Pour la pétrochimie, l'océan est une poubelle

Auguste Picard n’aurait pu l’imaginer: dans les grands fonds de la fosse des Mariannes, où il établit son record de plongée, la chimie industrielle a désormais laissé une signature presque indélébile. Des polluants organiques persistants ont en effet été retrouvés dans les chairs des crustacés habitant «l’ultraprofond».


Contenu de l’estomac d’un albatros mort – Chris Jordan

Elles ne font pas plus d’un centimètre, mais ces puces de mer se nourrissent de tous les détritus qui parviennent dans les abysses. Des chercheurs·euses les ont collectées à plusieurs étages de la colonne d’eau (jusqu’à 10 250 mètres pour les Mariannes) et ont vérifié la présence des polluants organiques persistants dans leurs tissus. L’étude, publiée dans Nature Ecology & Evolution, confirme la présence, à «des niveaux extrêmement élevés» de PCB et de PBDE. Les premiers, aujourd’hui interdits pour leur toxicité, ont été abondamment utilisés jusque dans les années 70 dans les fluides des transformateurs et des condensateurs des appareils électriques. Les seconds servent encore aujourd’hui comme retardateurs de flammes dans les plastiques, les textiles et les appareils électriques.

Les teneurs en PCB sont ainsi cinquante fois supérieures à celles trouvées dans les crabes du fleuve Liao, l’un des cours d’eau les plus pollués de Chine et semblables à celles détectées dans la baie japonaise de Suruga, région très industrialisée du sud du Japon.

Le transport de ces composants vers les grands fonds se fait par le biais des déchets organiques et inorganiques formant ce que l’on appelle la «neige marine». Une des hypothèses soulevées par les scientifiques est celle de l’alimentation de ce processus par les milliards de débris plastiques regroupés dans les gigantesques gyres océaniques. Car les polluants organiques se fixent spontanément sur ces déchets.

La chaîne alimentaire océanique est aussi touchée par les microparticules plastiques, invisibles, qui se trouvent dans les vêtements, les pneus automobiles, les marquages routiers ou les cosmétiques, comme le montre une étude de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Elles représentent une part importante (entre 15 et 30 %) des 9,5 millions de tonnes de la «soupe plastique» déversée dans les océans. Problème: lorsque ces microplastiques sont piégés dans la glace de l’Arctique, ils en modifient le point de fusion. Les glaces fondent alors plus rapidement, contribuant ainsi au réchauffement climatique.

Les oiseaux marins aussi

D’ici à 2050, selon l’Agence nationale australienne pour la science, albatros, manchots, mouettes, sternes, goélands et frégates auront à 99 % ingurgité du plastique et dégusté ainsi les produits de la pétrochimie. Cette ingestion peut entraîner des maladies voire la mort. En 1960, seuls 5 % des oiseaux en étaient affectés. Depuis sa commercialisation dans les années 50, la production de plastique a doublé tous les onze ans. Entre 2015 et 2026, la quantité totale produite sera l’équivalent de tout ce qui a été produit jusqu’alors.

Daniel Süri


Des zones mortes qui réchauffent

En 2003, un rapport des Nations Unies estimait que les océans comptaient 150 zones mortes. Des surfaces maritimes dépourvues d’oxygène à cause d’apports extérieurs comme les engrais ou des résidus chimiques divers. Aujourd’hui, on en recense plus de 400, représentant une surface de 245 000 km2.

Mais toute la vie ne fuit pas ces zones. Certaines bactéries y prolifèrent, produisant du protoxyde d’azote. Gaz dit hilarant, utilisé aussi en anesthésie, ce N2O possède un effet de serre 300 fois plus puissant que le CO2.