Un Léman très plastique
Une récente étude indique que près de 100 tonnes de microplastiques et de macroplastiques parviennent au lac Léman chaque année. Une importante partie des microplastiques (64%) provient de l’abrasion des pneus sur les routes. Un chiffre à rappeler au moment de décider d’une extension du réseau des autoroutes!
L’ Association pour la sauvegarde du Léman (ASL), qui a commandité cette étude, n’a rien d’un boutefeu. Fondée à l’époque de la pollution du Léman par les phosphores (années 80), elle est plus BCBG que ZAD, plus proche du Cercle de la Voile de Genève que des Soulèvements de la Terre. Pleine de savoir-vivre, elle ne revendique pas, mais propose. Mais même financée par du beau linge, la modélisation réalisée par Earth Action à la demande de l’ASL mérite que l’on s’y attarde un peu.
Rappelons, comme le fait l’étude, que la consommation de plastique en Suisse dépasse le million de tonnes par an. Sur ce million, on juge que près de 14000 tonnes de macroplastiques et de microplastiques sont disséminées chaque année dans la nature (sols, eaux de surface et sédiments). Ces déchets se fragmentent ensuite pour devenir invisibles à l’œil nu et atteindre le niveau des nanoplastiques. Les particules ou fragments de taille supérieure à 5mm sont appelés macroplastiques. Les particules de taille inférieure à 5mm sont désignées sous le terme de microplastiques, et celles dont la dimension est inférieure à 10 microns sont appelées nanoplastiques. Un micron équivaut à un millième de millimètre. Ces fragments sont dangereux, entre autres parce qu’ils contiennent des additifs qui peuvent se libérer et exercer un effet toxique.
Les sources principales de cette pollution sont dans l’ordre: l’abrasion des pneus (64%), le littering ou déchets sauvages (19%) et la construction (8%). Mais attention, ce classement se réfère à leur tonnage. Or, même une source de peu d’importance en poids, comme celle du textile (1% du poids dans le Léman) peut avoir des effets importants sur la biodiversité, par exemple. Les dizaines de millions de fibres textiles qui finissent dans le lac ont plus d’impact, à poids équivalent, qu’une bouteille de PET.
Quels sont les secteurs en cause?
Les pneus des véhicules sont la cause principale du déversement de quelques 100 tonnes dans le lac. L’automobile figure donc au premier rang (33,5%), suivie de la construction (24%), des infrastructures publiques (11%), du tabac (9%), de l’agroalimentaire (9%) et du nautisme (4%). Il est tout aussi intéressant de voir sous quelle forme se présentent ces différentes contributions. Passons sur les poussières de pneu, maintenant bien connues (33%, micro) et intéressons-nous à des formes moins évidentes, comme les peintures de façades pour les bâtiments (18%, micro), les emballages à usage unique (9%, macro), les filtres de cigarettes et les mégots (8%, macro), les terrains de sport synthétiques et granulés (6%, micro), les peintures des routes – oui encore la route! – (5%), les peintures pour bateau antifouling (4%), etc. Par quel chemin ces fragments se retrouvent-ils dans le lac? Sans surprise, le ruissellement des eaux sur des sols imperméables est le premier canal par lequel passent ces déchets (88%). L’imperméabilisation des sols – les inondations de la Toussaint en Espagne nous l’ont rappelé – est un facteur souvent néfaste.
Des effets de plus en plus nets sur la santé humaine
Les effets sur la biodiversité de la présence du plastique dans des milieux aquatiques sont relativement bien mis en évidence dans plusieurs études concernant les océans, profitant de l’exposition médiatique de ce que l’on appelle le «septième continent», ces gigantesques vortex de déchets principalement plastiques. En revanche, les effets de l’ingestion ou de l’inhalation des plastiques sur la santé humaine commencent seulement à être évalués.
Une première alerte avait été lancée par le WWF belge en juin 2019, qui affirmait que l’être humain ingérait cinq grammes de plastique par semaine, soit l’équivalent d’une carte de crédit. Des études médicales antérieures confirmeront la présence de microplastiques dans le corps humain. Jusqu’à quinze grammes par mois pour les Indonésien·nes, friant·es de fruits de mer.
Des corrélations positives ont été établies entre la présence de microplastiques dans les selles et les maladies inflammatoires de l’intestin. L’inflammation provoquée par ces fragments étrangers vient aussi stimuler les maladies cardio-vasculaires. Chez les patient·es porteur·euses d’athéromes – plaques graisseuses – la survenue d’un accident cardio-vasculaire (infarctus, AVC ou décès) s’élève à 20% lorsque ces plaques graisseuses présentes dans la carotide contiennent des plastiques (PVC ou PE), contre 7% pour les autres. Allez, un dernier bout de pneu, pour la route!
Daniel Süri