Deal de rue
Cacher la misère
Depuis le début de l’automne, le canton de Vaud est à nouveau confronté à une polémique autour du deal de rue. Fin septembre, les communes d’Yverdon, Vevey et Lausanne ont envoyé une lettre au Conseil d’État vaudois, réclamant «l’organisation d’assises de la chaîne pénale et de la santé publique» pour répondre à une situation qu’elles jugent préoccupantes.
Le 9 octobre, Vassilis Venizelos, conseiller d’État en charge de la sécurité, a annoncé la création d’une task force, misant sur des mesures essentiellement répressives. Parallèlement, une pétition citoyenne intitulée «Le deal de rue, ça suffit», soutenue par l’UDC, récoltait près de 8000 signatures.
Ces événements, largement relayés par les médias, rappellent étrangement les controverses sur le deal de rue des deux dernières décennies. Le contexte actuel est cependant marqué par un nouvel enjeu: l’explosion du crack.
Qu’est-ce que le deal de rue?
Loïc Pignolo, sociologue genevois, expliquait dans La Matinale de la RTS du 14 octobre 2024 que le deal de rue peut être vu comme un marché regroupant des précarités – aussi bien celles des consommateur·ices que des dealers. Les dealers de rue sont souvent des hommes originaires d’Afrique de l’Ouest, sans statut légal et donc sans accès à un travail, sans domicile fixe. Ce marché attire davantage l’attention que des formes plus discrètes de vente, comme le deal en appartement ou via internet. Qui choisirait de réaliser une transaction illégale en plein espace public s’il avait d’autres options?
L’explosion du crack, «une cocaïne fumable dont les effets rapides et puissants peuvent provoquer une consommation compulsive, souvent au détriment des besoins fondamentaux comme le sommeil ou l’alimentation» (Rapport d’Addiction Suisse), a contribué à l’émergence de nouvelles «scènes ouvertes» dans plusieurs villes romandes. Selon l’association Première Ligne, cette substance, accessible à un prix relativement bas et très addictive, touche principalement des populations déjà en grande précarité.
«Les riverains et les commerçants»
Analyser les discours et leur instrumentalisation autour du deal de rue permet de mieux comprendre notre rapport à la précarité visible et à l’espace public. En parcourant le site de la pétition «Le deal de rue, ça suffit», les articles de presse et les prises de position politiques, plusieurs arguments récurrents apparaissent. Ils mettent en avant des préoccupations liées à la salubrité de l’espace public, au sentiment d’insécurité généré par les dealers et les consommateur·ices, à l’attractivité des villes et à une supposée impunité des trafiquants.
Ces discours mobilisent souvent la figure des «riverains et commerçants», présenté·es comme les principales victimes de ces nuisances. La protection des femmes et des enfants est également fréquemment invoquée pour justifier de l’urgence de mesures répressives.
Si les approches socio-sanitaires et préventives sont mentionnées, c’est bien souvent la réponse répressive qui est privilégiée. Contrairement à la polémique suscitée par Fernand Melgar en 2018, les discours ouvertement racistes sont moins visibles dans cette nouvelle vague médiatique. Cependant, certains témoignages restent ambigus, voire tendancieux. Par exemple, un passant veveysan suggérait sur le site de la pétition: «Si on arrêtait de nourrir et de loger ces dealers, ils iraient voir ailleurs.»
Le Conseil d’État vaudois, en annonçant un renforcement du dispositif répressif, semble répondre à ces attentes. Pourtant, une étude commandée par la Ville de Lausanne en 2019 recommandait de «gérer le deal de rue plutôt que de s’épuiser à le combattre avec la police». Elle soulignait également que «seules une dégradation significative de la situation, une intensification des réactions populaires et une médiatisation accrue» incitent les autorités à prendre des mesures d’urgence.
Cacher la misère
Le deal de rue pose indéniablement des problèmes majeurs, notamment en termes de santé publique. Mais ce qui dérange profondément, c’est la visibilité d’une misère qu’on préfèrerait dissimuler dans nos villes si soigneusement entretenues.
Cette misère est celle des consommateur·ices, mais aussi celle des dealers. Ces derniers, souvent issus de l’exil, sont marqués par des parcours où le racisme structurel et l’exclusion les poussent à adopter le deal comme ultime stratégie de survie économique. Inu, un dealer nigérian interrogé dans La Matinale de la RTS, déclarait: «Si j’avais des papiers, je n’irais pas vendre de la drogue dans la rue. Je ne suis pas stupide.»
Maimouna Mayoraz