organisation de réseaux d’entraide, de couloirs d’évacuation sécurisés, à la tenue de listes de mort·e·s, mais aussi à la coordination de la désobéissance civile et de l’agitation. Les militant·e·s surveillent la situation sur le terrain pour empêcher la population de se retrouver dans les zones d’affrontement. 

La prestation de services légitime les comités aux yeux de la population et prouvent leur efficacité en tant qu’organisateurs·rices ainsi que leur fidélité à la révolution et aux intérêts des populations.

Il est à noter que peu avant les hostilités, en janvier, les comités de résistance de Khartoum avaient annoncé la création de conseils législatifs, ce qui aurait dû conduire à la création d’un gouvernement parallèle.

Quelles conditions pour un nouveau Soudan ?

Il est crucial que le mouvement démocratique ne tombe pas dans le piège du discours de rétablissement de l’ordre au détriment de la démocratie. La question se pose de savoir quel rôle joueront les comités à l’avenir : s’ils seront transformés en partis, ou en conseils locaux. Les militant·e·s devront adapter leurs structures horizontales à de nouveaux objectifs afin d’être capables, contrairement à l’APS, de prendre des décisions rapides dans un moment révolutionnaire et d’élaborer un plan d’action à long terme dans un nouveau Soudan.

Nadia Badaoui