Comprendre et combattre la transphobie
La deuxième édition des Dissidentes, organisées par Contre-Attaque & Autonomie, s’est achevée le 16 septembre dernier. Sasha Yaroposlkaya, membre Du Pain et Des Roses, le collectif féministe et LGBTI de Révolution Permanente, y a présenté, avec le Collectif de la Grève féministe Vaud, l’atelier «Luttes transféministes et résistance anticapitaliste». Entretien.
En quoi les attaques actuelles contre les droits reproductifs et les personnes trans* sont-elles des marqueurs de la montée de l’extrême droite globalisée?
Évidemment, l’oppression des personnes trans n’a rien de nouveau. Cela fait des décennies que les personnes qui entament une transition du genre se trouvent condamnées au chômage et à la prostitution, exposées aux violences et aux meurtres. Mais jamais la minorité trans n’a eu autant de place dans le débat public à l’échelle internationale et jamais autant d’États ne se sont posé la question d’organiser leur véritable persécution politique et judiciaire.
Le fait que la question trans soit propulsée au centre de la scène politique est un symptôme de la crise de plus en plus violente du système capitaliste qui mène au renforcement de l’extrême droite et à la recherche de boucs émissaires (les musulman·nexs, les immigré·exs, les trans).
Les personnes trans et LGBTI sont accusées par l’extrême droite de transgresser la division «naturelle» de la société en hommes et en femmes et d’être une menace pour la famille traditionnelle. D’une certaine manière, elles sont accusées de mettre en péril l’avenir même de la civilisation occidentale, car elles choisissent l’homosexualité et la transition (associées à la stérilité) au lieu de l’hétérosexualité et de la reproduction «naturelle».
Dirais-tu que l’extrême droite a fait de la famille son nouveau cheval de bataille politique?
La question de la reproduction et de la baisse des taux de natalité dans l’ensemble des pays de l’OCDE est en train de devenir une obsession de l’extrême-droite. Celle-ci refuse de combler le spectre de la crise démographique par l’immigration car elle entend aussi fermer les frontières et organiser des expulsions massives des immigré·exs (par exemple, le programme de Trump appelle à des déportations de masse). L’agenda de l’extrême droite comporte donc des politiques natalistes pour inciter les familles à concevoir plus d’enfants, mais aussi des attaques contre le droit à disposer de son corps: interdire l’avortement, bannir les transitions.
Les personnes trans et LGBT sont également dénoncées comme une menace pour les enfants qu’iels sont accusé·exs de pervertir et de corrompre en leur montrant le modèle de la «dangereuse non-conformité du genre». Dans le discours réactionnaire, la transidentité serait un phénomène contagieux, on ferait face à une véritable «épidémie transgenre», les enfants seraient infectés par «un virus woke».
Comment comprendre le rôle que les forces libérales réformistes ont joué jusqu‘à maintenant?
Face à cette offensive internationale contre les droits reproductifs et trans, une évidence s’impose: l’échec des stratégies du moindre mal consistant à soutenir la gauche institutionnelle, des libéraux pour «faire barrage» à l’extrême droite. Résultat de cette «stratégie» en France depuis vingt-deux ans (les présidentielles de 2002): on a une progression quasi linéaire de l’extrême droite ainsi qu’une adaptation de tout le champ politique à ses thèmes et à son programme.
Faisons le bilan des forces néoréformistes à l’échelle internationale: au Royaume-Uni, Corbyn a été évincé du Labour; aux États-Unis, Bernie Sanders et Ocasio-Cortez se sont rangé·es derrière les néolibéraux Biden et Harris; en Espagne, Podemos est quasiment mort suite à sa participation au gouvernement de coalition avec le PSOE; Mélenchon et la France Insoumise nous ont ramené dix ans en arrière en France en ressuscitant le Parti socialiste avec le Nouveau Front Populaire (NFP). D’ailleurs, «la victoire» du NFP n’a pas empêché Macron de nommer un gouvernement avec un premier ministre anti-IVG et xénophobe qui a composé un gouvernement avec des ministres Les Républicains (LR) aux postes clés, tou·te·s des réacs homophobes et racistes.
Dans une perspective queerféministe, comment devons-nous nous organiser pour construire un nouveau rapport de force face à ces attaques?
L’échec de la gauche réformiste face à l’extrême droite montre qu’on ne gagnera pas la bataille contre l’extrême droite sur le terrain institutionnel. Il y a urgence à reconstruire une tradition féministe combative et de lutte de classe qui cherche à défendre les droits trans et reproductifs par la mobilisation et par les grèves, en toute indépendance de l’État et de la gauche qui souhaite prendre les rênes de cet État capitaliste demain.
Aujourd’hui, en France, beaucoup disent «Voter, ça ne marche pas, manifester, ça ne marche pas, alors que faire?» Je suis d’accord avec ce constat. Il faut faire le bilan des stratégies qui ont prouvé leur impasse: le «barrage par les urnes» proposé par le réformisme, les «grèves perlées avec des manifestations» par les bureaucraties syndicales.
Répéter fois après fois les stratégies perdantes est la garantie de notre défaite face à l’extrême droite. Il est temps de construire un féminisme révolutionnaire qui sera l’ennemi impitoyable de l’État, premier responsable du renforcement du patriarcat. C’est la tâche qu’on se donne à Du Pain et Des Roses en France et à l’échelle internationale dans quinze pays du monde.
Propos recueillis par Clara Almeida Lozar