Transphobie décomplexée tous azimuts

Suite à la publication de l’ouvrage transphobe Transmania, une déferlante d’attaques à l’encontre des personnes trans* se dessine dans le paysage politique francophone. Loin de se cantonner à une guerre philosophique sur l’existence ou non de la transidentité, il est essentiel de situer ces attaques dans la séquence politique actuelle de fortification de l’extrême droite conservatrice. 

Une manifestante conte la transphobie tient une pancarte "mon corps, mon genre, ta gueule”
Manifestation contre la transphobie, Paris, 5 mai 2024.

Transmania ce n’est pas qu’un torchon transphobe dont il faut oublier l’existence (même si aussi). Les autrices qui se réclament du «femellisme» – un mouvement essentialisant et conservateur qui définit et défend la femme comme «femelle humaine», mobilisent un arsenal d’arguments proches de celui du collectif Némésis et de ses allié·es. Ces femmes de droite, sous couvert de «féminisme», participent à véhiculer une idéologie conservatrice tout en réifiant la femme blanche cisgenre occidentale, qu’elles constituent en sujet politique fantasmé au centre de leur politique. 

Une femme qu’elles prétendent attaquée par les trans, les hommes racisés, les musulmans et tous les étrangers… La maison d’édition de Transmania, Magnus, située bien à droite, a édité des livres «anti-woke», anti-immigration, complotistes, machistes, qui sacralisent la culture française universaliste et le nationalisme voire prétendent «mettre le politiquement correct au tombeau» ; un bel échantillon du programme de l’extrême droite. 

M. Stern et D. Moutot s’inscrivent dans ce réseau et y sont totalement acquises. Leur campagne de promotion de Transmania ainsi que la critique de la censure dont l’ouvrage fait l’objet – preuve même de l’existence du «lobby LGBT» selon elles – est largement soutenue par le RN, Zemmour, Némésis et consorts. Rien d’étonnant, puisqu’elles participent activement à alimenter les discours réactionnaires et à augmenter les rangs de l’extrême droite en démultipliant les différents réseaux auxquels celle-ci peut s’adresser: autrement dit, ce sont d’excellentes propagandistes. 

Transphobie d’État  

Mais c’est en dehors des librairies que la situation est la plus inquiétante. Partout dans le monde, l’étau se resserre autour des quelques droits existants pour les personnes trans* et plus largement les communautés LGBTQIA+. Aux États-Unis, des lois sont imposées dans plusieurs États, interdisant les transitions, les bloqueurs de puberté, les traitements hormonaux et les chirurgies de réassignation de genre. 

Dans l’État espagnol, la progressiste Ley Trans a été abrogée à Madrid, en une pichenette, par le gouvernement local dirigé par Díaz Ayuso (Parti populaire, droite conservatrice). En France, un projet de loi déposé au Sénat demande d’interdire les transitions pour mineurexs tout en renforçant la psychiatrisation de leur suivi. Ce projet, dont le doublet a été déposé à l’Assemblée nationale par le RN, va jusqu’à punir par des peines de prison les docteure·xs qui suivent les jeunes trans. 

En Suisse non plus, on ne peut pas se targuer d’excellence en la matière. Il y a quelques jours, la RTS alertait son lectorat: les agressions lgbtphobes ont plus que doublé en comparaison aux signalements de 2022. Rappelons qu’aucune protection juridique dédiée n’existe sur le territoire helvétique pour les personnes trans* qui ne sont nommées nulle part et que les médias proposent un traitement des questions LGBT lacunaire et loin des réalités vécues – en début d’année l’association Transgender Network Switzerland pointait encore du doigt le traitement médiatique effectué par la RTS.

Le droit à disposer librement de son corps

En réalité, ce qui est fortement attaqué et qu’il nous faut absolument protéger, c’est le droit à disposer librement de nos corps. Ce que les fronts de droite s’évertuent à mettre en place c’est une forte discipline des corps: les contrôler lorsque qu’ils avortent, transitionnent, accouchent, traversent la méditerranée, migrent, fuient, manifestent, s’opposent, votent etc. 

À l’instar des critiques faites au «wokisme», les attaques contre les personnes trans* mais aussi contre les droits reproductifs s’inscrivent dans une même stratégie politique de la droite favorisant le populisme. Force est de constater que les conservateur·ices sont bien armé·es et cohérent·es dans leur (re)construction politique ; ils·elles ne se contentent pas de promouvoir une austérité économique mais s’immiscent dans les moindres recoins culturels et identitaires en forgeant l’identité réactionnaire. 

Pour ces raisons, il est essentiel de combattre ces attaques de l’extrême-droite tout en développant une stratégie globale de défense des revendications queer-féministes, antiracistes et populaires. Jusqu’à présent, la gauche traditionnelle n’a pas su défendre les personnes trans* et leurs revendications. 

Trop souvent, les questions queer sont pensées comme déconnectées des classes populaires. Ce raisonnement participe à invisibiliser l’extrême précarité dans laquelle, une grande partie des personnes queer se trouve. Pourtant, des forces, il y en a. La mobilisation massive en France à l’appel de la tribune publiée sur Politis démontre bien le potentiel de mobilisation dont sont dotés aujourd’hui les espaces transféministes. 

Il est temps, plus que jamais, de construire des propositions politiques qui défendent le droit à disposer librement de nos corps, conjointement avec les mouvements existants et contre l’extrême-droite. 

Carmen