Italie

Quelques réflexions sur les Grèves générales


En Italie l’année 2024 s’est conclue par deux grèves générales : une première le 29 novembre, à l’appel des centrales syndicales Confederazione Generale Italiana del Lavoro (CGIL) et L’Unione Italiana del Lavoro (UIL), et une seconde le 13 décembre, à l’appel de l’Unione Sindacale di Base (USB). Nous revenons ici sur les enjeux et les limites de cette double mobilisation.

Manifestation lors de la grève générale, Florence, 29 novembre 2024
Manifestation lors de la grève générale, Florence, 29 novembre 2024

Les raisons pour une grève générale ne font pas défaut en Italie, il suffit de consulter n’importe quel indicateur socio-­économique. Si d’après les données de l’OCDE l’Italie est le seul pays en Europe où, entre 1990 et 2024, les salaires réels ont diminué (– 3 %), début décembre c’était l’habituel rapport CENSIS qui montrait comment, en prenant comme référence l’avant crise (2007), on a aujourd’hui une augmentation du taux d’emploi (+4,6 %) mais moins de revenus pour les familles du pays (– 7,7 %). 

Où va tout l’argent? Aux patrons, bien évidemment. Une recherche de l’Observatoire des entreprises de l’Université La Sapienza de Rome confirme que le transfert de richesse du travail vers le capital est désormais complétement démesuré: les actionnaires prélèvent 80% des bénéfices nets sous forme de dividendes. Seuls 20% sont destinés à de nouveaux investissements, dont la majorité, 60%, sont financiers, ne laissant que 40% pour des investissements matériels pour l’industrie. 

Violence de classe

La brutalité cachée derrière ces chiffres s’est matérialisée plusieurs fois au cours de l’année qui vient de s’écouler. Le 17 juin à Latina, Satnam Singh, un ouvrier indien travaillant sans contrat dans les champs, est pris dans une machine qui lui coupe un bras. Personne n’appelle les secours et son employeur l’abandonne devant la porte de sa maison, où il meurt des suites de son accident de travail. 

Dans la nuit du 8 au 9 octobre à Prato un piquet de grève est agressé à la barre de fer : les syndicalistes du SUDD Cobas, qui étaient à Genève en septembre lors de leur mobilisation contre Montblanc, finissent à l’hôpital. Cette agression tombe peu après l’approbation d’un décret-­loi qui ciblait directement les piquets de grève avec un durcissement des peines jusqu’à deux ans de prison. 

Le 10 décembre une large explosion secoue Calenzano et tue 5 travailleurs d’un site de stockage de combustible dont la dangerosité avait déjà été signalée. Sans honte, le Sénat approuve le lendemain de la tragédie un décret-loi sur la santé et la sécurité des lieux de travail visant à dérégulariser le domaine de la sécurité du travail, augmentant encore les risques d’accident pour les travailleur·ses. 

Un mouvement syndical divisé

Même si les raisons ne manquent pas, pourquoi deux grèves? Pour comprendre cette fragmentation au sein du mouvement syndical il faut revenir au début des années 1990, quand les trois centrales syndicales (CGIL, CISL et UIL) ont adhéré au postulat de la concertation. L’idée était de pouvoir obtenir des améliorations salariales et générales en les convenant avec les patrons, et pas à travers le conflit. En contrepartie de ce choix corporatiste, CGIL, CISL et UIL ont été intégrées dans une sorte de cogestion du monde du travail, en se voyant garantir pouvoir, argent et ressources. 

Les contradictions imposées par cette orientation stratégique sont évidentes: Maurizio Landini, secrétaire général de la CGIL, a ainsi appelé, dans ses discours et ses slogans, à la «révolte sociale», alors que son syndicat appliquait une politique de collaboration avec le patronat durant les négociations pour le renouvellement des conventions collectives nationales du travail dans des secteurs clés, tel que la logistique ou les ports.

En parallèle, dès les années 90, celles et ceux qui n’ont pas accepté cette réorientation ont construit des syndicats autonomes, « de la base » et conflictuels (dont USB est le plus grand), qui sont devenus les protagonistes d’importants moments de luttes, mais qui n’ont pas encore réussi à surmonter leurs limites en termes de taille – en raison notamment des attaques continues reçues de la part de CGIL, CISL et UIL pour les empêcher de croître – ainsi que leurs rivalités réciproques. 

Que faire ?

Nous sommes confronté·exs aujourd’hui à deux nécessités. La première, immédiate, est de stopper le gouvernement le plus à droite de l’histoire de la République, et cela ne peut se faire qu’avec la reprise d’une véritable conflictualité sociale : pour cela, toute grève est utile, au-delà de l’organisation syndicale qui la proclame mais pourvu qu’elle soit construite avec l’objectif, réel et pas rhétorique, de réussir. La seconde, en même temps urgente et à long terme, est de revenir à des organisations syndicales fortes qui pratiquent le conflit et le reconnaissent comme l’instrument principal de la défense des droits des travailleur·sexs et de l’amélioration des conditions de travail et des salaires : pour cela, il est indispensable de renforcer le syndicalisme de base, à nouveau au-delà des rivalités entre entités syndicales. 

En tant que communistes, notre tâche est de soutenir le conflit là où il se produit : sans une véritable reprise des luttes ouvrières, la reconstruction d’une option politique alternative sera encore plus difficile.

Potere al Popolo (Suisse)