La dette, outil patriarcal
Retour sur certaines des analyses de l’ouvrage Nos vies valent plus que leurs crédits rédigé par Camille Bruneau et Christine Vanden Daelen, toutes deux membres du CADTM en Belgique.
L’ouvrage propose une analyse globale de la dette et de ses conséquences spécifiques pour les femmes. Il invite également à reconsidérer les dettes coloniales, du care et écologiques qu’entretiennent les États impérialistes, les hommes et les classes dominantes à l’égard des populations autochtones, des femmes et des écosystèmes.
Les autrices rappellent en introduction les résultats des politiques de la dette menées par les institutions de la finance internationale : politiques d’austérité budgétaire pour les pays appartenant, selon leur terminologie, aux Nords et plans d’ajustement structurels pour les pays des Suds. Elles insistent également sur la manière dont, lorsque l’on parle de la dette et de ses conséquences, rapports sociaux de race et de classe viennent s’imbriquer au genre pour peser particulièrement lourd sur les épaules des femmes et des minorités de genre pauvrexs, non blanchexs, migrantexs ou habitant les périphéries des centres d’accumulation capitaliste et qui se trouvent dans des situations d’exploitation totale de leurs corps et de leurs vies, et de vulnérabilité accrue face à la violence économique et patriarcale.
Capitalisme, patriarcat, impérialisme et dette
Le premier chapitre propose un retour historique sur la période d’émergence du système capitaliste et sur le rôle essentiel joué par l’enfermement des femmes dans une sphère domestique privatisée et par la dévalorisation du travail de reproduction sociale qu’elles accomplissent. Il rappelle également la manière dont le destin de nombreux États des Suds est étroitement imbriqué aux mécanismes de la dette financière et ce, depuis leurs créations. En effet, l’attribution de crédits par des organismes de la finance internationale à des conditions qui rendent leur remboursement impossible les place dans des situations de dépendance odieuse, à plus forte raison au regard de la dette coloniale dont les états impérialistes sont débiteurs.
La dette attaque l’autonomie des femmes
Les autrices développent ensuite la manière dont la dette attaque l’emploi et l’autonomie économique des femmes. Les services publics, au sein desquels les femmes sont majoritaires, sont les premiers à subir les coupes budgétaires imposées par les politiques de remboursement de la dette publique. Elles sont les premières à subir les vagues de licenciements ou la réduction forcée de leur taux de travail.
Leur autonomie financière est donc menacée. En tant que responsables de la reproduction sociale dans la sphère familiale, les femmes sont également les principales bénéficiaires de ces services publics et subissent directement les conséquences de leur démantèlement.
Le troisième chapitre revient sur la manière dont le démantèlement ou l’inexistence des protections sociales affectent particulièrement les femmes qui, enfermées dans la domesticité, en dépendent davantage que les hommes pour (sur)vivre. Elles sont du reste discriminées dans le calcul des rentes qui reste principalement calqué sur le modèle de l’homme travaillant à temps plein tout au long de sa carrière. Il souligne également le fait que les corps et le temps des femmes servent de variables d’ajustement pour le capitalisme néolibéral, qui fait peser directement sur leurs épaules la disparition d’une prise en charge collective de secteurs comme la santé ou la petite enfance, ainsi que la privatisation de ressources essentielles comme l’eau ou l’énergie.
Le quatrième chapitre permet de comprendre comment et pourquoi les femmes s’endettent à titre privé, les conditions particulières de créance qui leur sont réservées ainsi que les stéréotypes de genre qui font d’elles de « bonnes payeuses ». Un ensemble de particularités qui contribuent à les placer dans des positions de surendettement pouvant mener à l’esclavage et les rendent particulièrement vulnérables aux violences patriarcales.
Pour un monde hors de la dette
Finalement, le cinquième chapitre propose, à partir de perspectives et d’expériences concrètes issues de l’économie féministe ou des écoféminismes, différentes pistes pour sortir du système de la dette. Il formule, entre autres, un changement de paradigme qui vise à considérer l’immense dette du care dont sont aujourd’hui débiteurs les hommes et les classes dominantes vis-à-vis des femmes. Une dette du care qui suffit à délégitimer l’ensemble des dettes financières et à défendre leur non-remboursement, mais qui invite également à repenser la manière dont nous organisons nos sociétés et dont nous appréhendons les liens qui nous unissent.
Les autrices proposent ainsi de partir de ce qui existe déjà – au sein des luttes des communautés indigènes, des ZAD ou des territoires autogérés – pour envisager un monde hors de la dette, dans une perspective non plus hiérarchique mais d’interdépendance qui place notamment en son centre les liens de communauté et le respect des écosystèmes.
Noémie Rentsch