Pour un féminisme sourd

La surdité : un handicap, une oppression spécifique, la médicalisation d’une différence ? Peut-être tout ça à la fois. 

Une femme interprète un discours en language des signes lors de la grève féministe
Interprétation en langue des signes des discours de la Grève féministe 2021, Lausanne

En mars 2022, la Suisse reçoit une très mauvaise note de la part des expert·e·s qui évaluent la mise en œuvre de la convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées. D’après ce rapport, en Suisse, les personnes en situation de handicap sont des sous-citoyen·ne·s. Des droits simples comme celui de choisir son lieu de vie, de suivre une formation ou d’avoir des enfants leur sont souvent déniés. 

En 2022, le service juridique de la Fédération suisse des sourds a traité 127 cas de discriminations. La plupart dans les domaines professionnels, d’accès aux soins ou d’accès à la formation. Un enjeu important est le financement des interprètes en langue des signes. Selon les quelques psychiatres et psychologues spécialisé·e·s en surdité en Suisse romande, les besoins en santé mentale de cette population sont énormes : 50% de personnes ont déjà ressenti une profonde détresse et 20% ont fait au moins une tentative de suicide. Un chiffre trois fois plus élevé que pour les personnes entendantes. 

Il est nécessaire de garantir la communication mais également de former le personnel soignant aux conséquences de la surdité. Certaines personnes sourdes utilisent la langue des signes française (LSF), d’autres le français oral avec ou sans lecture labiale ou la langue parlée complétée (LPC), qui permet de rendre visible les sons qu’on ne voit pas sur les lèvres. 

Des violences sexistes endémiques

Les personnes sourdes et malentendantes sont particulièrement vulnérables face aux violences sexistes et sexuelles. La boîte de Pandore des violences dans les écoles et institutions spécialisées est à peine entrouverte. Dans les témoignages relayés par l’émission Signes de la RTS «Enfances v(i)olées», on entend le manque d’informations données aux enfants, mais également le manque d’écoute. 

Depuis le début des mobilisations autour de la Grève féministe, en 2018, le collectif Féministe LSF milite pour le droit à une vie sans violence, à l’autodétermination et à une éducation sexuelle en langue des signes. Le collectif demande que ces violences soient mieux évaluées et que des statistiques soient rendues disponibles. Il exige également que des prestations d’aide et d’accueil pour les victimes soient accessibles. 

Vers une convergence

De nombreuses personnes en situation de handicap subissent une double, voire une triple discrimination : au handicap s’ajoute le genre, l’origine sociale ou territoriale. Le collectif Féministes LSF se mobilise au sein de la Grève féministe pour rendre accessible les prises de position, revendications et slogans féministes. 

Ce groupe de travail a toujours mis en avant des revendications spécifiques liées aux discriminations des femmes et minorités de genre sourdxes ou malentendantxes. Le collectif demande la mise en application de la convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées. 

Le féminisme sourd est encore jeune mais partout, des personnes se lèvent pour exiger un droit d’accès à l’information et la reconnaissance des langues des signes dans la Constitution. Elles luttent également contre l’audisme – c’est-à-dire les discriminations liées à la capacité d’entendre. 

Au-delà de cet important travail de visibilisation, la question de l’inclusion des personnes sourdes et malentendantes et de leurs revendications soulève des enjeux qui nous concernent touxtes. 

Au sein de nos collectifs, comment concilier l’idéal de la lutte unie contre le capitalisme tout en dénonçant un manque d’inclusivité qui se fait au détriment de quelques autres contraintxes à se suradapter ? Comment s’assurer que la dénonciation du sexisme subi par les femmes, les personnes trans et non binaires sourdes au sein de leur communauté ne soit pas étouffée au nom d’une hiérarchisation des luttes ? Promouvoir et encourager des espaces en mixité choisie déjà. Prendre en charge collectivement l’accessibilité ensuite. 

Il y a urgence à prendre acte du nombre de personnes touchées par le handicap en Suisse (1,8 million) et à assurer leur pleine et entière autodétermination en changeant de vision et de termes : « impotentxe », « souffrantxe », « malade », « fragile », « invalide »… Il est temps que les mouvements et collectifs politiques se saisissent de ces questions, qu’ils revendiquent le droit à la vulnérabilité, qu’ils valorisent le besoin d’entraide tout en combattant les systèmes d’oppressions imbriquées : patriarcat, racisme, validisme, capitalisme.

Manon Zecca