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Reconstruire Gaza, détruire le régime colonial

Depuis qu’Israël a refusé, à la mi-mai, de conclure une trêve avec Hamas et a intensifié son génocide à Gaza, et que des dommages (im)matériels irréparables ont été infligés à la société palestinienne, il ne sera possible de parler de reconstruction de la bande que lorsque les bombardements cesseront. La seule réponse décente de la Suisse face à ce génocide et à cet urbicide serait de mettre fin à sa collaboration avec l’État d’Israël, comme elle l’a fait avec la Russie, et d’aider Gaza.

Une enfant au milieu des décombres à Gaza
Nord de la bande de Gaza, 19 mai 2024

À Gaza, plus de 70% des logements sont détruits. Israël a également délibérément endommagé ou détruit des sites du patrimoine de Gaza afin d’effacer les preuves de la présence continue de la population indigène.

Gaza aura besoin du plus grand effort de reconstruction d’après-guerre depuis 1945, a estimé l’ONU début mai. Les responsables du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) évaluent le coût de la reconstruction d’après-guerre entre 40 et 50 milliards de dollars. 

Colonisation sous couvert de reconstruction, et le «capitalisme des désastres»

En 2014, à la suite de l’agression israélienne, un accord appelé Mécanisme de reconstruction de Gaza (GRM) était signé entre Israël, l’Autorité palestinienne et l’ONU. Cet accord n’a fait qu’enrichir le secteur de construction israélien et renforcer le blocus de Gaza, en permettant à Tel-Aviv de contrôler totalement le processus de reconstruction et en excluant de ce dernier la société gazaouie.

Des projets de «(re)construction» israéliens ont commencé à apparaître dès les premiers jours de la guerre actuelle. Ces plans représentent essentiellement un moyen de nettoyage ethnique, de colonisation et d’enrichissement. Fin février, le ministre israélien de l’Économie a déclaré qu’Israël demanderait l’aide étrangère, y compris du Golfe, pour reconstruire Gaza lorsque les bombardements cesseront. Ainsi, Israël, qui perpètre l’urbicide, envisage d’enrichir son secteur de la construction aux dépens des donateurs étrangers.

Honte suisse

Le document de la stratégie du Conseil fédéral helvétique pour le Moyen-Orient pour 2021–2024 donne la priorité à des domaines tels que la paix, la sécurité et les droits de l’homme, ainsi qu’à la protection des personnes dans le besoin. Même si elle soutient du bout des lèvres une solution à deux États, la Suisse s’est abstenue les 18 avril et 11 mai lors du vote sur l’admission de la Palestine à l’ONU en tant que membre à part entière, sous prétexte que cette démarche devait d’abord être approuvée par le Conseil de sécurité de l’ONU, qui comprend les États-Unis qui ont imposé leur veto sur cette motion.

Après plusieurs mois de discussions à la suite de l’accusation mensongère selon laquelle quelques employé·es de l’UNRWA auraient participé à l’attentat du 7 octobre, la Suisse a finalement décidé le 8 mai de transférer 10 millions de francs à cette agence à Gaza. Ce montant représente la moitié du celui qui devait initialement être versé à l’UNRWA en 2024 et est dérisoire, sachant que dans son dernier appel du 24 avril l’agence – qui incarne le droit des réfugié·es palestinien·es au retour – sollicite environ 1 milliard de francs.

À quand une conférence sur la reconstruction de Gaza?

Peu avant, le 10 avril, la Suisse avait annoncé qu’elle participerait à la reconstruction de l’Ukraine à hauteur de 5 milliards de francs sur 12 ans en puisant dans le budget de la coopération internationale (au détriment de l’aide allouée à d’autres pays, notamment en Afrique subsaharienne et au Moyen-Orient).

S’agissant de la Palestine, la première chose que devrait faire la Suisse face à la destruction quasi totale de la bande est de cesser d’enrichir l’économie israélienne et de rompre tous liens avec ce pays. Israël est le quatrième partenaire commercial de la Suisse au Moyen-Orient. Les investissements suisses en Israël dépassent le milliard de francs par an. La Suisse doit aussi suspendre sa coopération militaire avec Israël. Mais au contraire, en novembre dernier, au plus fort du génocide, le chef d’Armasuisse rencontrait des représentants d’Elbit pour discuter des projets d’approvisionnement en cours.

Imposer des sanctions dans ces domaines vitaux pour l’économie israélienne constituerait l’un de leviers efficaces sur Tel-Aviv pour mettre fin au génocide. Il est nécessaire d’introduire en Suisse des mesures similaires à celles prises contre la Russie. En tant que pays occupant et génocidaire, Israël doit être forcé à arrêter le génocide et les destructions, et à payer des réparations.

Ne pas prioritiser l’aspect technique

À l’heure actuelle, il est nécessaire de faire pression sur les sources de revenus du régime israélien. Il faut exercer les moyens de pression les plus efficaces sur Tel-Aviv pour que la reconstruction ne serve pas à renforcer l’entité génocidaire terroriste, et que la condition obligatoire de la reconstruction soit l’abolition de l’occupation et des politiques coloniales et l’établissement d’un régime démocratique de la rivière à la mer. Les ruines de Gaza doivent donner lieu à la construction d’une société libre indépendante.

Rebecca Mathieu

Diamants de sang

Israël est l’un des plus gros exportateurs de diamants taillés et polis au monde, son principal produit d’exportation (environ un quart de toutes les exportations). L’industrie des diamants est une pierre angulaire de l’économie israélienne et une source majeure de financement du régime génocidaire. En 2022, Israël a exporté pour environ 11 milliards de dollars de diamants. Ceux-ci proviennent de pays africains comme la Namibie, le Liberia, le Botswana, la RDC. 

Les magnats du diamant – comme Beny Steinmetz, Dan Gertler, Lev Leviev – sont étroitement liés au secteur de la sécurité et aux colonies illégales. Steinmetz – l’homme le plus riche d’Israël l’ami de Yoav Gallant (ministre de défense du pays) – a été condamné par le Tribunal correctionnel de Genève pour corruption d’agents publics en Guinée en 2021. 

Dan Gertler travaillait étroitement avec le géant suisse de matières premières Glencore actif en République démocratique du Congo (RDC). Le dictateur de la RDC Kabila (2001-2019) a accordé à ce milliardaire israélien un monopole sur l’exportation de minéraux congolais, en échange d’armes israéliennes. Israël a également gardé ses conseillers militaires à la RDC depuis 2019 au moins jusqu’en novembre 2023, pour aider à combattre les rebelles dans les provinces orientales riches en minéraux.

La RDC abrite aussi de vastes réserves de cobalt, de cuivre et de coltan, essentiels à la production d’appareils de haute technologie. Israël est l’un des principaux importateurs mondiaux de coltan, également utilisé dans la fabrication d’équipements militaires. L’électronique occupe la deuxième place après les diamants polis dans la structure des exportations d’Israël.