États-Unis

On n’abandonne pas impunément les classes populaires

Merchandising de Kamala Harris
Stand de merchandising lors d’un meeting de Kamala Harris, 29 octobre 2024

Malgré les condamnations, les insultes, les propos fascisants, l’attaque du Capitole en 2021, Donald Trump remporte l’élection présidentielle. Il remporte même pour la première fois le vote populaire et le Sénat. Kamala Harris et le camp démocrate portent une partie de la responsabilité du succès des Républicains: leur abandon des classes populaires se retourne contre lui en alimentant directement le vote pour Donald Trump. Preuve qu’une politique de compromis avec les positions réactionnaires ne peut pas améliorer les conditions de vie des travailleur·euses et lutter contre l’extrême droite.

Début octobre, le journal Jacobin a soumis à un échan­tillon d’électeur·ices de Pennsylvanie – le principal État pivot – une série d’affirmations reprenant les principaux messages de la campagne de Kamala Harris et d’autres comme «opposons-nous aux milliardaires escrocs et aux politiciens de Washington qui les servent». Ce sondage montrait que les messages anti-­élites obtenaient un soutien de plus de dix points supérieurs au thème central de la campagne démocrate («sauver la démocratie»), et plus encore parmi les travailleur·euses en col bleu. Autrement dit, la précarisation des classes populaires est un déterminant majeur de leur vote. Dans l’élection de 2020, cette catégorie de la population avait légèrement favorisé Joe Biden. Cette année, c’est Donald Trump qui était en tête de plus de dix points dans ce groupe.

Une partie significative des électeur·rices démocrates de 2020 n’a pas renouvelé son vote cette année. Un résultat compréhensible: Kamala Harris a fait campagne sur un programme droitier, exception faite de son soutien au droit à l’IVG. Mais cette fois, contrairement à 2020, pas de campagne à la gauche du parti démocrate autour de Bernie Sanders lors de primaires, qui avait forcé Joe Biden à en reprendre certaines intonations – à contre-cœur. 

La campagne de Kamala Harris n’a su opposer au populisme réactionnaire de Donald Trump qu’une superficielle glorification de l’exceptionnalisme étasunien, sans propositions concrètes face à la précarisation. De plus, son soutien politique et militaire à Israël, tout comme le refus de laisser entendre la voix des Palestinien·nes, ont détournés nombre de ses potentiel·les électeur·ices.

Cet abandon des classes populaires nourrit une forte défiance vis-à-vis du camp démocrate, qui apparaît comme ce qu’il est: largement inféodé au grand patronat et aux milliardaires. Surtout, il n’oppose rien aux fausses promesses économiques de Donald Trump et lui laisse le champ libre pour capitaliser sur un sentiment d’insécurité culturelle désormais présent dans toutes les couches de la population. 

Les paniques morales ciblant les mobilisations trans, féministes, antiracistes et écologistes s’accumulent, les accusant de menacer la civilisation étasunienne toute entière, son identité blanche, chrétienne, patriarcale et masculiniste, la liberté totale (d’expression, du port d’armes et de cramer du pétrole pour rouler en bagnole) qui la caractériserait , etc.

Dans l’un des premiers sondages de sortie des urnes réalisé par CNN mardi soir, 43% des votant·es se disaient «insatisfait·es» de la situation et 29% «en colère». Le délitement de l’organisation des solidarités – en quarante ans, le pourcentage de travailleur·euses membres d’un syndicat a été divisé par deux – permet à l’extrême-droite de capter ces colères. Le renoncement de la gauche sur le plan socio-économique constitue ainsi le soubassement de l’enlisement identitaire de vastes franges de la population étasunienne. Et mondiale.

La rédaction